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Un col norvégien

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A cette heure matinale, Sand sommeillait encore. Au sommet de la colline l'église en bois, toute blanche, semblait veiller sur toutes les maisons, blanches elles aussi. Je n'attendis pas bien longtemps le ferry qui devait m'emmener sur l'autre rive du fjord.

Pour rejoindre Roldal, terme de l'étape que je m'étais fixé, deux routes m'étaient offertes et j'avais repoussé jusqu'au dernier moment l'instant de ma décision : "on verra demain matin, selon la météo!" En fait, le choix était truqué d'avance ; il était évident que je choisirais la petite route de montagne que l'imprécision du tracé sur la carte rendait plus mystérieux. Peut-être pourrais-je même m'offrir un nouveau col ?

Scrutant l'autre rive, je ne vis aucune route. Le guide affirmait pourtant qu'elle devait suivre le fjord sur 30 km. Et tout là-haut, m'apparut enfin la fameuse petite corniche...et les 30 premiers kilomètres ne furent pas le parcours reposant que j'avais envisagé. Quelle importance, après tout ? et puis, cette vue aérienne sur le fjord, quel spectacle !!!

De la ville, m'apparut, au premier abord, une grosse usine de métallurgie qui, vous en conviendrez, me sembla tout à fait incongrue dans ces paysages enchanteurs. J'étais arrivé à Sauda ; ce qui me suscita une envie pressante de me désaltérer. Sans m'attarder davantage, je retrouvai bien vite une campagne verdoyante, calme et paisible.

Comment cette route allait-elle pouvoir se diriger sur la droite comme l'indiquait la carte, alors que la montagne semblait n'offrir aucun passage ? Mais au dernier moment, s'ouvrit une gorge étroite que la rivière avait creusée avec infinie patience, chose dont les hommes avaient habilement profité pour y faire passer une route. Elle s'insinuait parmi d'énormes blocs de rochers dans un décor de cascades. L'eau jaillissait de partout et je ne savais plus où donner du regard. Malgré l'âpreté de la pente, je ne ressentais aucun effort, fasciné par le spectacle. Je finis enfin par déboucher dans une minuscule vallée où se nichait le village de Storli avec ses quelques maisons éparpillées parmi les prés et les bouquets de conifères.

Une barrière (levée) marquait le début de la route interdite au trafic en saison hivernale. Et, comme pour en justifier la présence, la pente se fit brutalement plus rude. Debout sur les pédales, j'accusai le coup, et après deux kilomètres de ce régime, la pause devint inévitable. J'en profitais pour me restaurer, pensant que cette nourriture avalée avec avidité allégerait mes sacoches. Les esprits retors me diront que je procède seulement à une nouvelle répartition des charges et que le poids total restait inchangé. Ont-ils oublié que mon repas va se transformer en énergie, et qu'ainsi, la pente allait me sembler moins dure ?
Finalement, il n'en fut rien ! Et les cinq nouveaux kilomètres restèrent toujours une infernale montée. J'arrivai quand même sur un plateau, fier du trajet accompli. C'était mal connaître les cols norvégiens ! Sous nos latitudes, un col commence en général par une montée et après le franchissement fatidique du sommet, ça redescend, ce qui fait qu'un col est un col. En Norvège, il en va tout autrement ; s'il commence en effet par une montée, la route devient ensuite une succession incessante de petites descentes et d'impitoyables raidillons. La route semble hésiter à parvenir au point ultime, comme pour raviver sans cesse l'appétit de l'imprudent qui s'y hasarde.

Pendant une heure et demie, je louvoyais ainsi dans un univers minéral de rochers et de lacs. Et à force de monter, c'était fatal, j'allais parvenir dans...les nuages !

Je ressentais comme une présence, un quelconque troll facétieux sans doute. Mais, cet épisode restait fugitif et je pus alors admirer pleinement la suite du fascinant spectacle.

Soudain, à la sortie d'un virage, s'offrit à moi, un panorama extraordinaire : à mes pieds, tout au fond d'une profonde vallée, s'étalait le Roldalsvatnet, lac d'un bleu très pur ceint de multiples villages reliés par une minuscule route qui tranchait sur le vert des rives. Je comprenais maintenant que j'avais franchi le col, mais, où se situait-il exactement ? Avait-il seulement un nom ? Je ne le saurais sans doute jamais.

De longues minutes furent nécessaires pour sortir du rêve, mais, la rapide descente me ramena bien vite à la réalité. Le charme se rompit définitivement quand je débouchai sur cette route vue de là-haut et dont je ne pouvais soupçonner la densité du trafic.

Entre Sand et Roldal, en Norvège, ai-je franchi un col ou était-ce une illusion ? Qu'importe, cette petite route de montagne, que peu de touristes auraient l'idée d'emprunter, restera pour moi l'un des grands moments du périple norvégien et cela, grâce à la magie du voyage à vélo.

Daniel GRANDGIRARD N°4516

d'ARRAS (Pas de Calais)


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