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Tashi Delay ; bonjour !

Revue N° 29 Page 64

Nous rentrons du Tibet. Tout y est intense : le soleil et le froid, la beauté exceptionnelle des hauts plateaux, l'aridité des terres et le cœur des hommes. Parmi les éléments qui rendent le "Toit du monde" si particulier et attachant, la chaleur des maisons et du thé au beurre de yack, la richesse des rituels et la ténacité d'un peuple qui refuse de mourir. Depuis quelques mois, nous souhaitions nous rendre dans ce pays, otage de la Chine, mais ici, on ne voyage pas à sa guise. La liberté des "amis étrangers" est sujette à quelques restrictions, se résumant en un seul mot : Interdit. Interdit de voyager individuellement, interdit d'être hébergés chez les Tibétains, interdit de sortir des zones ouvertes... Il semble que si voyager à bicyclette n'est pas officiellement autorisé, c'est généralement toléré.
Et si nous reliions Llassa à Kathmandou à vélo... ?

...Dès la première consultation de la carte, la perspective de franchir de hauts cols nous motive encore davantage. Le profil de la route, tout en dents de scie, finit d'éveiller notre curiosité. Quoi de plus exaltant que l'idée de pédaler à une altitude parfois supérieure au Mont Blanc ?

Dans notre tête, nous sommes prêts ; achat des billets d'avion, quelques formalités et travaux sur nos VTT qui devront supporter une charge importante ; et c'est le départ !

Llassa, à 3700 m d'altitude, est une ville fascinante. On marche comme aspirés par la foule qui s'approche du temple sacré du Tibet. Le Jokhang est le cœur du monde Lamaïque ; la chapelle principale abrite une statue de Bouddha dans sa forme de gloire : le Jowo. Pouvoir contempler cette statue une fois dans sa vie, est le souhait le plus cher de chaque Tibétain, ainsi assuré d'une réincarnation dans un état supérieur. C'est pour rendre hommage à Jowo que les pèlerins entreprennent le voyage vers la capitale. Sur les dalles polies du Jokhang, ils se prosternent en se jetant au sol. Chacun est "enfoncé" dans son geste de dévotion, d'une précision millimétrée... Et c'est ce geste de dévotion que les Chinois tentent en vain, d'anéantir.
On se glisse dans la foule qui accomplit la marche circulaire et sacrée sur le Barkohor, caressés par le son des mantras : "Om mani padme hum". A Llassa, même le plus athée des hommes admire la foi des autres et cette foi crée le doute...

A peine avons nous quitté Llassa, la Khata (longue écharpe blanche rituelle) autour du cou, que nous avons la nostalgie, mais l'attrait de l'aventure qui nous attend, nous pousse en avant. Pendant plus de deux semaines nous pédalons sur les hauts plateaux. L'asphalte est rare, la boue fréquente. Aux cols, les cairns s'empilent et les drapeaux de prières claquent au vent. Chacun y abandonne son offrande : ici un drapeau, là une corne de yack ou quelques roches gravées.

Pour quelques yuans, nous passons de frustes nuits : "l'homme n'est pas fait pour le confort, tout comme la chèvre n'est pas conçue pour la plaine" (proverbe Tibétain) . L'hébergement est très sommaire, mais jamais nous n'avons eu à monter notre tente. L'accueil est chaleureux, notre mode de transport crée l'attraction et se révèle un excellent moyen d'entrer en contact avec la population. Nous n'oublierons jamais la joie d'un jeune paysan abandonnant son labeur pour faire un tour sur un de nos vélos, ni ces gosses un peu curieux commençant à visiter nos sacoches.

Après avoir traversé des paysages minéraux privés d'arbres, dans une palette des couleurs de la roche, nous voilà sous des pluies de mousson en arrivant au Népal. Après 4500 m de dénivelée descendant, nous nous retrouvons, complètement abasourdis dans la délirante circulation de Kathmandou, au milieu des camions, bus éreintés, mobylettes pétaradantes...

Nous avons parcouru 1000 km, nous avons déjà oublié nos souffrances au passage des six cols, dont deux à plus de 5000 mètres.

Nous sommes heureux et commençons à rêver à notre prochain périple.

Annick SALLET N°5054

de LANCRANS (Ain)


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