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Lettre ouverte à mon ami Michel

Revue N° 31 Page 46

Souviens-toi qu’il y a une quinzaine d’années, je t’avais déjà écris une lettre ouverte. Loin d’imaginer que cette année j’aurais à le faire de nouveau. Amputé de la jambe droite, tu avais su dépasser ce handicap pour redevenir "comme les autres" si bien que ton courage hors norme forçait l’admiration de tous et plus particulièrement de ceux qui pédalaient à tes côtés. Fait d’acier trempé, tu étais un battant, un fougueux, un Breton têtu sur le sort duquel s’apitoyer eût été t’injurier. Chaque jour qui passait était un nouveau défi : après avoir repris ton travail et plus encore, ton vélo qui demeurait pour toi la soupape de survie, tu te remis à traverser la France de part en part pour des épreuves handisports et autres championnats de France. Les maillots régionaux ou nationaux acquis étaient pour toi les couleurs de ta vie et mieux encore, des victoires sur toi-même.

La montagne que tu trouvais si belle t’attendait et tu te mis à nouveau à escalader les pentes, faciles au début pour atteindre ensuite les plus ardues. Dans le silence des cimes, tu te retrouvais seul, face à toi-même. Une fleur sur le bord de la route, un soleil qui se levait dans la brume ou le bruit des clarines dans les alpages t’avaient redonné le goût de la vie. Tes cartes postales envoyées du Ventoux, du Vercors ou du Luberon me donnaient à penser que tu avais décidé de vivre : n’étais-tu pas allé du Havre à Lourdes avec ton ami Louison pour remercier le Ciel de t’avoir gardé la vie ? Conscient alors de tes nouvelles forces tu t’étais remis "à bloc" dans les cyclosportives, bien sûr la Bernard Hinault, course de légende, avait ta préférence et c’est dans cette épreuve d’anthologie que tu étais allé au bout de ta souffrance.
Souviens-toi : une tempête à décorner les bœufs, 5100 participants, 1600 abandons et ce public qui te poussait dans la côte de Jerznal à Dinan… L’eau dévalait cette rue pavée et tous les concurrents montaient à pied, chaussures à la main mais ce public breton, qui avait mesuré ta détresse, se relayait pour te hisser au sommet… J’en ai encore aujourd’hui des frissons. Arrivé à Saint-Brieuc, au terme des 255 km, véritable enfer, ton visage douloureux, mais délivré, était pour moi la plus belle des récompenses. Depuis, le temps s’est écoulé et tout semblait s’apaiser et pourtant, l’adversité t’a rattrapé pour t’enlever un bras, comme s’il t’avait fallu une piqûre de rappel.

Que dire alors ? Le silence s’imposait à nouveau. C’était à toi de décider si tu repartais ou non. Vauvenargues disait en son temps : "qui sait tout souffrir peut tout oser". Comme en souffrances de tous ordres, tu avais atteint les sommets, tu pouvais à nouveau envisager de remonter sur ton vélo, mais, quel vélo ? Seul ton ami et mécano Gérard pouvait l’imaginer. Avant que tu ne sois ressorti de l’hôpital, le prototype était réalisé : l’amitié avait permis l’imagination. Désormais, cette montagne que tu aimes autant que tes genêts de Bretagne, espère ton retour pour te dévoiler des beautés encore ignorées. Avec la main qui te reste, ne lâche pas celles de l’Amour de ta vie qui a accompagné et tous tes périples et partagé toutes tes souffrances. Va sur les routes, respire, regarde, écoute, vis petit "Père courage" et saches que c’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière.

Petit Poteau

Hommage à Michel Fouville

CC 5349


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