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Deux cyclos au Vietnam

Revue N° 26 Page 12

"En hommage à Lionel Brans , cyclo-voyageur ayant effectué en 1948-1949, le périple Paris-Hanoi en 98 jours. Décédé en 1997 à l'âge de 81 ans."

Au lieu de relater le carnet journalier de notre séjour, nous vous proposons de vous faire partager nos découvertes et nos impressions sur ce pays asiatique.

Nous avons parcouru mille kilomètres à vélo, franchissant 19 cols en descendant la route Mandarine, dénomination de la nationale 1, qui est une véritable colonne vertébrale. Elle traverse du nord au sud le pays, entre la Cordillère Annamite à l'ouest et la Mer de Chine à l'est. Cette voie qui fut construite par la France sur 1780 kilomètres est le meilleur moyen d'aller à la rencontre du Vietnam millénaire, et le meilleur moyen de le découvrir et de le parcourir à vélo.

La route Vietnamienne est en réalité un espace de vie, à la fois salon, salle à manger, grenier. Toute la vie économique s'étale le long de la route : des commerces en tous genres, on mange, on joue au pilou, on travaille, on fait sécher le manioc, le riz, même les crevettes. De chaque côté de la route, la vie est essentiellement paysanne.

Nous sommes toujours salués par des enfants qui gardent les canards ou les buffles le long des rizières. La circulation se fait à droite, mais l'avantage est au plus gros. Les camions russes ou chinois, surchargés de marchandises, klaxonnent à tout-va afin de se frayer un passage entre les cyclos qui cheminent à la limite du ralenti.

Tout le long, nous rencontrons des véhicules en panne : cela va du bus 4x4 Renault de l'armée française, aux Dodges américains. Les passagers restent sagement assis à l'intérieur, la patience étant un trait marquant bien connu de l'asiatique. L'automobile neuve est japonaise ou soviétique. Elle est misérable.

Tous ces véhicules se tracent un chemin entre les animaux, les milliers de bicyclettes (surtout dans le nord et le centre), et les motos sur lesquelles sont juchés vivants des porcs, des canards, des fruits et des enfants. Cette foule libère au tout dernier moment le passage. Parfois un accrochage entre cyclos survient, mais ne déclenche pas d'insultes : on en rit. C'est là tout un art de tolérer l'erreur de l'autre.

A Danang, notre arrivée en ville à vélo à l'heure de la sortie des usines et des bureaux est extraordinaire. Nous sommes véritablement engloutis par la circulation cycliste, contraints à rouler à la même vitesse lente, dans une sorte d'entonnoir.

Les travaux routiers se résument à faire chauffer des bidons de goudron au feu de bois, à même les fûts. Des ouvrières viennent en prendre le contenu qu'elles répartissent sur le sol à l'aide de grosses louches. Ce sont toujours les femmes qui cassent des cailloux ou transportent des couffins remplis de terre, par des températures avoisinant les 30 degrés.

Après l'ancienne cité impériale de Hue, qui fut détruite par les combats de l'offensive du Têt en 1968, nous gravissons notre premier vrai col, celui des nuages, véritable échancrure dans la barrière montagneuse à 1219 mètres d'altitude. Une route qui part du bord de mer pour monter en lacets, bien goudronnée sauf au pied dégageant de beaux panoramas sur la mer verte et bleue.

Les camions et bus asthmatiques chargés, se traînent au pas, un gros réservoir implanté au dessus de la cabine faisant office de refroidisseur annexe par le biais d'un tuyau qui humidifie le moteur. Un "petit boulot" consiste à être vendeur d'eau dans les côtes, ces échoppes étant signalées par des tuyaux d'où l'eau jaillit en fontaine.

Le col des Nuages, ainsi nommé en raison des brumes qui s'accrochent souvent sur le sommet, constitue la séparation climatique entre le nord et le sud du pays. Lors de nos arrêts cyclistes dans les villages, nous déclenchons la curiosité des jeunes qui nous demandent en anglais d'où nous venons. En réponse nous leur montrons nos plaques de cadre.

Nous avons également circulé en cyclo-pousse, moyen idéal pour visiter les villes en un minimum de temps, en prenant soin de fixer à l'avance le prix de la course. Ces chauffeurs de taxi d'un autre genre ne comprennent pas que les étrangers, considérés par eux comme riches, se promènent à pied pour découvrir la vie locale, alors qu'il est si agréable d'utiliser ce moyen de locomotion. Dès la sortie de l'hôtel, ils vous suivent, sont là pour vous solliciter avec leur sourire embarrassant. Les cyclo-pousse servent indifféremment au transport des personnes, des animaux et des marchandises. Nos valises peuvent en témoigner pour les trajets du car à l'hôtel quand ce dernier est inaccessible à notre escorte.

Nous avons assisté à la construction à même le trottoir, d'un cadre de vélo fait avec des tubes de récupération, car tout se récupère. Un exemple : le maillon coupé en deux d'une chaîne, sert de passe-câble. Les couleurs du cadre sont rutilantes avec des filets ou des étoiles peints au pinceau. Les vélos transportent tout, de la plaque de marbre aux ballons multicolores, des fleurs au fumier, des personnes aux animaux.

Nous avons utilisé d'autres moyens de locomotion comme le train, afin de quitter la capitale du nord : Hanoi. Par la voie unique, nous franchissons par le pont Paul Doumer construit en 1902 par Gustave Eiffel, le fleuve Rouge qui va se jeter dans la huitième merveille du Monde : la Baie d'Along. Le train de nuit, aux fenêtres grillagées, nous amène en douze heures, à six cent kilomètres plus au sud. Nous avons un wagon réservé et voyageons en compagnie d'une souris. Le confort est des plus sommaires, nous nous couchons tout habillés. Le coin WC dispose d'une douche dont l'état suscite peu de succès. Nous cheminons au pas car la voie est souvent en réparation du fait des inondations des mois précédents.
L'hôtellerie est régie par le système privé ou étatique. Ce dernier est des plus spartiate comme le service assuré par une multitude de petites mains "glandeuses". La construction, faite par les frères soviétiques, est du style barre horizontale d'immeubles de l'Europe de l'Est, comme à la Baie d'Along. Nous acquittons le tarif "étranger", soit le double de celui pratiqué pour l'autochtone. Rien à redire sur le système privé. Les repas sont d'une très grande variété et de qualité. A midi, nous mangeons dans de petites gargotes où la cuisine est préparée et servie par la famille. Le soir, ce sont souvent de véritables festins de couleurs et d'odeurs. Chaque plat est soigneusement présenté.

Nous quittons la nationale 1 afin de prendre de l'altitude. Nous sommes partis du bord de mer pour un circuit de montagne, de 110 km. Une très belle étape par le col de Bellevue à 1500 mètres d'altitude. Nous traversons une campagne riche en plantations de caféiers, de théiers, de bananeraies et de cannes à sucre. Nous rencontrons de belles demeures dans la région de Dalat, lieu de résidence des colons français venant se ressourcer face au climat tropical de la plaine. A Dalat, Alain remporte un vif succès auprès des serveuses en raison de ses fossettes. Nous l'avons dès lors rebaptisé "petit Bouddha".

Pour s'imprégner des coutumes locales, une méthode consiste à visiter les marchés car ils sont un lieu de vie et de rencontre. Les étalages regorgent de marchandises sans prix affichés. Tout achat se fait par marchandage. Nous apprenons vite à négocier en dong, la monnaie du pays. Assises à même le sol, coiffées d'un chapeau conique et vêtues d'une tunique et d'un pantalon aux couleurs chatoyantes, les Vietnamiennes s'affairent dans les marchés d'où s'échappent les odeurs d'épices. Quant aux rayons boucherie et poissonnerie, mieux vaut avoir le coeur bien accroché !

Nous nous sommes fait racketter à Danang pour la visite des montagnes de marbre par des jeunes filles qui nous guident parmi les multitudes de marches d'escaliers. Après la visite des temples et de la grotte, nous sommes violemment incités à acheter au prix fort, des objets en marbre. A la sortie du site, nous assistons à la scène d'une femme qui note sur un cahier d'écolier le montant rapporté par chaque guide. L'exploitation criarde de ces adolescentes nous fournit une bonne leçon, à nous occidentaux.

Le Vietnam, pays à régime communiste, adopte pourtant une politique d'ouverture économique. Depuis 1994, la levée de l'embargo américain modifie le paysage urbain et surtout les mentalités. En effet, nous découvrons que même à Hanoï au nord du pays où s'élève pourtant le mausolée de l'Oncle Hô, un projet japonais prévoit, dans la proche banlieue, la construction d'un complexe immobilier composé d'un hôtel, d'un centre commercial, ainsi que d'un hôpital.

La route conduisant à la baie d'Along via Haïphong, est progressivement portée à deux fois deux voies. Cette transformation s'affiche plus clairement à Saïgon, où s'élèvent des buildings de bureaux. Toutefois, cette ouverture aux investisseurs étrangers (la France répare les ponts et les monuments historiques!) a un effet néfaste sur la population jeune, avide de jeux vidéo et de karaoké. L'achat d'une moto, pourtant onéreux, traduit une position sociale, mais l'argent provient des boat people ayant émigré aux Etats-Unis, au Canada ou en France.

Le tourisme se développe également par le biais des tours opérators qui utilisent les moyens aériens afin d'éviter les embûches des routes. Ces touristes-là ne visiteront jamais comme nous avons pu le faire à Phong Nga, la plus grande grotte navigable sur des petits sampans et à l'aide d'un projecteur tenu à la main. Une goutte d'eau nous a plongés dans le noir complet, et seules nos lampes torches ont guidé nos apprentis spéléologues.

Nous avons essayé d'être au plus proche de la vie locale, d'être à son écoute bien que 1% de la population sache parler français. Nos guides ont été d'une grande gentillesse allant jusqu'à la distribution d'une serviette rafraîchissante après un effort, et au remplissage de nos bidons, même l'aide-chauffeur du bus accompagnateur a nettoyé nos vélos.

Grâce au vélo, nous avons été les spectateurs d'un Vietnam à deux visages. Celui du nord où l'habitat construit par les français est inchangé, où la population est réservée, besogneuse, asservie. Dans les rizières, les familles s'activent au labour et à la plantation du riz. Celui du sud, où la population est plus gaie, rieuse, ouverte au dialogue, où les premiers buildings s'élèvent en ville, où les motos pétaradantes sont plus nombreuses, où dans les campagnes se déroule la moisson du riz.

La motivation pour ces voyages aux antipodes réside dans le désir d'échapper à cette contagieuse uniformisation planétaire de nos modes de vie et de pensée. Pour 1998, nous projetons de partir découvrir l'Amérique du Sud, et en particulier le Pérou, la Bolivie et son Altiplano. Si vous avez l'âme voyageuse, vous serez les bienvenus.

Didier BOVAS N°321

de NICE (Alpes-Maritimes)


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