Page 23 Sommaire de la revue N° 32 Page 26

Petits cols pour une Terre de légendes

Revue N° 32 Page 24

L'étape du tour et le Tour de France 2003 dans sa dernière portion montagneuse ont permis de découvrir ou de redécouvrir le Pays Basque ; cette région a couronné un grimpeur américain courageux, judicieusement détaché sur les pentes d'un petit col terrible perdu dans la légendaire forêt d'Iraty. Tout comme la présence du grand Miguel, ce fut un bel hommage rendu à des montagnes taillées par la langue des sept têtes de dragon de l'Herensuge, un Pays d'hommes d'une trempe si particulière, un Monde enfin, pétri de légendes encore vivantes...

Je vous rapporte alors l'histoire de ce cyclo qui ne croyait plus à ces contes fantastiques et à ces légendes mystérieuses. Parti d'Espelette, il se dirigeait vers Itxassou par la D249. Les vallées étaient encore noyées dans une brume épaisse qui lui interdisait toute vue sur les crêtes et les monts voisins. De nombreuses fois il avait fendu cette brume de sa roue avant sur des lignes de crêtes entre le Puerto de Otxondo, le Pico Goramakil et le col de Gorospil, ou encore entre le col de Zuharreteaco et le col de Pinodieta. Maudissant cette brume, il n'avait rien pu voir des magnifiques panoramas offerts ; tout juste avait-il entendu des Pottoks lui ouvrir la route et les sonnailles des troupeaux ovins l'accompagner sur des bas côtés parfois rendus inhospitaliers par des cadavres éparpillés, dépecés jusqu'à l'os par les vautours. A la ferme d'Haranéa il emprunta un petit chemin pentu sur sa droite. Un peu plus loin un cri strident déchira la quiétude des lieux : le paon de Pamparina venait de signaler son intrusion dans la montagne. Son sang se glaça. Rompu au cartésianisme, il ne put cependant s'empêcher de repenser aux légendes basques du pépé Teyletche. Il pénétrait à nouveau ce triangle obscur délimité par le Mondarrain, l'Artzamendi et les Crêtes d'Otxondo, un triangle né d'une véritable rencontre entre les arcades d'une nature tourmentée et l'imagination des hommes façonnés par cette Terre. Le doute s'immiscait en lui autant que la brume l'enveloppait de son manteau froid et humide ; chacune des montagnes consacrait un animal mythique des Pyrénées ; le Mondarrain (ou Arrainomendi), représente la montagne de l'Aigle, l'Artzamendi celle de l'Ours et le col d'Otxondo ouvre l'accès à un pays habité par les loups et les sorcières.

La pente le ramena rapidement à la réalité, les 21% du col de Legarré dissipant ses songes. Il découvrit alors une succession de raidillons tortueux entre 10 et 15%. Le tapis venait juste d'être refait et la route s'avérait agréable. Brume et silence lui pesaient encore. Les songes et les doutes ne tardèrent pas à refaire surface. A Harlépoa, le goudron fumait encore ; il déchaussa pour ne pas s'enfoncer dans l'échine de ce serpent sombre et gluant. Il sourit un moment, se disant que des Lammaks avaient déroulé ce tapis sur les flancs escarpés du Mondarrain au cours de la nuit, quand il aperçut une vieille dame venant à sa rencontre. Trop content de trouver une présence humaine, il salua la vieille femme qui lui sourit en retour et lui demanda si elle pouvait poursuivre son chemin au delà d'Harlépoa. Heureuse de rentrer par là, elle continuait de parler cette langue si singulière. Il la regarda s'éloigner, happée par les floches de brume. Au moment de se remettre en selle, il aperçut sur le bas côté un serpent de forte corpulence, la tête tranchée. Le nom de Basilikoa lui revint en mémoire; toutefois l'évocation de ce mauvais génie ne l'amusa pas. Il continua sur le chemin en montagnes russes avec des pourcentages compris entre 10 et 21%.
A la sortie d'un virage, il se retrouva nez à nez avec un Patou. Il mit aussitôt pied à terre afin d'appréhender la rencontre cyclo-chien dans les meilleures conditions possibles. Le regard du Montagne des Pyrénées était doux et le cyclo appela le chien. La rencontre se solda par l'offrande d'un biscuit diététique et par des caresses. Le Patou se dirigea alors vers la pente, invitant le cyclo à poursuivre son effort. Ce dernier venait de trouver un compagnon de fortune. Il prenait un peu d'avance dans les courtes descentes, mais le Patou le dépassait rapidement dans les montées qui suivaient, vérifiant comme un berger bienveillant que le cyclo restait bien dans son sillage. Le soleil commença à diaprer la forêt et à éclaircir la brume. A chaque halte, le Patou se couchait à côté de la bicyclette comme pour la veiller. L'inquiétude quittait peu à peu le cyclo, éminemment protégé par ce compagnon silencieux. Il décida de l'appeler Basajauna après avoir croisé un berger inquiet de la présence de ce chien dans la montagne. Le cyclo trouva ce nom fort mérité ; si bon Dieu il y avait, il lui avait sans doute délégué ce « Maître des Forêts » pour que plus rien ne vienne troubler la randonnée. Arrivé sur un replat à hauteur d'une bergerie, sa présence d'ailleurs stoppa net les velléités d'un chien de troupeau. Le soleil dominait de plus en plus dégageant le sommet de l'Artzamendi hors des dernières franges brumeuses. Le cyclo reprit des forces avant la terrible ascencion finale et ne cessait de croiser le regard doux et presque humain de Basajauna. Contes et légendes continuaient de lui traverser l'esprit au point de sérieusement le faire douter. Il remonta sur son vélo et le chien le précédait à nouveau. A l'entame des deux derniers kilomètres du col de Méhatché, le Patou hésita à quitter les parties ombragées offertes par les derniers arbres ; lorsque la montagne ne fut plus qu'un désordre pierreux éclaboussé par la verdure de pâturages disséminés, lorsque les pourcentages atteignirent les 19 %, le Patou se coucha à l'ombre d'un fossé, refusant d'aller plus loin. Le cyclo comprit à son regard que leurs routes se séparaient ici et qu'il lui faudrait poursuivre seul.

Le cyclo déchaussa plus haut encore pour marcher ; en se retournant, il constata la disparition du chien. Livré à lui même, il fit halte au col de Méhatché. Un Pottok se coucha en travers du chemin, lui interdisant le passage en direction du sommet de l'Artzamendi. Le cyclo ne chercha même pas à le contourner. La sorcière et le Basajauna l'avaient protégé jusque là et il se surprit à penser qu'il serait raisonnable d'en rester là et de tenter l'ascension de l'Artzamendi une autre fois, histoire de ne pas troubler la tranquillité de l'Ours. Dans la descente, le cyclo ne trouva point de Patou, ni de vieille femme. Il regagna la « Civilisation » au Pas de Roland où des équipes de la DDE achevaient de goudronner les chemins. Ce jour fut une révélation pour lui. Il trouva là les clés de la réussite de ses séjours au Pays Basque. Les laminak lui préparaient la nuit de merveilleux itinéraires. Ils lui firent découvrir le versant sud méconnu de certains petits cols fabuleux : Ibardin, Lizarietta, Aritxulegui, passage de l' Aginja, tout en lui assurant une protection envers les mauvais génies de ce Pays. Après tout, sur la nationale très fréquentée le long de la Bidasoa, les poids lourds s'étaient toujours largement écartés; sur les crêtes embrumées de l'Otxondo, noyé dans le brouillard et dans le bruit assourdissant des Pottoks martelant la chaussée et des moutons agitant leurs sonnailles, le cyclo ne pouvait pas être plus discret et invisible... Peut-être avait-il même croisé les frêles silhouettes de Jésus et Saint-Pierre dans leurs pérégrinations du côté de Saint-Jean-Pied-de-Port, au cours des ascensions des cols d'Heganzo et d'EJhursaro, sur les chemins embrumés de Saint-Jacques-de-Compostelle ? ...

Eric LASTENNET

CC n°3191


Page 23 Sommaire de la revue N° 32 Page 26