Page 17 Sommaire de la revue N° 25 Page 19

Les sangliers du col de Tribes

Revue N° 25 Page 18

8h30. Par la fenêtre, que du bleu et la cime des arbres ondoie légèrement. C'est une belle journée d'août comme les précédentes. Je m'active pour terminer mon petit déjeuner car aujourd'hui comme tous les matins de cette semaine, j'ai déclaré la chasse ouverte : celle des cols. Hé oui ! Le satané "Chauvot" a encore frappé et j'ai rechuté à la vue de la nouvelle version des Cols de France sortie au début de l'été. En rêvant des plus de 2000 (mètres), je me contente d'écumer les moins de 1000 routiers et muletiers de la moyenne vallée de l'Eyrieux en Ardèche.

Soucieux, je consulte de nouveau la carte IGN au 1/25000 ème. Le parcours n'est pas long, 55 kilomètres environ pour 4 cols dont 3 non goudronnés, je devrais être de retour pour 12h30. L'objet de mes inquiétudes est le premier col dont plusieurs sentiers référencés sur la carte partent à peu près du même endroit : le lieu-dit "le bon appétit" et les informations du "Chauvot" sont contradictoires avec celles tracées sur l'IGN.

La descente dans la vallée et en direction du Rhône est agréable. Il fait bon, l'air est d'une grande pureté. Aux Ollières, je quitte la route de Valence pour celle de Privas, je m'élève au dessus du village et peux admirer au lieu dit "Bellevue" le contraste saisissant du bleu de la rivière entrecoupé par différentes teintes de vert et le rouge-brique des toits des maisons. Vue d'ici, qu'elle est belle cette vallée au soleil levant !... Progressivement, je grimpe sur une route tranquille et m'enfonce dans la montagne. Au détour d'une grande courbe apparaît le village du Chambon de Bavas puis la route plonge sur le pont de Boyon. La sueur ruisselle le long de mon dos et dans cette petite descente à l'ombre, je ne peux empêcher un frisson.

Pont de Boyon. Là commence l'aventure. Je quitte la route de Privas en direction du hameau de Bon Appétit. Très vite, je comprends l'utilité du petit plateau et... du grand pignon. L'étroite petite route monte droit sur le versant nord des Serres de Gruas et certains "coups de cul" m'obligent, en 28x24, à me dresser droit sur mes pédales. Encore une rampe et j'aperçois à la lisière de la forêt une bâtisse. En fait, le hameau de Bon Appétit se résume à une ferme où la route se transforme en trois chemins non goudronnés. Soulagement ! la carte en indique trois également.

Tous les trois montent au Col des Croix de Gruas. Je choisis celui qui me semble (sur la carte) le moins abrupt. Dix minutes plus tard, je suis de retour au point de départ : le chemin se perd dans un enchevêtrement d'arbres, de ronces, de fougères. Je contourne maintenant la ferme et m'enfonce dans la forêt. Avec mon randonneur, c'est encore cyclable (en 28x24). Le sentier jonché de petits cailloux grimpe sur les flancs de la montagne mais petit à petit les ornières, et l'apparition des roches et de gros cailloux m'obligent à descendre de vélo et à pousser celui-ci. Même à l'ombre, il commence à faire chaud. Je suis seul, aucun bruit dans la forêt, celle-ci respire lentement et un sentiment de bien-être m'envahit.Une pensée fugitive traverse mon esprit. Et s'il m'arrivait quelque chose ?... L'ascension s'effectue lentement le plus souvent à pied. Quand, surprise ! à quelques centaines de mètres du sommet, j'arrive sur un chemin goudronné venant à ma gauche. Sur la carte, il existe bien mais...non goudronné. Le final est une vraie partie de plaisir, la forêt disparaît et j'arrive au pied de la Croix. Fantastique ! Sur cette crête et avec la limpidité de l'air, mon regard plonge dans les deux vallées. Au loin, quatre colonnes de vapeur d'eau s'élèvent doucement de la centrale nucléaire de Cruas et, là-bas, au sud-est, cette montagne au dos caractéristique, c'est le géant de Provence qui s'offre à ma vue.
Je consulte de nouveau la carte. direction l'est, le Goulet de Verrière par un chemin cyclable à peu près plat, le long de la crête. Devant moi, à l'horizon, les contreforts du Vercors. A ma droite, la vallée de l'Ouvéze et un peu plus loin, celle du Rhône et le Mont Ventoux. A ma gauche, la vallée de l'Eyrieux. Autour de moi, de la bruyère en fleur où serpente ce sentier; je traverse le petit hameau de Gruas. Personne. Pourtant, quelques voitures attestent d'une présence humaine. le silence est impressionnant, je me délecte du paysage et je continue ma route seul avec un vent défavorable. Plus bas, dans les cailloux, j'aperçois le Goulet de Verrière. J'atteins le col, après une descente difficile, à pied, en retenant mon vélo. Je m'accorde quelques minutes de repos pour m'enivrer une dernière fois de la vue de 360°. D'après la carte, toujours direction Est, le sentier qui me relie au Col de Groix est sur le versant sud de la montagne. Plus pénible est la descente sur le col et dans la vallée, aussi je profite beaucoup moins de ce lieu insolite. Peut être qu'avec un VTT, cette portion du parcours aurait pu être abordée plus sereinement.

Mon arrivée sur la route est suivie par un vieil homme. Arrêt pour me rafraîchir et engager la conversation. D'où je viens, où je vais, beauté du site, il me parle de "Sa Montagne", de "Sa Vie" et m'indique ma route du retour. Brave homme, qui sait encore regarder le temps passé.

Un seul col me sépare de la vallée de l'Eyrieux. Après Saint Cierge la serre, le vent dans le dos, je roule à vive allure (28 km/h) sur ce faux plat montant. Personne sur cette route. D'après la carte, la route suit les courbes de niveau ; grimper un col à cette vitesse me fait rêver. Après la beauté des paysages entrevus, mon esprit vagabonde vers des hautes montagnes, là ou les plus de 2000 s'offrent à toi. Plus particulièrement je suis en Italie, dans les Dolomites dont j'ai tant entendu parler. Oui, je rêve de mon rêve : la deuxième partie de l'arc Alpin : Thonon - Trieste que j'aimerais réaliser l'année prochaine... ou une autre année.

J'aborde une large courbe, sans visibilité. Par réflexe, je serre à droite et mes doigts se portent sur les poignées de freins, quand surprise ! Je freine. A dix mètres de moi, un sanglier et quatre marcassins glanent sur le bord de la route. Pour eux aussi la surprise est totale. Quelques secondes après, ils s'enfuient dans les bois. Tranquillement, je continue ma route, je revois les sangliers, l'homme de la montagne, le Mont Ventoux dans le lointain, la bruyère en fleur. Je franchis le col de Tribe et plonge dans la vallée de l'Eyrieux, je suis sur un nuage. Trois petits kilomètres d'ascension me séparent du déjeuner. Je suis heureux.

Merveilleux Guide Chauvot. Le long de tes pages, tu nous fais rêver par des noms prestigieux. Sur la route, la réalité dépasse le rêve, le merveilleux devient sublime et le bonheur entier.

Patrick BABEAU N°1976

de BEYNOST (Ain)


Page 17 Sommaire de la revue N° 25 Page 19