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Là où les coqs picorent

Revue N° 29 Page 12

Les colchiques fleurissent dans les prés. Et voilà qu'en cette fin de l'été, il me prend la fantaisie de descendre dans les Alpes pour faire le plein de "2000". Or, comme les matinées sont déjà très fraîches en haute montagne, je n'hésite pas à choisir les Alpes du Sud comme destination, en l'occurrence le Parc Régional du Queyras.

Pourquoi ce coin perdu aux confins de la France ? Elémentaire, mon cher Watson !
N'est-ce pas là, dans le mythique col de l'Izoard (2360m), que les forçats de la route ont écrit les plus belles pages du Tour de France ! Antoine Blondin, le célèbre chroniqueur du Tour de France, a immortalisé ce coin perdu de la montagne grâce à sa verve épistolaire. Pour illustrer un tant soit peu cet incomparable prince de l'équivoque et du calembour, excellant par ailleurs dans la contrepèterie, je ne citerai qu'un extrait de son ouvrage "Ironie du Sport".

Voici ce que lui avait inspiré la "Casse Déserte" dans les années cinquante.
" A un moment, on nous apprit que Robinson avait pris de l'avance ! Ce n'est pas le premier Anglais à penser que son avenir est sur le haut et Roule Britannia...L'ennuyeux, là, c'est qu'il n'était pas seul, parce qu'un Robinson sur une " casse déserte ", je ne sais si vous voyez d'ici fumer les capuchons de stylos. En fait, ce sont les capots des radiateurs, qui bouillonnaient, de vrais petits geysers giclant vers un ciel peuplé du cri des motards fous, du gémissement des coursiers, du craquement des châssis, car la vérité est qu'on montait, pneu à pneu, mais fermement. Et puis, au débouché d'un bois, la maquerelle, la vache, ce fut la "casse déserte", fumier ! ... "

Mais, il n'y a pas que l'Izoard dans le coin.Un seul col, aussi prestigieux fut-il, ne peut être à l'origine d'un séjour d'une semaine dans un petit village de montagne. D'autres adjuvants sont indispensables. A vrai dire, les circuits décrits dans les guides " TOPO Cyclo muletier" du Club des Cent Cols avaient piqué ma curiosité.

En élisant résidence à Château Ville Vieille (1380m), j'y ai trouvé largement mon compte, quoique, par le passé, je me fusse souvent frotté aux cols queyrassiens ainsi qu'à ceux du Gapençais et du Briançonnais.

En combinant route, chemin muletier et sentier, le randonneur est à même de se forger, au bout d'une semaine, une impression du Queyras qui tiendra la route.
Pour ma part, trois ascensions (parmi une foultitude) se démarquent des autres par "un je ne sais quoi" que je vous laisse le soin d'aller découvrir vous-même.

La première est la longue, la très longue montée vers la frontière italienne au col Agnel (2744m) via une digression muletière au Col Vieux (2806m). Le bouffeur de bitume plane, ici, aux anges. De Château Ville Vieille au sommet, la dénivellation moyenne est de 6,5 % pendant 21 km. De plus, il existe une boucle pastorale alternative à la voie directe qui aboutit à St Véran, un village fleuri de caractère. Les cadrans solaires, les maisons à greniers et les auvents en bois, de la commune la plus haute d'Europe, font la fierté des Queyrassins. Toutefois, pour peu qu'on se donne la peine de s'attarder dans les hameaux, il n'y en a pas un seul qui soit en manque de cachet ! A vos bons cœurs, messieurs dames les tamponné(e)s !
Le versant italien du col Agnel fait figure d'épouvantail avec ses dix derniers kilomètres pentus à +/- 10 % de moyenne.

La seconde ascension est un chemin muletier caillouteux (+/- 9 km) qui, s'écartant d'Arvieux (1545m) - route de l'Izoard - serpente sous les mélèzes qui s'éclipsent peu à peu pour faire place à un monde minéral jusqu'au col de Furfande (2500m). Les derniers kilomètres sont pentus à souhait. Au sommet du col, la découverte du Mont Blanc qui se cache derrière la brèche du col de l'Izoard, à l'horizon, est une récompense royale. Quant au refuge de Furfande, il sert de repère pour la descente dans les gorges du Guil.

En trois, le col de Fromage (2301m) est un monument incontournable pour le vététiste. Le col, bien aéré, se trouve au carrefour d'un nœud de sentiers de grande randonnée. Fait rare, il est accessible par les quatre points cardinaux. La montagne qui se dévoile, tant au levant qu'au couchant, est magnifique. Dernier point non négligeable : le balisage est parfait.

Le Sommet Bucher (2250m) et sa table d'orientation, les trente lacets du mur des Escoyères (1532m), le chemin de la chapelle de N.D. du Clausis (2390m), l'ascension des chalets de Clapeyto (2221m) et Haut-Risoul (1850m) entre autres, sont autant d'escalades qui font du Queyras une montagne à la hauteur des exigences du cyclo-randonneur.

Malgré le climat d'un air à transparence de cristal, les cols à gogo, l'absence de brouillard, les escalades à la pelle, le ciel bleu azur de la plus haute vallée des Hautes-Alpes, l'avalanche de raidillons, la contrée chargée d'histoire et de coutumes et la flopée de sentiers de randonnée, mon coup de cœur va sans hésitation au gîte "Les Astragales", du patronyme d'une fleur rarissime qui pousse à Château Ville Vieille. Le même gîte d'étape qui aurait dû m'héberger un lustre plus tôt sans une mauvaise chute dans le massif de l'Assietta.

Danielle et Pascal, les propriétaires des céans, se sont coupés en quatre pour rendre mon séjour le plus "cool" possible. En effet, après une longue journée de solitude à plus de 2500m d'altitude et ce, très souvent sur des sentiers à peine tracés, il était légitime que le randonneur aspirât chaque soir à se retrouver comme chez soi. A cet égard, je rends à Pascal ce qui lui appartient. Passionné de sports de montagne, il ne s'est jamais fait prier pour mettre les petits plats dans les grands. Danielle, pour sa part, surveille sans cesse l'assemblée de son regard perçant afin de ne rien laisser au hasard. Tous les commensaux doivent être satisfaits. On ne badine pas avec l'étiquette, aux "Astragales".

Pas de souci de vélo. Il est abrité dans une remise verrouillée. Le repas copieux et convivial, à un prix démocratique, est un des atouts majeurs de l'auberge. Car, il y a aussi des chambres d'hôtes pour les réfractaires au dortoir. Bref, en un mot, ce gîte a été la cerise sur le gâteau de mon séjour. Aussi, à toutes fins utiles, en voici les coordonnées :

Gîte " Les Astragales "
05350 Ville Vieille - Hautes Alpes- France

Quant à moi, je retournerai picorer les étoiles comme les coqs de la légende. Le Queyras me colle maintenant à la peau comme le goudron aux pneus de ma petite reine.

José BRUFFAERTS N°1997

de BRUXELLES (Belgique)


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