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Les surprises de la chasse au col

Revue N° 32 Page 41

Août 1964, nous étions jeunes et beaux...

Depuis une semaine, nous avons abandonné notre chère Ville Rose pour partir à l’aventure avec pour objectif Ouarzazate. Sous un soleil de plomb, nous enchaînons paisiblement les lacets d’une longue montée, quelque part dans le sud de l’Espagne. Les ‘’Cols Durs’’ (1) enragés que nous sommes ont consulté la carte et savent pertinemment que leurs efforts ne conduisent à aucune récompense de type arithmétique et qu’il faudra se contenter de l’essentiel : le plaisir de pédaler. Sensiblement de même niveau et dépourvus de tout esprit compétitif, nous arrivons ensemble au sommet de ce col géographique et appuyons nos vélos de part et d’autre de la même pancarte en bois, pour procéder goulûment au cérémonial de la re-hydratation, ou, plus vulgairement : pour « boire un coup ».

En reprenant ma monture, je jette quand même un coup d’œil distrait sur ce panneau rustique :

«Passo de Ganado»

Re-coup d’œil, Oui j’ai bien lu ! Jean-Louis regarde à son tour et bien que ne pratiquant guère la langue de Cervantès, nous avons la joie de constater que nous n’avons pas grimpé « pour des prunes ». Clic-clac-Kodak, nous soumettrons la photo à l’appréciation du Grand Maître Jean-François. Par contre, aucune indication d’altitude ; nous nous lançons donc dans de savantes estimations tenant compte de la dernière altitude connue, de notre vitesse ascensionnelle moyenne, de l’humidité de l’air, etc… pour proposer 950 mètres ; en 1964, les compteurs kilométriques et les altimètres étaient des denrées rares, surtout pour des étudiants fauchés.
Joyeuse est donc la descente (en connaissez-vous de tristes ?), inévitablement suivie d’une nouvelle montée d’autant plus interminable qu’en cette fin d’après midi, les jambes commencent à s’alourdir. Au sommet, nouvelle halte-boisson au pied d’un panneau. Un coup d’œil intéressé, on ne sait jamais :
« Passo de Ganado ». « M…. deux fois le même nom à 20 kilomètres d’intervalle ! Bis repetita… Ils sont fous ces Ibères ! ». Cette fois l’estimation est à la baisse : 800 mètres seulement.

22 heures environ, on mange tard en Espagne…

Le patron de notre modeste auberge a repéré nos bicyclettes. Baragouinant un peu le français, il vient nous raconter et probablement enjoliver ses exploits passés. Nous en profitons pour ironiser sur leur manque d’imagination dans la toponymie de leurs cols. Là, ce n’est pas un sourire que déclenche notre propos, mais un énorme éclat de rire qui résonne encore jusqu’au plus profond de la Sierra Nevada, notre prochaine étape.

« Passo de Ganado » signifiait tout bêtement « Passage de troupeau » !

Adieu veau, vache, cochon, couvée…

Francis Marty

CC n°83




(1) En 1964 le « Club des Cent Cols » n’existait pas encore.

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