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Le langage des cols

Revue N° 25 Page 13

Comme les fleurs ont leur langage, les noms de cols donnent parfois l'occasion de se laisser aller à quelques interprétations imagées où les fugaces sensations glanées çà et là lors de leur passage se transforment souvent en un joyeux divertissement verbal.

Ainsi, je vous conseille de prendre le pas de la Clé avant de passer le col de Porte. De même, il est préférable de ne pas faire le col de la Charrette avant le pas du Boeuf.

Si vous voulez monter au col du Sabot, il vaut mieux ne pas mettre les deux pieds dans la même pédale. Au pas de la Corne, abondance d'efforts ne nuit pas et au col de la Table, arrêtez-vous pour casser la croûte. Accom-pagnez votre collation d'un bon vin au col de Pommerol.

Quand vous passerez par le col de la Bataille, gare aux tontons flingueurs si vous voulez un jour gagner le col de Guerre et aller jusqu'à celui de la Place d'Armes où il faudra rendre les honneurs.

Il faut reconnaître également que l'ascension d'un col ne procure pas toujours que d'agréables souvenirs. Ainsi je me rappelle qu'en grimpant le col de la Ventouse, mes pneus collaient à l'asphalte. Au col des Mouilles, je n'avais plus un poil de sec, au col de la Sausse, je baignais dans ma sueur alors que dans le col de la Chaudière j'étais complètement frigorifié.

Au col de la Voûte, j'étais arc-bouté sur ma machine et j'étais encore à l'ouvrage dans le col de la Machine. En escaladant le col du Coq, j'ai rencontré quelques nids de poule. Au col de la Sarriette, il n'y avait pas de thym ni de romarin, au pas d'Adan, pas d'Eve mais de la tenue, et dans le col du Mistral pas un souffle de vent. Au col de Saint-Ange, je me sentis pousser des ailes alors que je suis passé au col de l'Evêque sans en avoir confirmation.
Si dans le col de la Croix j'ai vécu un véritable Calvaire, au col du Berger Mort j'étais vraiment crevé et au col de la Croix Rouge il aurait quasiment fallu appeler le Samu.

Par contre, au col de Muse, je fus particulièrement inspiré et au col de la Comtesse, il me vint de nobles pensées. Au col du Lion, j'avais mis un tigre dans mon dérailleur. Au pas du Chien Fou, j'ai pédalé comme un enragé tandis qu'au pas des Rages j'ai bien failli devenir fou.

En montant le col de la Croisette, j'ai eu mal aux cannes et c'était pas du cinéma. Au col du Caire je n'ai pu contempler de pyramides, au pas du Loup aucun agneau ne se désaltérait et comme je n'ai pas percé dans le col de l'Epine, je suis allé très loin jusqu'au col de l'Exil.

Je vous ferai grâce ici de la collection complète des saints cols car on ne saurait plus auquel se vouer, de la liste des cols arboricoles : Pin, Chêne, Orme et autre Noyer ou de celle encore plus longue d'un impressionnant bestiaire où les Anes, les Ours, les Loups et les Chèvres se disputeraient la tête du peloton.

Et quand je pense à tous les cols qu'il me reste à découvrir, je me dis que je risque de me torturer encore longtemps le corps et l'esprit... dans la plus extrême jouissance vélocipédique.

Maurice OCCELLI N°3975

de GRENOBLE (Isère)


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