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Sans faux col, s'il vous plaît !

Revue N° 25 Page 72

J'aimerais vous parler de ma première expérience cyclo-montagnarde en 1989.

" Pas durs. Deux petits, pour se mettre en jambes"... Pas d'appréhension, juste de l'impatience, une grosse envie d'enfant à assouvir immédiatement : ouvrir le paquet lorsqu'on a encore envie, ne pas attendre l'hypothermie du désir.

C'est parti. Il fait frais, soleil. Il fait bleu. Il fait beau. Les villages se succèdent, les poteaux de rugby apparaissent. On finit par arriver au pied de quelques grosses collines, suivies de monts plus importants. On se sent plus petit, enserré sur ce qui est devenu une minuscule route.

La première impression est le froid, plus exactement le vent froid qui arrive de face, s'insinue par toutes les fentes, passe à travers les mailles des vêtements. En fait, c'est un simple phénomène météo : l'air froid de la vallée étant attiré par la douceur de la plaine.

Un vieux moulin. Et depuis longtemps déjà un bruit d'eau, d'écoulement d'eau, un torrent, des torrents qui se jettent sur les pierres. C'est tellement présent, évident que l'on oublie que c'est là depuis des kilomètres, bref, que c'est nécessaire.
"Arette, c'est considéré comme col". (1) Tranquillement, on monte jusqu'à un plus de 400 m ; c'est régulier, sans à coups, en lacets, comme de la vraie montagne.

Sensation curieuse, légère euphorie, "ça monte tout seul". On appuie un peu plus, plus fort, pour voir... C'est déjà fini. Petite déception. Tout compte fait, c'est la descente que j'appréhende. Je n'aime pas ça, je ne suis pas kamikaze. Mais une fois en haut, il faut bien redescendre ! Et ça va bien vite tout ça, trop vite. Mon compagnon de route est déjà loin, c'est grisant...

"Tes fesses au fond de la selle, appuie sur le guidon!" Ça doit être la 358 ème fois que je me répète cette recommandation ! Ca va un peu mieux, mais qu'est-ce que ça secoue ! Les pieds quittent les pédales à chaque soubresaut.
"C'était pas un vrai col". "En fait , la route était bonne, très bonne même".
Le col de Lie, ce doit être un chemin de mule avec du goudron récupéré à la Seita. C'est défoncé comme un terrain de manoeuvre. Faut passer le 32 avant que ça tire trop.

Premier contact avec elle, cette montagne que j'attends depuis 20 ans ! Pas d'affolement. Ne pas forcer, ne pas piocher... Mais ça n'avance pas, je me traîne... Alors debout ! La danseuse se rassoit bien vite, avec le 32 on tourne à vide et l'on a une sensation bizarre et indéfinissable. Les muscles sont tétanisés, la respiration est chaotique, bref... c'est nul. Attaquer ce truc comme une côte poitevine, c'est du suicide. Trois cents mètres plus loin, c'est mieux, mais il faut tirer sur le guidon, appuyer sur les pédales, tirer, respirer... Ca se bouscule un peu dans ma tête.
Il doit y avoir trois ou quatre rampes, pas ou peu de lacets. "C'est pas la peine d'être en montagne" ! Tiens du plat. La-bas ça descend. Sûrement le sommet. Je vais faire des photos en attendant mon compagnon d'esclavage. Le voilà, un peu rouge. mais moi... comment suis-je ?

C'est reparti. "Dis-donc ça monte par-là"! Le 32 refuse obstinément et définitivement d'obtempérer et de faire ce pourquoi il a été conçu. Combien de temps ? Quelle distance ? Ca tourne. "Les voilà tes lacets". Des marcheurs. Ils s'arrêtent et me regardent. "Souris, reste souple, fais bonne impression". Bonjour.

Manger, boire, photo, je me suis planté tout à l'heure, ce n'était pas le sommet !
Mon premier col! (depuis il y en a eu 133) Plus de fatigue, je suis bien. J'ai quand même été mal ! Le prochain devra être mieux.
Tellement absorbé par l'effort, je n'ai pas prêté attention au paysage. Le sommet est boisé, pierreux par endroits. Et la descente me direz-vous ? En visant bien le bitume entre les nids de poule et autres cratères d'obus, je me masse les paumes des mains désespérément accrochées aux freins.
En bas, je dois ressembler à la bouteille ronde : aussi secoué, mais moins pétillant.

Lourdios-Ichère : le village est joli, très vert. Le cadre est agréable. Il y a quelques indigènes sur le bord de la route, et des sourires! Les visages sont avenants, les bonjours "avé l'assent". Curieusement, ou logiquement pour nous, les automobilistes n'ont pas le droit à la même attitude.

D'ailleurs ça va beaucoup mieux, je le sens, je le sais. J'attaque moins fort, ça tourne mieux, je sens mieux la pente, je regarde autour de moi, je suis moins à l'ouvrage." C'est beau.. Et puis ça sent bon". Tiens-donc : les odeurs ! Si j'ose dire, ça saute aux yeux ! A vélo, on redécouvre le pouvoir olfactif de cet appendice cyranesque.

Sans forcer le rythme, je commence à entrevoir l'esquisse d'une ébauche de pédalée montagnarde. Vu du sommet, il y a au moins trois vallées. La descente me réconcilie avec cet exercice qui reste à mes yeux comme étant une conduite suicidaire. Inouï ! je prends du plaisir sur cette pente, à califourchon sur cet engin, j'ai trouvé la position idoine, quoique la dite position tienne plus du lézard que de la danse sur glace.

Je suis déjà en bas. Echanges de sourires, comme d'habitude. Remarquez comme l'homo-vélocipédus est heureux en compagnie de sa machine et de ses congénères. Il sourit. Pas besoin d'être canonisé pour atteindre la béatitude!

(1) Bien que les indigènes nomment l'endroit "col de Girouse", il s'agit bien d'un faux col !

Francis NEVEUX N°4254

de NOUAILLE MAUPERTUIS (Vendée)


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