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Liaisons dangereuses en Biskaia

Revue N° 26 Page 46

Comme chaque année, Michel Mouget et moi-même avions programmé une semaine printanière en vélo de route afin d'épingler quelques nouveaux cols pour enrichir notre liste au Club des 100 cols.

Accompagnés par l'endurante Chantal Monnier, nous étions partis fin mai en direction du pays basque espagnol pour tenter de gravir plus de cent nouveaux cols au pays de Miguel Indurain, entre Bilbao et Pampelune.

Malgré un temps maussade, qui entraîna la réduction de certains parcours, nous pûmes escalader quotidiennement entre 10 et 20 cols sur des routes correctes. Et ceci tous ensemble...

Sauf le 1er juin où les choses se compliquèrent un peu ! Déjà le matin, au départ d'Urretxu (attention, la langue basque réserve quelques surprises...), sur les six cols programmés (Mandubia, Atagoéti, Astizaldea, Alto Pildin, Collado Santa Marina et Udana Mandatea) le quatrième col se révèle être un chemin blanc non revêtu !

Quatre kilomètres un peu délicats pour nos fragiles coursiers (qui pourtant en avaient déjà vu d'autres) et nous franchissons sans encombre le col en nous laissant glisser entre la grisaille de la piste et celle du ciel...

L'après-midi nous offre un ciel plus ensoleillé au départ de Tolosa. Sept cols au programme pour 60 km, pas de quoi s'inquiéter à priori...

Dès la sortie de Tolosa, nous nous retrouvons sur la route Nationale 1 transformée en autoroute. Après 5 km de folie et d'hésitations, nous attaquons une délicieuse route allant à Abaltzisketa (essayez de le dire sans respirer !) par une petite crête panoramique agrémentée de 2 cols.

La recherche du Col d'Arrimitéa au-dessus d'Amezketa pose un nouveau problème car nous l'avions situé sur la carte tout près du village, à quelques 200m.En réalité les 200m horizontaux deviennent 200m verticaux, ce qui n'est pas la même difficulté !

Après ces complications épuisantes, Chantal souhaite revenir au plus vite à l'hôtel et nous décidons de nous séparer au prochain carrefour, les garçons ayant encore trois cols à franchir...

Mais Chantal se trompe de carrefour et plonge dans la vallée sans nous avoir revus. Constatant son erreur, et la sachant tout près de l'hôtel (4 km), nous ne l'attendons pas... Mais écoutons son récit :

"Arrivée à la Nationale 1 je ne vis personne, du moins pas les cyclos que je cherchais. Alors je remontai... Oui , j'avais les cuisses un peu lourdes et pensais bien rentrer par le chemin le plus court. Mais, même face à la pancarte "Tolosa", lieu de notre hébergement, je ne voulais pas abandonner les garçons sans le leur dire. Alors je remontai... Arrivée au Carrefour, à l'endroit même où ça avait cafouillé, là où les garçons avaient malencontreusement disparu, je m'installai afin d'avoir une vue imprenable sur la route du dessous, et le carrefour du dessus. Et ce fut au tour du vélo que j'avais dans la tête de trotter. Je me fixais une heure d'attente : il était 18H00, je resterai ici jusqu'à 19H00, puis basta ! (on était en Espagne...)
18H30 : Personne. Un petit tour dans ce triangle qui ressemblait de plus en plus aux Bermudes et occupation d'un nouveau poste d'attente. Des vélos, des motos, mais toujours pas les garçons... Que s'était-il passé ? Comment avaient-ils pu prendre une autre direction sans m'avertir ? Pourquoi ne revenaient-ils pas aux nouvelles en ne me voyant pas arriver ?

18H45 : Basta. Ils ont dû abandonner l'idée de me retrouver dans ce sauvage pays basque espagnol. Nouvelle descente sur la Nationale. Cette route, rebaptisée Autopista, n'est pas interdite aux vélos (de toute façon il n'y a pas le choix). Quelle direction prendre ? Heureusement j'avais sur moi précautionneusement gardé la photocopie de la carte unique qui nous servait de guide. En route sur cette abominable et effrayante autoroute où les basques ont eu la bonne idée de faire une bande cyclable ? (ou bande d'arrêt d'urgence ?).

Tolosa. Quelques tours et demi-tours, l'hôtel est là. Toutes mes affaires sont prisonnières du coffre de la voiture dont les clés sont dans la poche...? Bref encore une heure d'attente... Enfin des pas dans l'escalier. Je ne m'attendais pas à une explication sur le comment du pourquoi on s'était perdu : "où ?" "là !". Mais non, j'ai eu droit à une franchise désarmante : ils avaient joué fin pour me perdre. Bref le porte-parole avait au moins une qualité : la franchise. Acte d'abandon qualifié avec préméditation, les jurés apprécieront... N'y a-t-il pas un cyclo qui disait que son seul vrai et fidèle compagnon était son vélo ? Alors merci à mon vélo de m'avoir ramenée ..."

Mais que faisaient donc les "traîtres" pendant ce temps-là ? Pris par la folie compétitive des dévoreurs de cols (virus incurable à ce jour, ayant déjà contaminé plus de 10 membres de l'A.L.L Cyclos...), ils négocient la dure montée d'Orexa pour constater que la route ne va pas plus loin alors, qu'une fois de plus, la carte indique une voie traversant la montagne...

Aucun chemin autour du village, et pas âme qui vive...

Grâce à leur solide expérience de 20 ans de cols cyclomuletiers en tous genres, tous terrains et tous temps, ils montent à pied à travers les pâturages jusqu'à la crête (200m de dénivelée) d'où ils découvrent dans un vallon caché une piste faite de bonne terre sèche roulable... Ils s'y lancent : là ils retrouvent le vrai beau vélo de la nature et de l'aventure pour lequel les pédales automatiques posent problème (pas vrai, Michel ?). Le col de Enchus Buvea, 690m, est franchi assez facilement vers 19H00 et ils basculent sur la face Est de la montagne pour reprendre le réseau routier classique, récupérer les deux derniers cols de la journée, plonger sur Tolosa par une belle descente de 12 km et retrouver leur Chantal un peu triste... mais qui eut vite fait d'effacer les souffrances physiques et psychologiques de l'après-midi...

Je crois même qu'elle envisage de revenir avec les fous des cols l'an prochain, autour de Barcelone...

Chantal MONNIER et François POUESSEL N°573

de LONS le SAUNIER (Jura)


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