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Y a-t-il des cols au Brésil ?

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Je pédale tranquillement le long de la baie, par une matinée chaude et ensoleillée. De l’autre côté de la baie, sur ma droite, je vois le Pain de Sucre et, en regardant là-haut, derrière moi, je vois le pic du Corcovado, avec sa majestueuse statue du Christ rédempteur, vous connaissez, c’est celui qui étend les bras sur les cartes postales. Il paraît qu’il se tient comme ça parce qu’il s’apprête à applaudir le jour où les Cariocas - les habitants de Rio - se mettront au travail…

Eh oui, en ce mois de décembre 2002, par 35° ou 40° à l’ombre, je me trouve à Rio de Janeiro, Brésil, dans un décor de carte postale. Ce qui est marrant, c’est d’être sur la carte postale, en vrai. Et ce qui ne gâche rien, c’est que je circule sur une piste cyclable, une vraie !

Un peu de géographie : Rio se présente comme un ensemble de quartiers construits sur des plaines alluviales, séparées les unes des autres par des collines abruptes couvertes par la dense forêt atlantique et plantées, çà et là, de mornes ou "Morros", pics granitiques arrondis dont le Pain de Sucre est l’exemple type. Tout cela étant entouré d’eau sur 3 côtés, nous avons bien là un site de toute beauté dont on peut imaginer qu’il a dû être encore plus beau jadis, avant que d’innombrables tours et immeubles sans charme ne remplacent les belles constructions du XIXe siècle.

Fort peu représentées sur les cartes postales, les favelas complètent le tableau, installées sur les pentes entre plaine et forêt et en particulier… sur les cols entre deux collines. Le cyclotouriste devra donc malgré tout préférer les tunnels, reliant les quartiers entre eux, aux cols qui les surplombent : les favelas sont pour lui aussi impénétrables que la forêt atlantique qui recouvre les hauteurs. Sans trop de regret : on chercherait en vain un nom à l’un de ces cols.

L’étude approfondie de la carte, et l’expérience acquise lors des déplacements en taxi, m’a démontré qu’il est possible de rejoindre à vélo à peu près n’importe quel quartier. C’est pourquoi, ce matin, je me suis lancé à vélo, dans le but affiché de m’offrir les 700 mètres de dénivelé jusqu’au Corcovado et tant pis s’il n’y a pas de col officiel sur le parcours.

Mieux vaut ne pas tenter le diable et éviter d’afficher mon statut de touriste : j’ai emprunté un VTT local sans fioritures, je porte un T-shirt anonyme et je n’ai pris que le strict minimum d’argent. Et surtout, pas d’appareil photo ! Tant pis pour le reportage, mes souvenirs ne seront que dans ma tête.

La piste cyclable longe les célèbres plages d’Ipanema et de Copacabana puis passe dans un joli parc en bord de mer. Mais je vais devoir la quitter pour affronter la circulation de Rio Centre, passage obligé pour arriver au pied du Corcovado. Je me faufile dans la circulation dense du centre ville : ça roule mais suffisamment doucement pour que je me sente en sécurité.
Par la Rua Laranjeiras (rue des Orangers) aux belles maisons coloniales, j’arrive au pied de la montagne; maintenant ça va grimper. Ca grimpe tellement qu’il faut pousser le vélo sur les vieux pavés du haut de la Rua Cosme Velho. Il faut bien étudier la carte pour éviter d’échouer dans la favela voisine. J’ai quitté la zone urbaine et il n’y a plus grand monde dans ces rues en pente. Je me fais quand même préciser par une passante que cette rue permet bien de rejoindre le Corcovado, craignant un moment de m’être engagé dans un cul de sac : quitte à grimper, on préfère ne pas le faire pour rien !

Après être passé tout près de l’entrée de la favela, défendue par une barrière automatique contre les visiteurs qui se seraient fourvoyés, me voici sur la route du Corcovado, en pleine forêt atlantique de Tijuca : c’est paraît-il "la plus grande forêt urbaine au monde". A l’embranchement de la route en cul-de-sac qui mène au sommet, un magnifique col géographique, à environ 400m d’altitude, sépare le Corcovado du reste du massif, mais il n’a malheureusement pas reçu de nom de baptême.

Le parcours est le plus souvent à l’ombre de ces grands arbres tropicaux qui ont pour noms jacquiers, arbres à pain et bien d’autres. En haut, au soleil, il commence à faire vraiment chaud car la matinée est déjà bien avancée. Lorsque j’arrive en haut des derniers lacets, d’où la vue est splendide, il est midi, mon t-shirt est bien mouillé et je suis en surchauffe : il me faudra plus d’une consommation liquide pour me rafraîchir. J’apprécie la vue depuis le bout de la route mais je m’abstiendrai de monter les escaliers jusqu’à la statue : j’y suis déjà monté la veille et je ne veux pas laisser le vélo tout seul.

Pour la descente pas besoin de "bâcher" : l’altitude n’a pas beaucoup fait baisser la température. Retour par un autre chemin, sans piste cyclable mais plus court. Autrement, il aurait été possible de rentrer par une longue route en balcon qui traverse toute la forêt de Tijuca mais je me dis que ce sera pour une autre fois car ce midi je suis attendu en bas.

Finalement, je n’aurai pas l’occasion d’y retourner lors de ce séjour à Rio; dommage car j’aurais peut-être pu déterminer si "l’Alto de Boa Vista" qui se trouve sur cette route mériterait d’être assimilé à un … col ! Et comme je n’ai pu, à mon grand regret, dénicher aucune carte précise de la zone montagneuse qui s’étend dans la région de Pétropolis, au nord de Rio, je n’ai pas trouvé aujourd’hui la réponse à cette question cruciale :

Y a-t-il des cols au Brésil ?

Jean-Michel Clausse

CC 1364


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