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Le vélo, le plat pays et la montagne

Revue N° 20 Page 30

POUR LES VINGT ANS DU CLUB DES "CENT COLS"

1972 : après dix ans je me retrouvai en France à vélo. Un vélo de course cette fois-ci. Un "Coppi" bien équipé, acheté à un coureur belge au moment où j'avais réalisé qu'il me fallait quand même prendre le temps de me détendre. Et, tout naturellement j'étais revenu à ce passe-temps qui m'avait procuré tant de joie dans ma jeunesse. Se promener sur un vélo de course quand on avait une certaine fonction, c'était, il faut le dire, un peu mal vu aux Pays-Bas en ce temps-là. Mais j'avais pris le risque, l'attrait étant trop grand.

Ce dont je ne me doutais nullement alors, c'était de la naissance du club des "Cent Cols" cette année-là. D'ailleurs je n'avais point d'idée non plus de l'existence de fédérations de cyclotourisme. Les temps ont bien changé depuis !
Le cyclotourisme que je voulais absolument tenir à l'écart de toute obligation et qui devait me servir de détente tellement nécessaire, a, par la suite, pris une place dans ma vie qui m'empêche bien des fois de faire du vélo. Mais il m'a permis aussi de trouver bien au-delà des frontières de nouveaux amis.
C'est en 1987 seulement que je me suis décidé enfin à mettre un peu d'ordre dans mes cols et à adhérer au club. Heureusement, puisque cela m'a permis de prendre connaissance de tout un trésor de suggestions pour faire du vélo en montagne, de la lecture de la 'Bible Chauvot' et de la 'revue Dusseau' à celle des 'topoguides Poty / de Brebisson'.

Néanmoins, devant la rédaction d'un article pour la "revue 20 ans", j'hésite. Qu'est-ce que j'ai à apprendre à ceux qui connaissent la montagne beaucoup mieux que moi ?
Qu'est-ce que j'ai à ajouter à tant de réflexions et de remarques sur le cyclotourisme en montagne confiées aux pages de la revue de notre club ?
Et si je m'y décide, c'est en me penchant sur mon passé et plus exactement sur celui du lien qui s'est crée-je ne sais même plus comment - avec le vélo et puis, avec la montagne. Ou comme l'a écrit Maurice Constantin-Weyer "Parfois, fermant les yeux, j'imaginais un voyage en France, où je reverrais des tas de gens, des tas de choses que j'avais aimés. Et puis, le moment venu, c'était quelque chose de nouveau dont j'avais faim. C'était le même cadre, mais les aventures se succédaient, toujours imprévues".

PARTIR POUR LA FRANCE À VELO

Vers la fin des années cinquante je m'aventurai pour la première fois à vélo sur les routes de la douce France. C'était en 58 plus précisément. Le mois de Juillet était beau et chaud. Le bac "en poche", j'avais réussi - à mon grand étonnement, il est vrai - à convaincre mes parents du fait que le moment était venu de partir seul en vacances à l'étranger. Et surtout de partir à vélo.
Mon père avait beau me proposer de prendre le train à ses frais, de voyager en stop avec une de mes connaissances, moi je m'obstinais à partir à vélo.
Puisque sans mon vélo, je n'aurais pas l'occasion de 'grimper' et de pouvoir enfin attaquer la vraie montagne à vélo. J'en avais tellement rêvé !

Bien des fois je me suis demandé à quel moment et d'où m'est venu cet engouement pour la petite reine. Je ne parviens pas à trouver la réponse. Je me rappelle que vers mes cinq ou six ans, je réussis un bel après-midi d'été à échapper à l'attention de tout le monde. Le tout luisant vélo Phœnix de ma tante Louise placé contre le mur blanc de la maison de la ferme doit avoir eu un attrait irrésistible pour moi. La route vers le village était bien déserte. La haie assez haute pour me cacher. Cette expédition s'est terminée bien vite. 'En danseuse' entre le guidon et la selle, j'arrivai en zigzaguant jusqu'au premier virage pour me retrouver sans tarder dans le fossé. Celui-là était à sec, mais, hélas rempli d'orties. Inutile de dire que, quand je me suis présenté refoulant bravement mes larmes, toute la famille resta de longues minutes bouche bée devant le spectacle. Cela en fut tout autrement quand on découvrit le vélo. Je crois me rappeler que le forgeron du village eut bien du mal à faire renaître ce Phœnix de ses cendres.

Tout cela ne doit point m'avoir découragé. Cependant ce qu'il me fallait, c'était un vélo bien à moi. Je n'en finissais pas de rabattre les oreilles à mon père à ce sujet. Cependant les vélos neufs étaient rares tout de suite après la guerre. Et des vieux il n'en restait pas tellement ! Les allemands battant en retraite les avaient réquisitionnés: ils avaient même chipé ma trottinette !
Finalement mon père m'avait fait cadeau du sien. Il avait su le cacher sous un tas de pommes de terre et repeint, il pouvait encore servir. Moi, j'en étais tout fier et je commençai sur le champ à faire des reconnaissances dans la région sur des distances de plus en plus longues.
Combien de parents lointains m'ont vu apparaître à leur grande surprise pour leur dire bonjour, servant d'excuses auprès de mes parents pour expliquer des absences un peu trop prolongées.

DU PLAT PAYS AUX COLLINES

La Flandre Zélandaise est plate comme toute la province de la Zélande. Il n'y a que les digues séparant les polders et les dunes qui présentent quelques mètres de dénivellation. Pour le reste il n'y a comme défi pour le cycliste que le vent omniprésent et aussi illogique que cela puisse paraître toujours de face.
A la limite Est de notre province, là où commence le Brabant le terrain est quelque peu accidenté. Je me souviens du plaisir que nous avons éprouvé quand nous avons grimpé pour la première fois ce 'mur' tant bien que mal sur nos vélos sans dérailleurs.

Quelques années plus tard au pensionnat, des camarades de classe venant du Limbourg nous parlaient de leurs exploits sur les flancs de leur 'bergen'. Le nom de Cauberg et du Saint-Pietersberg commençaient à jouer un rôle dans nos rêves de projets pour les vacances d'été.
Des itinéraires se forgeaient. Le premier maillot jaune pour un Néerlandais dans le tour de France suivi le lendemain par sa chute dans un ravin de l'Aubisque nous avait convaincus définitivement. Le vrai cyclisme, celui qui était héroïque, c'était le cyclisme dans la haute montagne. Le professeur de latin avait beau essayé de nous enthousiasmer pour De Bello Gallico, pour nous c'étaient les gestes des coureurs à la conquête de la montagne qui comptaient.
Et faute de montagne chez nous, je me suis contenté des collines du Limbourg du Sud - nommées "bergen" (monts), tout étant relatif - pendant les vacances de cette année 1955.

L'euphorie était complète. Je me rappelle que j'ai "fait" le Vaalserberg trois fois de suite. Et je suis presque sûr que si le marchand qui avait un petit étalage de souvenirs au .sommet' ne m'avait pas observé d'une façon tellement inquiète quand il m'a vu arriver là pour la troisième fois, j'aurais recommencé. Le lendemain j'étais tellement pressé de dresser le bilan de mes exploits devant mes parents, que j'ai voulu rentrer d'une traite. Ce qui m'a valu quelque deux cent trente kilomètres dans la journée. Et dans ce même enthousiasme je n'ai presque jamais fait très attention au silence que rencontraient souvent nos "histoires" parmi une grande partie de l'auditoire. Une seule fois, je me souviens, notre prof de néerlandais qui nous préparait à toute une série de concours de déclamatique et de théâtre, nous a exprimé son étonnement. Lui, a dit ce que tant d'autres ont pensé sans doute: comment ces jeunes-là peuvent-ils s'acharner à vouloir faire un sport si peu esthétique ? Le débat a été entamé mais n'a jamais abouti à une conclusion commune ni satisfaisante. Quant à moi, il était logique qu'après ces préludes dans les collines du Limbourg la vraie montagne me tente.

VAL-SUZON ET LA DÉSILLUSION

Vers la fin des années cinquante les routes étaient encore bien tranquilles quant à la circulation automobile. Et en plus les cyclistes, surtout ceux chargés de bagages, étaient rares. Un coup de Klaxon ou un signe de la main en guise de salutation ajoutait aux plaisirs procurés par le vélo.
Le sifflement des pneus sur l'asphalte, le vent rafraîchissant dans les descentes des bosses de la route nationale, une remarque encourageante d'un agriculteur au bord de son champ, je m'en souviens encore comme l'expérience proustienne de la "madeleine". J'avais équipé ma solide bécane néerlandaise Gazelle d'un moyeu Sturmey Archer à trois vitesses, vu les problèmes que j'avais connus avec mon petit dérailleur en poussant un peu trop sur les pédales.
Après un sommeil bien reposant à l'auberge de Jeunesse de Troyes, j'avais bien repéré quelques flèches doubles dans le profil de mon itinéraire. Et avec le coup d'œil que je comptais jeter sur la source de la Seine, cela promettait une journée importante.

Dans le journal que j'ai fait de mon voyage, j'ai noté que la chaleur ce jour-là était écrasante bien avant midi. A Chatillon j'avais déjà un retard considérable sur mon horaire le plus pessimiste. Je m'occupais fréquemment à la fameuse chasse à la canette. Pas toujours facile en ce temps-là, les stations services étant rares et celles pourvues d'eau potables rarissimes. Et les fermes le plus souvent gardées par des cerbères impitoyables. Toujours est-il que j'ai remis à plus tard ma visite à la source afin de ne pas risquer de trouver l'AJ de Dijon affichant complet à mon arrivée tardive.

La côte après Val-Suzon avait pour moi alors l'aspect d'un col alpin. Je l'ai attaquée comme le Vaalserberg de notre Limbourg. La fatigue, la chaleur et les bagages tout à l'arrière, le Sturmey Archer qui n'avait plus "de plus petit", m'ont vite fait tomber des nues. Je ne me rappelle plus comment je suis arrivé en haut de cette côte. Je ne me suis même pas arrêté avant d'entamer la descente. Je sais encore vaguement que j'ai eu peur parce que mes freins ne me faisaient pas ralentir assez dans les virages.

C'est alors qu'une détonation énorme derrière moi m'a fait tressaillir. J'ai réalisé que ma selle se trouvait plus bas, j'ai vu surgir le prochain virage et la barrière ouverte d'un pré. Et je me suis retrouvé une dizaine de mètres en contrebas. Pas d'orties cette fois mais un sol tellement dur que mon côté droit me faisait bien souffrir. Un premier examen m'a révélé qu'il y avait plus de peur que de mai : rien de cassé, quelques égratignures aussi bien pour moi que pour mon vélo.
Quand après avoir mis un peu d'ordre dans mes pensées, j'ai voulu remettre mon vélo sur ses roues, j'ai vu que ma roue arrière pendait comme un lambeau dans le cadre. C'est alors que je me suis rappelé le pétard derrière moi et les rayons tellement tachés d'huile auxquels je n'avais prêté aucune attention. Mon Sturmey Archer avait bel et bien éclaté ! Complètement !

Un peu plus tard un routier aimable conduisant un de ces camions "à demi-cabine" qui transportent des barres de fer, s'est arrêté. Mon vélo et les bagages bien attachés sur le fer rouillé et moi-même cramponné à l'arrière de la petite cabine, c'est ainsi que j'ai gagné Dijon vers la soirée. Après une promenade difficile, j'ai atteint l'AJ qui affichait complet, en effet. Devant mon désarroi et l'épave que je traînais derrière moi, on a improvisé une place pour moi. Mon journal mentionne que j'étais épuisé et que je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.
Le lendemain j'ai rendu visite à presque tous les vélocistes de Dijon. Tous s'intéressaient à moi et à mon Sturmey, mais pour la réparation les conseils étaient identiques : "peut-être à Paris!".
Finalement j'ai accepté la proposition d'un d'entre eux : couper les rayons pour enlever le Sturmey, remettre un moyeu simple avec deux couronnes et changer les vitesses en déplaçant la chaîne à la main.
J'ai accepté à contre cœur : la montagne, ce serait pour une autre fois. Adieu mes rêves, les grimpades étaient faites. C'est ainsi que j'ai continué vers Mâcon et Villefranche où j'avais rendez-vous avec des amis de la famille. Me fâchant un peu -je m'en souviens encore - devant la plaque commémorative de Nicéphore Niepce qui n'y était pour rien bien sûr, parce qu'on avait su inventer la photographie mais qu'on ne savait pas réparer mon Sturmey.

LE PREMIER COL QUAND MEME

Pour ceux qui ont grandi dans des régions de montagne, il est sans doute difficile à imaginer ce qu'on ressent quand on voit un 'vrai col' pour la première fois de sa vie. Et encore celui qui pour moi était le premier n'avait rien pour impressionner ceux qui ont l'habitude de la montagne. Néanmoins il est resté gravé dans ma mémoire où le souvenir s'est embelli au cours des années
Et je dois avouer que autant l'idée d'avoir grimpé un col m'a rendu enthousiaste, autant le col lui-même m'a déçu. Pour me remonter un peu le moral, mes hôtes sympathiques ont eu l'idée de m'offrir un tour du Beaujolais en voiture, et en visitant les caves, le lendemain de mon arrivée. C'est alors que peu après la Roche de Solutré, sur la route de Juliénas, ils m'ont annoncé - pour me taquiner sans doute que j'allais tout de même passer au sommet d'un col.

Aussi, une fois remis de ce tour-ci, le lendemain tard dans l'après-midi, sur le vélo trop petit, mais avec un dérailleur, de madame, je suis parti pour ce col. C'était celui de la Grange du Bois. Ce que je n'ai appris que bien plus tard, car je m'imaginais pas alors qu'un col comme celui-ci pouvait avoir un nom ! Mais un nom ou pas, moi, j'étais tout fier de mon exploit comme en témoignent les annotations dans mon journal. Un rêve s'était réalisé : j'avais vaincu un col. Et plus que la réalité, c'était cette idée-là qui comptait pour moi.
Dans les années qui ont suivi, je me suis plusieurs fois lancé à vélo sur le réseau routier français, toujours au nord de la Loire, dans les Ardennes, l'Eure et Loir ou la Normandie, où j'avais su obtenir des jobs de vacances comme étudiant. Et, petit à petit, le vélo a disparu par la suite de ma vie et moi des routes de France, pendant une quinzaine d'années. Pour y revenir en 1972, année de naissance de notre cher club des 'Cent Cols'. Mais cela aussi je ne l'ai donc appris que bien plus tard.

LUCTOR ET EMERGO

Et j'y suis revenu pour continuer ce que j'avais commencé : grimper des cols. Et cela se faisait "comme ça", sans but ni sens précis, presque pour l'art.
Puisque le vélo retrouvé pour moi c'était avant tout la liberté la plus absolue dans toute sa relativité, pas de schéma, pas d'itinéraire obligatoire, pas d'esprit grégaire sous la conduite de bergers sévères qu'on appelait capitaines de route comme un ami belge avait essayé de m'expliquer.
Aussi je m'engageais dans les cols qui se présentaient devant ma roue. Parfois je m'égarais dans de petits chemins sans issue. Parfois aussi cela me faisait faire des détours qui ont retardé mon retour d'une façon inquiétante pour ceux qui m'attendaient au camping. Certains cols je les ai grimpés plusieurs fois. Parfois pour y voir de plus près ce que je n'avais pas admiré assez lors de la grimpée précédente : un bel arbre, une fermette cachée sous la verdure ou un panorama splendide. Parfois tout simplement pour 'mettre un temps' ou pour l'améliorer !

J'avais vite compris que je n'étais certainement pas un de ces aigles qui s'envolent en toute souplesse vers les cols. Je devais, et je dois, lutter pour arriver. Mais j'aime l'effort physique, même celui qui fait souffrir, pour jouir davantage du résultat.
Cet été, nous voulions porter nos pénates dans un charmant petit camping près de Sainte-Cécile d'Andorge. Les débuts étaient difficiles : 'hollandais go home' sur la route et ' Camping complet' sur la barrière. Mais comme impossible n'est pas français et complet presque jamais complet, j'ai avancé quand même. Un monsieur, genre joueur de catch a foncé sur nous, s'est arrêté pile devant la galerie où luisait mon 'Coppi'. Après un examen minutieux, il s'est tourné vers moi. "Mais vous êtes coureur cycliste ! Moi, j'étais le plus fort de la région dans mon temps". Sans attendre ma réponse, ce qui ne me convenait pas mal, il a commencé un exposé sur le cyclisme régional d'antan, piste en béton comprise.
Une demi heure plus tard, nous étions installé au plus bel emplacement du terrain. Et le soir même je me suis engagé sur la petite route derrière le camping à la recherche du col que le chef m'avait indiqué.

Ce fut celui de la Baraque. Le premier de toute une série que j'ai grimpée à plusieurs reprises dans cette région durant ces semaines. Et parmi ceux-là il y avait le petit col du Malpertus à la sortie de la Grand-Combe. A ce qu'il parait, il a bel et bien disparu depuis quelques années, dévoré par l'industrie houillère.
Dans les années qui ont suivi, la pratique de se servir d'un vélo de course dans ses loisirs s'est développée aux Pays-Bas. Et petit à petit cela a changé l'aspect et la pratique du cyclotourisme déjà très répandu dans notre pays où tout le monde a un vélo "ordinaire".
Le nombre des clubs de cyclotourisme a augmenté sans cesse. Et avec lui, celui des sorties organisées. On connaît la suite ! Cependant, dans ce temps-là je n'ai jamais rencontré de compatriotes qui faisaient du cyclotourisme en France pendant leurs vacances. Cela aussi a bien changé en quelques années ! Entre temps en France, mais en Allemagne (de l'ouest à cette époque) en Autriche et en Italie aussi, je prenais de plus en plus plaisir à me balader à vélo dans la montagne.

MONTAGNE

En vacances à Pau en 1978, nous avons vu s'installer près de notre emplacement dans le beau camping du tennis club, une famille belge avec des vélos de course. Le père, un médecin de Bruxelles, m'a invité à les accompagner, lui et ses deux fils, pour une mise en jambes sur les flancs du Soulor. Ils se préparaient à la RCP. Comme le sigle ne me disait rien ils m'ont gentiment expliqué de quoi ils s'agissait. Mettant ainsi au fond de moi un microbe - le mot est mal choisi dans ce cas je l'avoue - qui a fait depuis ce moment-là un travail qui n'est pas sans étonner voire inquiéter certains des miens.
Toujours est-il que ce 16 juillet 1978 je me suis présenté au départ de la randonnée tant renommée. Il va de soi que je n'avais rien dit à ma femme de toutes les conversations dans le bloc sanitaire sur les braquets qu'il fallait. Le dé était jeté.

Quand je relis dans mon journal le récit de ce jour-là, les perles de sueur reviennent aujourd'hui encore sur mon front. Bien sûr je vois devant moi, souvenir inoubliable, dans toute sa beauté, la Hourquette à la pointe du jour. Mais que de monde m'a dépassé dans la montée. A mi-chemin dans l'Aspin un groupe de goguenards est venu m'escorter, me demandant où je pensais aller comme ça. Ma réponse a fait résonner la montagne de leur fou rire.
Au sommet, quand je suis enfin arrivé, ils étaient pourtant encore là, inquiets de mon retard considérable. Ils m'ont conseillé de m'arrêter là : une RCP ça ne se fait pas sur un cinquante-deux / vingt-deux
J'ai continué quand même. Mais à plusieurs reprises j'ai dû mettre pied à terre. Ou plutôt dans l'asphalte suintante et collante sous le soleil de feu qui a transformé ce jour-là les Pyrénées en four.
Et si c'est en forgeant qu'on devient forgeron, c'est en faisant - et en faisant des gaffes comme celle de mon braquet dans cette RCP - que j'ai appris à faire et jouir du vélo dans la montagne.
Toutefois un nouvel objectif - qui s'appelait BRA cette fois - a été fixé avec nos amis belges le lendemain matin au camping de Pau. Le microbe s'était installé pour de bon. L'appel de la montagne se trouvait être inexorable.

CHERCHER TOUJOURS PLUS HAUT

Et c'est ainsi toujours poussé vers de nouveaux cols, surtout en France, que j'ai découvert tant de sites splendides. Il y en a qui me sont devenus tellement chers - sans que je puisse d'ailleurs expliquer pourquoi - que j'y suis revenu et que j'espère y revenir encore.
Il y a les Vosges que j'aime surtout au début de l'automne. Sur les hauteurs on peut alors jouir en toute tranquillité des splendeurs en une multitude de couleurs de la forêt. Et en descendant la vallée du Rhin on y trouve l'ambiance des vendanges au milieu des vignobles tellement pittoresques.

Ces dernières années le vélo tout terrain m'a montré là aussi de nouvelles possibilités. L'été ce sont la Drôme et le Vaucluse où je m'arrête sans faillir pendant quelques jours pour y retrouver ce que j'aime et y découvrir du nouveau.
Et chaque fois je dis que je n'y vais surtout pas pour grimper pour la trentième fois le Ventoux. Chaque année je le grimpe. Comment expliquer cela ?... Si explication il y a. Tant de fois on m'a posé la question : quel col j'ai trouvé le plus beau ou le plus dur à grimper. Jamais je n'ai su donner la réponse.
Est-ce le petit col des Mouilles sur le parcours du Balcon de Belledonne ? Est-ce celui de la Madeleine venant de Notre Dame de Briançon ? Ou bien le col du Pré après Beaufort ? Mais pourquoi ne pas mentionner alors la Colle Saint Michel, la Turbie, l'Iseran, la Bonette ou le Parpaillon ? Mais pourquoi ne pas choisir le col du Buis, celui du Patoux, le col de la Salèse ou celui de Raleine ?

Je reste indécis tant de moments inoubliables j'ai passés sur les flancs de chacun d'entre eux. Tantôt par la beauté du paysage, tantôt par l'effort et la fatigue. Toujours par la joie de l'arrivée au sommet et par le plaisir de la descente et par celui des souvenirs en dressant, le soir, le bilan de la journée.

Et revivant tout cela, ces soirées d'hiver où fermant les yeux, j'imagine un autre voyage en France... quelque chose de nouveau dont j'ai faim... de nouvelles aventures qui vont se succéder, toujours imprévues
Oostburg, le 31 décembre 1991.

Constant VAN WATERSCHOOT (Pays Bas)


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