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Le Pas des Lanciers »… Une… Première !

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- « Oh, André ! Nous venons de franchir le « Pas des Lanciers » et je n’ai vu aucun de mes semblables, ces magnifiques chevaux bais à la robe rougeâtre avec crins et extrémités noirs, au port militaire et altier, caracolant d’un pas nerveux et martelant le sol de leur pas fougueux et scandés ? »

C’est Pégase, mon fidèle coursier, qui vient de m’interpeller (parce qu’il parle dans les grandes occasions, mon Pégase… mais, je suis le seul à l’entendre). D’habitude un peu timide et très discret ; là, il en a gros sur le cœur et je sens, au ton de sa voix, que sa péroraison n’est point close… Il poursuit :

- « Oui, le « Pas des Lanciers »…

Je voyais, comme tout un chacun, les « Lanciers du Bengale », corps d’élite paradant dans les Indes séculaires, vêtus de leur tenue mordorée rehaussée d’argenterie et d’ors, vareuse rouge importée des hussards de l’Empire, culotte bleue avec passepoils au fil de soie pourpre ; campés droits comme des i sur leurs selles de parade aux pommeaux étincelants, flanqués de fontes en cuir de Cordoue minutieusement ouvragé par les artistes maroquiniers ; portant, dressées vers le ciel leurs lances miroitant sous le feu du soleil et terminées par des fanions multicolores se déployant en festons sous le vent de la cavalcade ! Eh bien ! Je n’ai rien vu de tout cela.

- « Oh ! Oh ! Arrête un peu….tu t’imagines….tu t’imagines….mais, la réalité est tout autre… Tiens, puisque tu es si interrogateur aujourd’hui, je vais te raconter l’histoire du « Pas des Lanciers ». Ecoute :

« Le Pas des Lanciers » (coordonnées 84 01 079 042), paru sur l’additif des cols de France 2003 au catalogue Chauvot, se situe sur la D26 entre Cavaillon et Orgon – C’est en 2003 que j’ai eu l’honneur d’inscrire ce col à mon palmarès puisque auparavant, bien que franchi à maintes reprises, il n’existait point et au demeurant son altitude, 100 mètres, ne fait naître sur nos visages qu’un sourire figé, voire une certaine moue.

Le malheur, c’est que ce « Pas des Lanciers » se trouve plus au sud, sur un sentier perdu de la chaîne de l’Estaque, près de la gare de même nom et son histoire est étroitement liée à celle des Chemins de Fer.

En ce temps là, vers les années 1870 ou 80 (je ne sais exactement), les compagnies de Chemin de Fer étaient en plein déploiement et celles du sud de la France qui devaient ensuite donner naissance au PLM (Paris Lyon Marseille) avaient après des travaux titanesques pour l’époque, relié Paris à Avignon par le rail.

Une époque héroïque pour le développement du transport, puisque une loi vite abandonnée quelques décennies plus tard devant le règne de Dame Voiture, prévoyait de relier par fer toutes les préfectures et sous-préfectures de France et de Navarre !... Une époque qui fait sourire parfois, puisque l’illustre marseillais de naissance et Président de la République Adolphe Thiers indiquait, qu’il était très néfaste pour la santé physique et mentale de transporter des citoyens à de telles vitesses sur plusieurs centaines de kilomètres… les convois d’alors reliaient Avignon après trente heures d’un pénible voyage !

Mais pour l’heure ; pour construire la voie jusqu’à la cité phocéenne, un obstacle se dressait devant l’opiniâtreté des ingénieurs : le franchissement de la chaîne de l’Estaque… Un projet difficile et tortueux par la côte bleue abrupte fût étudié ; un autre prévoyait le passage du rail de Rognac à Aix avec possibilité de poursuivre ultérieurement vers le Var, Marseille étant desservie en « antenne »…

Entre-temps, les techniques de percement de tunnels ayant évolué, oh, bien sûr pas avec des tunneliers, ces engins modernes de 500 tonnes pilotés par ordinateurs qui « mangent » la montagne à la cadence de plusieurs dizaines de mètres par jour ; non, simplement avec les marteaux compresseurs servis par une armée d’ouvriers aux biceps énormes, œuvrant en 3X8, la décision de percer la chaîne de l’Estaque fut prise et c’est ainsi que « la Nerthe » le plus long tunnel du territoire français avec ses 4635 m en double voie a été réalisé.

Avant le premier coup de pioche, il fallait, bien évidemment, un plan directeur basé sur un relevé topographique précis des lieux : pas une mince affaire….en 1870 ! Les satellites ni la photo aérienne n’avaient pas encore cours… !

Voila donc une escouade de géomètres, touristes itinérants avant l’heure, avec leurs théodolites, niveaux d’Egault, goniomètres à règle graduée coulissant prestement sur leur planche à dessin à l’équilibre incertain sur leurs pieds extensibles, prenant possession des collines de l’Estaque paysage minéral et sauvage… Une végétation rabougrie : quelques pins noueux luttant contre l’extrême sécheresse des étés, des cades, des argéras, des lentisques et, prenant racine entre les cailloux un tapis végétal méditerranéen où règne le thym, le fenouil, le romarin et quelques lavandes éphémères. Paquant sur ce territoire inhospitalier, des troupeaux de chèvres rousses aux cornes en forme de lyre conduites par des « pastrès » d’un autre âge, vêtus de leur houppelande de laine avec cape et capuchon les abritant l’hiver du seigneur Mistral et l’été des dards d’un soleil de feu.
Lever un plan topographique, dessiner une carte précise, relève d’un savoir faire technique ; mais, le résultat ne peut être exploitable qu’avec la désignation des lieux, des noms coutumiers, des indications authentiques se référant au terrain… Notre chef géomètre, perdu dans cette pierraille inhabitée est bien ennuyé pour remplir ce petit plus indispensable à la mission. Il avise un brave berger hirsute, le seul d’ailleurs dans les parages, appuyé sur son long bâton, flanqué de son fidèle chien noir tapis à ses pieds ; qui, ébahi, regarde depuis quelques jours du haut de la draille qui franchit ses collines, ces « gens de la ville » « photographier » sous tous les angles son domaine ancestral d’ordinaire très silencieux !

- « Bonjour mon brave… Dites, quel est le nom de ce col où nous nous trouvons ? »

C’est le chef géomètre qui va aux renseignements.
Le berger n’a pas trop l’usage du français….dans sa jeunesse il a fréquenté l’école de la semaine des quatre jeudis. C’est tout dire !!! Et de plus son interlocuteur s’exprime avec un accent pointu totalement inconnu du « Provenço ».

- « Oui, voyons, comment s’appelle cet endroit ? »

Notre brave pastrè a bien compris à présent et après mûre réflexion, il répond dans sa langue naturelle :

- « Aqui, es lou pas dé l’anxié » !

Notre géomètre reste bouche bée….il ne comprend pas trop, fait répéter… Il est du grand Nord….de Valence ou peut être même de Lyon... Il a suivi sa compagnie depuis sa création… C’est un peu le Monsieur Brun de Marcel Pagnol !

Il traduit (ou essaye de traduire) dans sa tête :

- « Aqui……………ici
- ess (avec l’accent tonique sur le « s »)…. c’est
- Lou pass (re-accent tonique sur le « s »…. le pas, le passage, le col

Bon d’accord.

- Dé l’anxié…….. là, je ne vois pas ?... .peut être une brigade de pandores à cheval désignée « les lanciers » ? Je ne sais. Bon, je ne vais pas me creuser la tête pour si peu et au demeurant passer pour un « c.. » dans mes recherches ! Et, il inscrit sur son plan au beau milieu de la page : « Pas des Lanciers »

Mais, en fait, notre sympathique berger indiquait bien le véritable nom de lieu, un lieu funeste s’il en est ! « Aqui es lou pas dé l’anxié ». Traduction : « ici, c’est le pas de l’anxiété ».

En effet, les voyageurs partant de Marseille en diligence devaient franchir, après Saint-Louis par la draille poussiéreuse d’alors, le massif de l’Estaque. Dans ce col, la peur, l’angoisse, l’anxiété (l’anxié en provençal) s’installaient dans la berline puisque les malfrats, les détrousseurs de grands chemins les attendaient dans ce funeste passage en criant : « la bourse ou la vie » !

Ces derniers, leur forfait accompli s’éclipsaient dans quelques vallats ou grottes pour partager leur butin… Certains disent qu’ils retournaient garder leurs chèvres !... Des mauvaises langues à coup sûr.

Si, d’aventure, vous allez un jour traîner vos guêtres (vous en aurez besoin à cause des argéras) dans le massif de l’Estaque et franchir « lou pas de l’anxié » n’y ayez point peur… Vous y rencontrerez encore ces grandes chèvres rousses aux cornes en forme de lyre, les chèvres de Rove, espèce en voie de disparition, parait-il… Les bergers aussi suivent la même voie….d’extinction….mais, celui qui vous conduira dans son cabanon, vous fera déguster un de ses petits fromages… Heummmmmm !!! Je ne vous dis que ça.

- « Alors, mon cher Pégase pas trop déçu par cette histoire, pour le moins inattendue ?

- Pour applaudir les fringants Lanciers du Bengale et admirer leur Pas de parade, il te faudra cycler encore un peu… ! Mais, pour toi, le cheval ailé qui rêve là-haut dans son Hélicon, où est le problème ?

André BECCAT

CC n°3360




La version d’André Beccat, bien narrée, est sans doute erronée dans sa conclusion. Michel de Brébisson a trouvé d’autres références, dont voici ci-dessous des extraits :

Article de Paul Fabre (Eddius) :
« Pour le Pas des Lanciers, l’explication est simple : Lanciers, en effet, est le résultat d’une mauvaise compréhension : le latin INCISA (qui a donné incise en français) a donné en occitan ancisa, encisa, qui a le sens de « coupure, incision » et, par analogie, « col de montagne », d’où les noms de Saint-André-de-Lancize (Lozère).
En Provence, et notamment dans le dialecte marseillais, -ISA du latin se réalise en -ié et non pas en –isa ; d’où la camié (orthographe occitane la camiá, prononcer : [KAMYÉ] pour la camisa "la chemise" ; d’où, par le même phénomène de l’évolution phonétique historique, l’ancié (l’anciá ; prononcer : [ANSYÉ]) pour l’ancisa "le col".
Le Pas de l’Ancié, c’est le Pas ("col") du "col" ; Ancié n’étant pas compris, on l’a défini par le terme générique de pas (cf . Port redéfini par col) ; et l’Ancié, sans doute influencé par pas (pas de charge !) a été compris Lanciers. D’où le pas des Lanciers, qui a pu faire naître la légende d’une bataille : et on en donne la preuve par le nom ! (analogiquement, anciá a pris aussi le sens d’"angoisse"). »

D’après un autre spécialiste, Charles Rostaing, l’orthographe devrait être le Pas de l’Encié , ce dernier mot ayant le sens d’entaille, de brèche. Il cite à l’appui un ver de Frédéric Mistral de 1876 : « vau mai encié que piéta » ( mieux vaut trancher qu’épargner la plaie).

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