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En habit de lumière

Revue N° 26 Page 33

"L'habit de lumière", c'est le nom donné au costume du toréador. Le costume qui fait d'un homme, anonyme dans la rue, la "star" de l'arène, la star dévorée des yeux par ses aficionados.

Nous, cyclistes de l'ombre, jamais sous le feu des projecteurs, jamais dans la lumière, anonymes parmi les anonymes des presque 10 000 participants de l'Ardéchoise 97, encore plus anonymes dans le peloton du Rallye de l'Hermitage (Drôme) ou dans celui de la panoramique d'Ozon (Ardèche), nous, anonymes, et heureux comme ça, nous aussi, nous revêtons "l'habit de lumière" sans ostentation et avec notre seul regard pour témoin.

Notre habit de lumière, ce sont notre cuissard, notre maillot, nos gants. Nous les revêtons chaque semaine et, quitté le bleu de chauffe, le bleu de travail, le costume trois pièces, le jean pull-over ou autres vêtements dont nous nous affublons toute la semaine selon notre position sociale ou professionnelle, nous aussi le week-end venu, nous sommes en habit de lumière. Combien de petits déjeuners (phase première de beaucoup de rites ), combien de préparatifs faits de gestes lents et mesurés, nous rapprochent du toréador qui se concentre et se recueille avant de revêtir l'habit de lumière et d'affronter l'obstacle.

Prenons une sortie au hasard, de préférence en direction de la montagne. C'est le lever et le déjeuner, l'oeil rivé sur la pendule de la cuisine pour ne pas être en retard au rendez-vous convenu avec le groupe ou avec l'inséparable compagnon de bitume. Ensuite l'adrénaline commence à monter avec l'étude du cheminement des nuages. Plus encore que la météo nationale, la couleur de notre ciel, l'inclinaison de la cime des arbres de la haie du jardin, tout cela nous renseigne sur ce que sera notre sortie du jour.
- Vent du sud, c'est décidé : cap au sud.
- Vent du nord, nous partirons donc vers le nord, pas trop près de la vallée du Rhône pour échapper au mistral.

Derniers préparatifs : la boisson énergétique est alchimiquement préparée. Le cuissard ajusté, le maillot tiré, la casquette vissée. Là enfin, nous sommes un autre, nous partons parés de l'habit de lumière. Une dernière pression du pouce sur le pneu pour nous rassurer quant au rendement de la bête, et dans le petit matin, la route est à nous avec le soleil pour projecteur géant.
Quelques kimomètres plus loin, c'est la montagne, et là, le cycliste est encore plus cycliste, le vélo est encore plus une partie de soi même. Au fait, avez-vous remarqué combien notre comportement et notre regard vis-à-vis des autres diffèrent selon la nature du terrain ?

En bas, dans la plaine, un certain ostracisme existe. Le possesseur d'un vélo haut de gamme est regardé parfois avec dédain. Du fait de notre position sociale, nous nous sentons plus à l'aise et plus en phase avec le cycliste juché sur un vélo de marque de diffusion courante qu'avec l'adepte du Colna. ou du Pina. (remarquez que l'inverse doit se vérifier tout autant). De la même manière, une tenue trop lumineuse (un habit trop de lumière) prête parfois à sourire.

N'avons-nous jamais pensé ? - "Pfeu" avec mon vieux maillot et mon bas de survêtement, ça ne m'a pas empêché de le laisser sur place dans le col du Rousset.! Ce n'est pas le cuissard fluo, ni les vitesses aux "cocottes" qui pédalent ! Tout à fait vrai bien entendu, mais ça, c'est pour la plaine. Là-haut vers les sommets, endroit de vérité s'il en est , ce sentiment n'existe plus. Il n'y a plus ni Pina, ni Colna, ni vélo de marque moins noble ou supposée telle. Il n'y a plus que des cyclistes en habit de lumière - Lumière couleur du maillot - Lumière couleur du ciel.

Lumière du plaisir de chacun de partager avec un confrère cet instant. Si nous sommes là, c'est grâce à nos mollets on le sait bien. On sait aussi que ce ne sont ni les leviers de vitesse, ni le cuissard fluo qui pédalent, ni le vélo non plus. Alors ce sentiment bas de la plaine laisse place à un sentiment plus élevé, celui de l'altitude, celui qui considère chaque cycliste (féminin ou masculin) selon sa seule valeur ; celle qui nous rapproche, celle de notre passion.

Patrick GIRARD N°3753

de ROMANS (Drôme)


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