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Le col du Portet

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Certain que la météo n'allait pas s'arranger dans la nuit, je n'ai pas actionné les commandes de rempaquetage avec enthousiasme. Une fois les volets entrouverts, le ciel ne m'apparaît pas très incitatif à une débauche d'efforts. Et puis nous sommes dimanche ! Et je n'aime pas rouler le dimanche en voyage itinérant. Il n'en faut pas plus pour que la décision soit prise illico : " Je coupe ! " Enfin presque : on ne va tout de même pas laisser de côté un plus de "2000" sans aller le courtiser ! Le col du Portet et ses 2215 mètres monte tout de même 100 m plus haut que le Tourmalet et se trouve être tout simplement le second col routier français des Pyrénées derrière le Port de Boucharo, ex aequo avec le col des Tentes !

Un argument imparable qui, une fois le petit déjeuner pris très tranquillement, et la chambre à nouveau réservée pour la nuit suivante, je m'élance vers une ascension dantesque ! Il s'agit ni plus ni moins que de l'escalade, jusqu'à Soulan, du fameux Pla d'Adet cher aux Géants du Tour. Une escalade qui d'entrée, après le charmant village de Vielle Aure et sa superbe église romane, justifie la cohorte de "2 chevrons" distribués tout au long de la D 123 par les carto-graphes de Michelin !

Nous dirons entre 8 et 12 % sans débander - pardonnez l'expression ! Sous un ciel menaçant, qui gronde même dans un lointain noir d'encre, j'avance le plus cool possible, tâchant de conserver un semblant de rythme qui n'autorise aucun instant de répit. Et quand je pense qu'à l'origine, j'avais prévu cette grimpée avant de repartir dans la foulée vers Peyresourde et l'Espagne ! Peyresourde peut-être mais après "basta" !

Plus l'on s'élève, plus le frais nous accapare. Vent sifflant et gênant, gouttes d'eau en préambule de ce que sera la suite, le ciel d'une beauté tourmentée ne laisse pas grand chose à découvrir en son horizon bouché ; le tableau " s'apocalyptise" au fil des hectomètres péniblement arrachés à la pesanteur. Seul au monde, je pense à un bon café fumant avec un croissant alors que le Pla d'Adet et ses immeubles se dessinent avec de plus en plus de précision. L'arrivée dans le bourg de Soulan est alors vécu comme une provisoire délivrance du feu musculaire allumé par cette forte déclivité.

Un village bien calme même... J'ai beau tourner la tête à droite, à gauche, rien ! Pas le moindre café, encore moins de commerces. Tout est figé ici, y compris l'eau de la fontaine du centre qui coule sans bruit ! Carte sous les yeux, je vois "Espiaube" et ses remontées mécaniques. Cap vers l'Espiaube en question... Ca monte ça monte encore plus !

L'environnement change soudain. A cette altitude, la caillasse et la végétation rase font leur apparition. Les étendues s'évadent alors vers des lignes enneigées de plus en plus escarpées. Je laisse sur la gauche la route du Pla d'Adet et me retrouve aussitôt en plein cœur d'une station de sports d'hiver muette comme une chambre mortuaire.

Quelle étrange impression que ces hôtels fermés, ces commerces vides et ces remontées inertes ! Ambiance " Il était une fois dans l'ouest ", soleil et harmonica en moins, mais tout aussi oppressante.

Mon vieux, pour ton café-croissant, je crois que tu repasseras !
Quelques câbles métalliques claquent sous l'effet du vent. Près de l'abri où je m'engouffre histoire d'avaler un morceau, des tonnes de skis sont entreposées derrière une vitrine. Bref, ici, personne n'a rien à fiche d'un pékin à vélo, qui plus est, par cette température hivernale l Et comme en fait, il n'y a personne...
A partir de là, commence véritablement l'ascension sauvage du Portet, celle qui continue à me laisser seul au monde dans un décor irréel. C'est l'hiver en été !

Je n'ose croire que ce qui commence à virevolter de temps à autre parmi les gouttes soient des flocons ? Non, c'est la fatigue qui me donne des hallucinations ! Route assez défoncée par endroits, virages très serrés et pentus, moutons par centaines, se regroupant d'instinct afin de faire donner les calories animales... le Portet semble encore bien loin !
Voiture ! Incroyable mais vrai, cette présence humaine, même motorisée, me rassure quelque peu : je suis toujours sur Terre ! Une bétaillère est garée face à l'étendue herbeuse d'un vaste pâturage. Près d'elle, un jeune berger balaie l'espace à la jumelle. Arrêt.

"Vous surveillez le troupeau ?"
Réponse, avé l'assent rrroulant : " Comme il risque de neiger cette nuit, il va falloir veiller aux jeunes. Peut-être qu'on va même être obligé de les rentrer !" Ça promet...
Pour l'heure, c'est une pluie espacée, encore acceptable, mais très froide. Le col tarde ! J'ai l'impression d'en rajouter, et pourtant il se devine au lointain, noyé dans d'épais nuages de plus en plus foncés. Tunnel. J'actionne la lumière arrière au moment même où les roues restent plantées. Qu'est-ce que c'est ? Pied à terre dans le noir naissant : il s'agit tout simplement d'une épaisse couche d'excréments de moutons recouvrant la chaussée ! Le tunnel en question sert donc de dortoir ou d'abri en certaines occasions ! J'en profite pour rajouter quelques vêtements en vue des derniers hectomètres. Quant à rouler là-dessus, impossible. Je ne vous raconte pas le décrottage des chaussures à cales après l'opération !

Il faisait presque bon sous cette voûte de pierre ! Une senteur "campagnarde" un peu faisandée m'en titille encore les narines tandis qu'apparaît enfin ce col tant désiré. Surmonté d'une construction imposante et de remonte-pentes, le Portet est le lieu de passage du GR 10 qui traverse la chaîne des Pyrénées et aligne ici même une dizaine de lacs dont le superbe (paraît-il) lac de l'Oule à deux pas de là, alimenté par la cascade de Couplan. C'est de là qu'arrivent les deux randonneurs qui s'engouffrent en même temps que moi dans la cabane de berger située à cent mètres. Trempés, exténués, ils déposent leur matériel et se changent aussitôt.

"Nous avons passé la nuit sous la tente, il n'a pas cessé de pleuvoir ! " Et cette pluie, les marcheurs, qui se frictionnent énergiquement le corps au gant de crin (outillés tout de même !), semblent l'avoir amenée avec eux : cette fois, il flotte dru ! Obligation de passer tous les "plastiques", surchaussettes et gants latex, pour entamer la descente ! Avant la manœuvre, et malgré le fort vent glacial, je ne puis résister à une ultime contemplation de l'environnement. Les sommets enneigés si proches, ce lac de l'Oule, et plus loin, celui d'Orédon et leurs cols muletiers que je ne verrai pas... mais cette inestimable satisfaction de m'être tout de même arraché au confort deux étoiles de l'hôtel pour venir jusque là ! Comme j'aurai bien mérité le bain bouillant et le déjeuner qui s'ensuivra !

C'est parti ! Mains au bas du cintre afin de bien faire gaffe à l'équilibre lorsqu'une bourrasque surgit d'un virage, je dévale prudemment ce qui fut si dur à escalader. Le tunnel ! M..., je l'avais oublié, celui-là ! Séance de marche obligée, miraculeusement éclairé un instant par une voiture. Cadeau des moutons et... re-décrottage des cales en sortant. Vent de plus en plus soutenu, pluie, freins souvent serrés au maxi, ça descend quand même assez vite. Dans le bas de la vallée, St-Lary se distingue à peine tant le plafond est bas ; la température gagne quelques degrés après Soulan, mais la pluie redouble et ce n'est pas sans peine que j'atteins enfin l'hôtel. Il est 13h. Les nombreux clients chaudement installés sous la terrasse couverte du restaurant assistent par la baie vitrée à mon délestage de vêtements trempés. Le vélo " couche " dans une remise tout confort et les fringues plastique pourront sécher sur un fil. Vite vite, l'escalier, la chambre, le bain qui coule à flot à toute vapeur... Plouf ! Il y a de bons moments dans la vie...

Gérard CLASSE N°3413

de KEMPER (Finistère)


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