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Le chien, ami ou ennemi du cycliste ?

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En villégiature à Sorèdes, début septembre, je profite du beau temps pour aller sillonner les Monts Albères, quadrillés de nombreuses pistes et sentiers de randonnée menant vers une foultitude de cols, pas très hauts certes, mais qui ne se laissent pas franchir si facilement.

C'est ainsi qu'au petit jour d'une de ces belles matinées consacrées à la conquête de ces cols, j'achève la descente de celui de l'Espinas, situé dans la forêt de Sorèdes en limite de la Vallée Heureuse. A l'instant du franchissement d'un passage pierreux, V.T.T. à la main, j'entends à quelque distance, des aboiements. Je n'y prête pas une attention particulière lorsque je me retrouve bientôt face à une chienne à l'allure mi chien-loup, mi husky. Elle se dirige vers moi sans animosité, me semble-t-il (elle n'a pas le poil hérissé, ni les babines retroussées), je lui parle aussitôt et tente de la caresser quand elle arrive à ma hauteur. Caresse acceptée, ouf ! Arrive sur ces entrefaits une deuxième chienne, de race boxer. Même comportemcnt, même réaction de ma part.

Tout est O.K lorsque je repars, les chiennes sur les talons, vers le hameau tout proche de la Fargue pour y retrouver le goudron. Alors que je pensais qu'elles resteraient près des maisons, les voici qui entreprennent de m'escorter sur la large piste qui va me conduire sur les crêtes, distantes d'environ 9 kilomètres. Durant le trajet, "la croisée" furète allègrement, truffe au vent : elle s'arrête parfois, intriguée par le ballet des papillons qui volètent de fleur en fleur. La boxer, plus réservée, trottine à quelques mètres de moi, lorsqu'au détour d'un lacet, j'aperçois quelques vaches en quête d 'une herbe rase. Les deux chiennes s'arrêtent aussitôt et... m'attendent pour se décider à repartir en m'encadrant.

Elles ont manifestement peur des bovidés, la scène se reproduira plusieurs fois, car il y a d'autres troupeaux en liberté. Cela me rappelle la Corse. Premier arrêt à la fontaine de la Taragnède pour m'y désaltérer, ainsi que les chiennes. Des randonneurs pédestres, accompagnés d'un labrador, approchent : les animaux s'observent un court instant et finissent par sympathiser.

Je rappelle mes compagnes car je dois gagner le GR 10 afin d'y rafler 8 cols situés en plein sur la crête, à cheval entre la France et l'Espagne. Le sentier, souvent bien marqué, va me permettre de rouler assez facilement sur de nombreuses portions. J'atteins le col del Faig quand, sans crier gare, la boxer se met à essayer de mordre ma chaussure droite puis le pneu avant de ma monture. Je m'arrête aussitôt et l'invective, me demandant quelle mouche la pique. La "croisée" revient alors vers nous en aboyant et se précipite vers sa copine qu'elle bouscule. Pas de doute, elle l'engueule ! La scène se reproduira trois fois avec immédiatement la même réaction de la "croisée". Je pense qu'en fait ce sont les roues en action qui énervent la boxer. Je profite de cet arrêt pour les photographier sur fond de radiophare du Pic Neulos. Alors qu'agenouillé dans l'herbe je m'apprête ensuite à cadrer l'imposant castillo de Requensens, gardien de la vallée espagnole, la boxer vient planter son museau devant l'objectif et me lèche la main. Sans doute pour se faire pardonner.
Mes nouvelles amies vont me suivre jusqu'au pic des Quatre Termes, longé par un long et haut grillage rouillé qui matérialise la frontière. Peut-être un vestige des heures sombres de l'histoire espagnole ? Ce promontoire offre un panorama de toute beauté sur la côte Vermeille et les coteaux de Banyuls avec en premier plan, gardiennes des lieux, les tours de la Massane et de Madeloc.

De là, je rejoins le col des Trois Hêtres en cheminant à travers une haute futaie très aérée. Un quignon de pain abandonné près d'un panneau d'information fait les délices de la "croisée". Elle n' en laisse pas une miette à sa copine qui la regarde d' un air de reproche. J'avais prévu de regagner la vallée par le col d'Aranyo et le village de Lavall mais, en agissant ainsi, je prends le risque de perdre les chiennes et de les laisser errer dans la montagne. Aussi, je décide de faire demi-tour et de les ramener à la Fargue en utilisant, cette fois-ci, la piste carrossable qui passe par le col d'Estaque et la fontaine d'Orry.

Je dois m'arrêter de temps à autre car maintenant, en descente, les pauvres animaux ont du mal à me suivre. La "croisée" reste aux cotés de la boxer alors que, manifestement, elle pourrait courir plus vite. Un petit abreuvoir juché sur des blocs rocheux à environ 1m50 du sol et alimenté par un mince filet d'eau attire mon attention. J'y fais halte pour que les chiennes puissent boire. J'ai à peine posé le V.T.T. contre le talus que la "croisée" bondit dans l'abreuvoir et s'y plonge avec délectation, faisant allègrement déborder le précieux liquide. Elle en avale de grandes lampées tandis que la boxer doit se contenter des flaques boueuses du fossé. La situation est d'une telle drôlerie que je ne peux m'empêcher d'éclater de rire tout en m'empressant de fixer cet instant privilégié sur la pellicule. Son bain terminé, elle s'ébroue vigoureusement et m'asperge copieusement ! J'appelle alors la boxer et l'incite à s'abreuver à son tour.

Cette pause a revigoré mes compagnes qui repartent dans la descente caillouteuse jusqu'à La Fargue où je les attends pour la dernière fois. Elles s'allongent de tout leur long sur la berme et peuvent enfin reprendre haleine. Elles ont, c'est à peine croyable, parcouru à mes côtés 33 kilomètres et franchi 8 cols. De futures adeptes du club des Cent Cols ! Pendant ces quelques heures, je me suis senti heureux en leur compagnie, mais il me faut les quitter dans le hameau de notre rencontre.

Je dois avouer que c'est avec un pincement au cœur que je regagne Sorède après leur avoir prodigué moult caresses.
Trois mois plus tard, alors que je randonnais dans ma région, en pleine descente, un bâtard de chien-loup s'est précipité au-devant de moi pour me mordre. Je n'ai dû mon salut qu'en lui décochant un magistral coup de pied, ce qui m'a déséquilibré. Je me suis retrouvé éjecté, le vélo à la main, en train de déraper des deux pieds sur la chaussée. C'est par miracle que je ne me suis pas affalé ; quant au clébard, il n'a pas demandé son reste.

Alors, le chien : ami ou ennemi du cyclo ?
Les deux, assurément !

Jean-Jacques LAFFITTE N°604

d'IRLEAU (Deux-Sèvres)


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