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Du jus d'Orange à Menton

Revue N° 29 Page 78

Du 18 au 24 juillet dernier, j'ai pu participer en Provence à un voyage itinérant en compagnie d'un groupe d'une cinquantaine de cyclos dont une trentaine étaient citoyens des Etats-Unis d'Amérique.

Ce 18 juillet, au départ d'Orange en direction d'Apt, nous sommes un peu tendus, car déjà, le Ventoux est au programme. Heureusement que les sujets de diversion ne manquent pas : vignobles de Côtes du Rhône aux noms prestigieux comme Cairanne et Rasteau, champs de fleurs qui sèchent au soleil matinal et puis, ces Dentelles de Montmirail. Quelle splendeur ! Mais, toujours le géant de Provence semble nous lorgner et plus nous l'approchons, plus il se fait imposant avec son crâne pelé.

Le marché coloré de Vaison la Romaine nous oblige à faire un détour et nous permet ainsi de visiter le vieux pont qui a si bien résisté aux inondations de l'Ouvèze ; souvenirs de ces images atroces encore gravées dans nos mémoires.

A Malaucène, la pente s'accentue et les vingt et un kilomètres d'ascension commencent. Le vent est quasiment nul et il ne fait pas encore très chaud. C'est l'idéal ! Nous montons lentement certes, mais sûrement, équilibrant notre souffle pour ne pas nous mettre dans "le rouge". Je m'abreuve en abondance, car ici, pas question de manger sur cette pente abrupte et impossible de lâcher son guidon trop longtemps.

Au bout d'une longue ligne droite, une épingle à cheveu avec un radical changement de décor ; la végétation a complètement disparu, et la caillasse qui l'a remplacée réverbère les rayons du soleil et nous fait penser à un paysage lunaire. Au-dessus, les lacets se succèdent à perte de vue et n'en finissent pas. Mais où peut bien se percher l'observatoire ? Enfin, il se présente après 2h 15 d'ascension !

La descente sur Sault est un régal ; les champs de lavande éparpillent leurs tâches mauves et parfument toute la vallée. Le pique-nique improvisé de midi sous les platanes et les tilleuls est fort animé. Une paysanne installée sur le bord de la route propose une dégustation de cerises. Avec Bernard, nous nous approchons bientôt suivis par toute la troupe Franco-Américaine. Les mots s'entrechoquent, les conversations se croisent. Moments délicieux avec la confection de pendants d'oreilles destinés à Linda. Moments qu'il nous faut interrompre pour continuer notre périple. De loin, nous découvrirons les carrières d'ocre de Roussillon, avant de terminer cette inoubliable journée à Apt.

Charles, mon compagnon de chambre, a mal dormi de peur de rater le départ matinal. Peu importe, nous voici en direction de Rustrel et ses carrières du Colorado provençal surmontées de leurs coiffes de fées qui retiennent notre souffle. Les Américains, sourire aux lèvres, nous charrient gentiment : "ah ! si vous connaissiez notre Grand canyon ! C'est quand même autre chose !".

Sur les routes qui mènent à Gignac, les distilleries répandent l'odeur de la lavande qui nous enivre. Le col de la Mort d'Imbert se présente enfin. C'est en effet un bel endroit pour mourir, avec sa vue plongeante sur Simiane, accroché à la colline dont les pentes fleurent l'inséparable lavande, reine de ces lieux mythiques. Manosque, terminus de cette étape sera pour nous l'occasion de faire la connaissance de ses vieilles ruelles étroites et parfumées.

Après le petit déjeuner, avec Charles nous entamons la longue montée vers le plateau de Valensole. Nous croisons des charrettes remplies de lavandin. Quelques amandiers, ça et là, se dressent dans l'immensité plate avec en toile de fond, les contreforts des Alpilles. Le petit village élégant de Valensole, niché au creux du vallon, pourrait être une véritable oasis en ces heures chaudes, avec son avenue bordée de platanes plus que centenaires, sa fontaine fleurie d'où s'échappe une eau limpide et fraîche, et son très vieux lavoir (1681) en contrebas, qui accueille, en cette heure matinale, quelques touristes.
Nous ne visiterons pas Riez et ses colonnades romaines, car nous sommes attendus chez des amis à Puimoisson. Imaginez un petit mas au toit de tuiles canal, au bout d'un chemin de pierres, et planté au beau milieu des lavandes. L'intérieur baigne dans la sourde pénombre des volets mi-clos. Dans la grande salle, sur les meubles patinés, glissent de doux reflets et tout au fond de la pièce trône la grande cheminée surmontée de la traditionnelle poutre en chêne. Henri, le maître des lieux, qui nous guettait, s'empresse de nous ouvrir et Violette, douce et réservée, cache difficilement son émotion, trahie par ses yeux, tant elle est heureuse de nous revoir. Henri nous interroge sur notre périple et réclame force de détails techniques sur nos vélos pendant que Violette fait circuler des petits gâteaux au miel de lavande. Leur accueil chaleureux me poursuivra durant toute la journée, même lorsque le groupe se prélassera sur cette minuscule petite route, en rase campagne, bercé par le chant des cigales et complètement anesthésié par tous les parfums de la Provence. Digne, ville étape, est en vue ; comme je n'ai pas mon content de kilomètres, j'attaque le col du pas du Bonnet... Histoire d'en comptabiliser un de plus !

La journée commence par la dure montée du col de Pierre Basse, suivi d'un autre plus tranquille qui mène au col de Corobin. Dans la descente, nous croisons le train des pignes, célèbre teuf-teuf qui traverse des paysages inaccessibles par la route. Plus loin, Saint-André des Alpes affiche un air de station balnéaire, le lac de Castillon étale ses eaux bleu-vert et enfin, le pont romain de la Reine Jeanne nous servira de décor pour la photo de famille, immortalisée par Gaston.

A Annot, c'est la fin de cette quatrième journée. Malgré cela, Bernard m'invite à poursuivre jusqu'aux gorges de Daluis. Je ne le regretterai pas, car ici, c'est sublime : le Var serpente tout au fond de gorges profondes, entre des falaises déchiquetées de roche rouge érodée par le temps, qui évoquent des têtes de personnages et qui finissent par déboucher sur Guillaume. De retour à Annot, à l'entrée de la nuit, nous avons tout loisir de flâner dans sa vieille ville médiévale endormie et seulement bercée par le clapotis des sources souterraines qui la traversent.

Après une mauvaise nuit, sûrement due à la chaleur, nous démarrons tôt. J'ai enfilé mon coupe-vent car la route descend jusqu'à Entrevaux, ville fortifiée par Vauban. Dans le col de Saint Raphaël, je bavarde avec Ted qui attend Linda. Nous arrivons quand même à dépasser Billy, Joe et Mark qui souffre de maux intestinaux. Bientôt, la montée fait place à la route en corniche, nous laissant entrevoir des sites sublimes. A chaque virage, nouveau point de vue : village perché, montagne bleutée, pitons rocheux et genêts en fleur qui parfument l'air marin. Nous descendons vers le Var que nous traversons à Saint Martin du Var. Ces eaux sont peut-être celles que j'ai tant admirées hier soir dans les gorges de Daluis !

Nous supportons la montée de la Turbie parce qu'au sommet il y a espoir de trouver une bonne bière réparatrice. Depuis la descente de la Grande Corniche, entre bougainvillées, palmiers et mimosas, on peut facilement contempler le Rocher de Monaco et son port où se prélassent les somptueux yachts et le Palais princier.

Dernier virage et nous voilà en bordure de mer en plein Menton. Les estivants, nombreux et indifférents nous regardent défiler. Peuvent-ils savoir ou voir dans nos yeux le film de notre voyage qui se termine ici ? les paysages traversés, les grands moments de franche camaraderie ou, parfois, les quelques instants de souffrance ?

Plus tard, j'ai échangé mon maillot de club contre celui de Ted. Il portera désormais les couleurs de Rouvroy lors de ses sorties à Palm Beach. Qui sait, peut-être irais-je l'applaudir en Floride ?

Serge HAPIOT N°3857

de ROUVROY (Pas-de-Calais)


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