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Lignes de crêtes

Revue N° 30 Page 66

L'été dernier enfin, j'ai pu réaliser un rêve qui me tenait à cœur depuis bien longtemps. Depuis Mars 1993 très exactement où, lisant le numéro 404 de la revue "Cyclotourisme", j'avais découvert l'existence de la route des crêtes de l'Assietta. Un dossier de 22 pages, intitulé "Sur les traces d'Hannibal", présentait les 4 fabuleuses randonnées permanentes proposées par Georges ROSSINI :

THONON - TRIESTE, 1180 km, 41 cols.
THONON- VENISE, 1209 km, 69 cols.
ANTIBES - THONON version préalpine, 894 km, 48 cols.
ANTIBES - THONON version alpine, 740 km, 43 cols.

L'itinéraire de cette dernière emprunte en Italie, entre Sestriere et Susa, la route des crêtes de l'Assietta. Les cyclos passés par là décrivent tous avec enthousiasme les panoramas sublimes offerts par ce balcon naturel et les confrères des "Cent Cols" y trouvent leur chemin de Damas car les 60 km du parcours leur permettent d'engranger 10 cols dont 9 à plus de 2000m d'altitude. Pour ces excellentes raisons, il m'était venu une furieuse envie d'y aller à la première occasion.

Jusque là, le projet n'avait pas pu se concrétiser à cause de 3 obstacles majeurs :
1) C'est loin de Limoges.
2) ll y a un problème de logistique car, partant de Sestriere pour arriver à Susa, il faut revenir en faisant le trajet en sens inverse ou bien trouver une bonne âme qui accepte d'effectuer un long trajet en voiture pour aller vous récupérer à Susa. Cela peut se trouver mais c'est rare.
3) Ce n'est pas une route goudronnée mais une piste empierrée qui, à certains endroits, n'est praticable que par des véhicules tout terrain. Pour ne pas risquer la casse, mieux vaut choisir un VTT plutôt qu'une randonneuse.

En 2001, la conjonction astrale a été enfin favorable à mon signe zodiacal, en effet :
- Notre club de randonnée pédestre organise régulièrement, durant la deuxième quinzaine de juillet, un séjour en montagne. Cette année, le choix s'est porté sur Bourg-St-Maurice d'où, au moins à vol d'oiseau, on est proche des fameuses crêtes.
- Lors de l'Assemblée Générale de la Fédé en Décembre 2000 au Futuroscope, je me suis procuré le Guide Cyclo Muletier (Topo 5) rédigé par René POTY pour le club des "Cent Cols". Cet ouvrage décrit en détail 43 randonnées VTT en montagne, dont les Crêtes de l'Assietta incluses dans un circuit de 65 km en boucle. Preuve qu'il y a toujours quelque chose d'intéressant à retirer d'une AG.
- Depuis un an, je me suis mis au VTT afin de diversifer une activité cycliste principalement axée sur la route.

Alain MERIGUET, copain de club et centcoliste, qui possède un appartement à Bourg-Saint-Maurice est sur place pour préparer l'ascension du Mont-Blanc (à pied) programmée pour la fn juillet. L'idée lui plaît ; il décide de louer un VTT et de m'accompagner dans l'aventure.

Le 22 Juillet, à 8h30, conformément au topo, nous donnons nos premiers coups de pédales à partir de Pourrières, un village situé à 1418m d'altitude dans la vallée du Chisone qui relie Sestrière à Turin. Nous avons choisi ce jour parce que la météo nous promet un temps magnifique. Nous sommes ainsi assurés d'échapper aux violents orages qui, remontant de la plaine du Pô, sont fréquents sur la région, et d'avoir une vue complètement dégagée sur tous les massifs. Pour nous échauffer et trouver notre rythme de croisière, nous empruntons sur 2 km un chemin goudronné qui grimpe en lacets jusqu'à Balboutet. La pente est sérieuse et les sacs à dos, qui contiennent les vivres et l'équipement nécessaires à une journée de montagne, nous paraissent bien lourds. Peu après la sortie du hameau, le goudron se termine et nous nous retrouvons sur une large piste empierrée, bien nivelée et pas trop abrupte, qui nous conduit gentiment à Piano dell'Alpe, grand plateau herbeux à 1900m d'altitude, où nous débouchons sur la fameuse route des crêtes que nous sommes venus affronter.

De cet endroit, il nous faut faire un aller et retour (8 km au total) au col delle Finestre. La piste, détériorée par les orages et les passages des véhicules tout terrain (autos et motos), est un véritable champ de pierres roulantes. Celles-ci constituent, en montée, la pire calamité pour le vététiste. Pour les éviter nous devons slalomer d'un coté à l'autre à la recherche des zones où l'adhérence est la meilleure. Nous avons beau mouliner, l'ascension n'est pas facile. Alain doit surmonter un handicap supplémentaire : l'indexation capricieuse de son dérailleur arrière. Il n'en aura que plus de mérite ! Mais, dans la fraîcheur et l'enthousiasme du matin, nous progressons à une allure très convenable. Environ 500 m avant le col, nous traversons un petit troupeau de vaches en alpage que leur propriétaire trait à la main, assis sur un tabouret en bois. Du col delle Finestre, en nous ravitaillant avant de faire demi-tour, nous photographions les lacets impressionnants qui plongent vers Susa. La redescente sur cette route pleine d'embûches n'est pas vraiment reposante car il faut rester concentrés en permanence. Revenus à Piano dell'Alpe, nous nous arrêtons à la fontaine, seul point d'eau du circuit, pour refaire le plein des bidons qui nous seront nécessaires pour compenser la sueur qu'il va nous falloir verser.
Il est 11h ; sans plus attendre, nous partons à l'assaut du col de l'Assietta, principale difficulté de la randonnée. Nous sommes dimanche et beaucoup d'italiens ont décidé de profiter du beau temps pour aller marcher ou simplement pique-niquer en montagne. Les véhicules à moteur (4x4, voitures ordinaires, motos) sont assez nombreux sur la piste ; ils ne sont pas dangereux car ils roulent plutôt lentement mais ils sont tout de même gênants à cause des nuages de poussière qu'ils traînent derrière eux. La montée comporte quatre portions successives. Les trois premiers kilomètres (7 % en moyenne) recèlent quelques rampes un peu abruptes mais, lorsqu'on commence à arriver dans le rouge, une portion quasiment plate d'environ 2km tombe à point pour se refaire la cerise. Nous nous accordons une courte pause pour contempler la belle vallée du Chisone avec, tout au bout, Sestriere, là où nous allons. La troisième partie est franchement coton en raison des forts pourcentages (10 % en moyenne) et du mauvais état du chemin. Plus la pente est raide, plus le ruissellement augmente et plus les dégâts causés à la route sont importants. Ce processus naturel est absolument logique mais néanmoins très nuisible au moral et au physique du vététiste grimpeur. Lorsque nous arrivons enfin au col, Alain résume sa perception de la situation dans une formule percutante : "C'est pas un col de pédé, I'Assietta !" Un jeune italien sympa, arrivé à VTT par l'autre versant, nous tire le portrait devant la pancarte qui affiche fièrement une altitude de 2472m. Après avoir admiré le paysage, il faut se remettre en selle pour continuer à grimper. En effet, le col est un point bas sur la ligne des crêtes que suit la route. Il nous reste encore 1,5 km à 6 % pour accéder à la Tête de l'Assietta, point culminant du circuit (2567m). Lorsque nous y parvenons, nous décidons, vu l'heure, de nous y arrêter pour casser la croûte. Dans un décor grandiose, une pelouse constellée de fleurs alpines sur un repli de terrain au soleil et protégée du vent, sera notre salle à manger.

Nous ne nous attardons pas sur le site car il nous reste encore pas mal de chemin à faire. Dans l'euphorie de la descente nous franchissons allègrement les cols Lauson et Blégier avant de buter sur un sérieux obstacle, le mont Génévris en l'occurrence. L'escalade (2 km à 6 %) pose de gros problèmes car la piste est à peine cyclable. Entre les pierres et les ornières suffisamment profondes pour ensevelir un VTT et son pilote, nous frôlons plusieurs fois la chute. Au sommet, nous descendons de vélo pour nous remettre de nos émotions et jouir du panorama depuis ce belvédère. Les restes d'anciens forts militaires témoignent de l'importance stratégique que ces crêtes ont dû avoir dans l'histoire. Des Italiens arrivant de Sestriere à bord d'une voiture conventionnelle (non 4X4) et constatant l'état lamentable de la route, nous demandent s'ils vont pouvoir continuer. Nous leur conseillons de ne pas tenter le diable et de rebrousser chemin. Le fait que des cyclos soient passés par là avec des randonneuses, fussent-elles en 650 B, et sacoches nous laisse perplexes ; à moins d'accepter de marcher à pied sur un quart du parcours, l'aventure nous paraît des plus aléatoires.

Ce gros morceau avalé, il nous faut maintenant le digérer. La descente sur le col de Costa Plana va nous y aider. A 2300m, nous abandonnons les paysages dénudés des hautes altitudes pour retrouver quelques sapins. Par endroits, des petits filets d'eau coulent en travers du chemin. Cette humidité est juste suffisante pour transformer la poussière accumulée sur nos machines en une boue bien collante. Au col Bourget, où nous nous arrêtons un instant pour prendre une photo, l'herbe rase et drue comme une moquette nous invite à une petite sieste mais nous résistons à la tentation. Nous savons en effet qu'il nous faut encore donner un bon coup de collier afin d'accéder au col Basset. La route taillée dans des schistes ardoisiers est noire comme du charbon. Un kilomètre avant le col, nous arrivons à un carrefour de pistes ; alors que, carte sous les yeux, nous hésitons sur la direction à prendre un couple de marcheurs arrive opportunément pour nous indiquer le bon cap. Une dernière rampe nous amène au col (2424m) point de départ de nombreuses pistes de ski. Ouf ! ll n'y a plus qu'à nous laisser glisser jusqu'à Sestriere.

Cette descente de 7 km dans les caillasses nous paraît interminable. Elle se révèle terriblement éprouvante ; pas pour les mollets mais pour les nerfs et pour les mains crispées en permanence sur les leviers de freins. Alors que nous entrevoyons la patinoire de Sestriere et la fin de nos souffrances, je perçois les symptômes caractéristiques de la crevaison. C'est, bien entendu, de la roue arrière qu'il s'agit ; il faut donc mettre les mains dans le cambouis et, comme les cartouches de gaz carbonique ont été oubliées à la maison, s'infliger une séance de musculation des biceps pour regonfler le pneu. Juste après nous retrouvons le goudron à l'entrée de la station dont de grands panneaux nous annoncent qu'elle accueillera les Jeux Olympiques d'hiver en 2006. Nous apprécions une petite collation dans un bar qui accepte les francs comme moyen de paiement et reprenons la route pour dévaler, en roue libre, jusqu'à Pourrières où nous arrivons à 15h55. Grâce soit rendue au Maître René POTY pour cette belle et rude journée !

Georges LONGY N°3612

de LIMOGES (Hte-Vienne)


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