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Cette grimpée-là, mon vieux, elle est terrible !

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Ah que oui alors, qu'il est terrible ce col ! Plus que çà même, il aura été l'enfant terrible des cols, fermé aux cyclistes sur son versant sud, panneaux géants à l'appui. En cause, ses tunnels non éclairés, à l'origine d'une multitude d'accidents lors du Giro 1989. D'où, à 2483 mètres d'altitude, tel un Noël interdit, des pentes longtemps vouées au pénitencier de la frustration cyclo. Sauf, bien sûr, pour les baroudeurs en proie au flagrant délit de col-ite aigüe...

Mais cette année, allez savoir pourquoi, puisque les tunnels sont toujours là et aussi sombres que jadis, les panneaux ont été ôtés. Çà ne change pas un homme ? Que si ! Tellement même que l'épouvantail alpin, comme s'il avait oublié de vivre toute une décennie, n'en finit plus d'attirer les amateurs de rampes inédites. Non loin du Brenner, ainsi cartonne le Passo di Rombo ou Timmelsjoch en faisant le grand écart entre l'Oetztal autrichien et le Val Passiria italien. Imprononçable, tout çà ? Pas plus que Wap Doo Wap ou Kili Watch aurait dit Philippe Smet s'il n'avait préféré le twist à la cycl' and bike attitude. Et étonnamment proche de nous, puisque moins distant de cent bornes d'un Galibier avec lequel il soutient aisément la comparaison.

Quasi himalayen le Timmels, surtout sur son versant italien, où depuis San Leonardo à 688 mètres "sopra la mare" (aussi au pied du Passo di Monte Giovo à 2099 m. : les plus de 2000 pullulent dans le coin...), la pente jamais guère prise en défaut de raideur, n'a besoin que de 28 kilomètres pour engranger une dénivellation de 1800 mètres! En fait, avant de faire face, on sera bien avisé de chauffer un peu la machine en partant de Merano, à peine plus loin et plus bas pour un petit supplément bénéfique aux muscles engourdis. Car dès la sortie de San Leonardo, on a droit à la douce violence de toute la musique qu'on aime : les raidars à répétition, les tunnels, les épingles à cheveux et les virages relevés à y buter du front...

Pire, après le lieu-dit Belprato et son ultime point d'eau, c'est pour de bon qu'on s'allume le feu. Et à défaut d'un moulin de Cadillac sous le capot, le 30 dents s'impose si on veut arriver un jour en haut. Souvenirs, souvenirs, la succession des rampes qui strient alors le versant de la montagne n'est pas sans rappeler le phénoménal Stelvio ou l'imposante Furkapass. Si bien qu'au bout d'une tienne plus longue et plus relevée que les autres, on se surprend à peine à toiser, comme d'un mirador, les glaciers du Similaun d'où émergea il y a peu la carcasse momifiée d'un randonneur préhistorique qu'un VTT aurait peut-être sauvé. Enfin, après quelques autres, vient le fameux tunnel de l'angoisse. De fait, avec ses 550 mètres de long et son absence de tout éclairage, ce n'est pas une sinécure. Et vu qu'en son beau milieu, effectivement, noir c'est noir ; si on n'est pas équipé d'un phare halogène, mieux vaut le parcourir à pied. Parvenu à son extrémité, on ne retient pas la nuit et on est heureux, sous le soleil, de renaître dans la rue pour la fin du voyage...
Quant au versant autrichien, beaucoup plus long avec 55 bornes depuis Oetz pour une dénivellée totale inférieure de cent mètres, est-il pour autant moins difficile ? Pas sûr. Car les 31 premiers kilomètres ne menant qu'à 1350 mètres d'altitude, on comprend vite que le solde de 24 bornes pour l'ascension restante eut encore été très raisonnable si, après un replat de quatre kilomètres, la route ne redescendait fortement avant le poste de péage (pas pour les vélos). D'où, par compensation forcée, dès la sortie d'Obergurgl, des pentes, pas à sang pour sang, mais quand même bien à seize, propres à dissuader Charlie de courir plus vite. Et dans la combe finale, un interminable escalier où, pédaleur abandonné, le cyclo, pour n'avoir pas été un charpentier et s'être taillé des mollets durs comme du bois, apprend ce que c'est que les coups : ceux du vent qui, comme une avalanche invisible, lui font payer cash tout signe extérieur de vitesse... Bref, chemin long mais apnées courtes, c'est le genre.

Plutôt secouante, l'ascension du versant autrichien peut pourtant être payée de ses efforts si elle prélude à une traversée complète du site. En 120 bornes "aller simple", de la petite ville tyrolienne très ordonnée de Imst, jusqu'aux palmiers joyeusement aguicheurs des boulevards de Merano, on s'extrait alors d'un environnement alpin sub-nordique pour plonger sous un climat pré-méditerranéen. Et l'infernal Timmels-Rombo de revêtir alors des attraits qu'on ne lui soupçonnait pas. Ceux d'un amour d'été.

Michel LALOUX N°2417

d'OBOURG (Belgique)


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