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Mon bouquet d'or

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Avec le certificat d'études primaires tout le monde savait au moins que la France était irriguée par la bande des quatre : la Loire, le Rhône, la Seine, la Garonne et leurs affluents... Il n'est pas sûr qu'on en sache bien davantage avec un bac +4 ou +5 pour la vie informatisée de demain où on pourra tout savoir et tout avoir en tapant 3615 quelque chose. Moi, il m'aura fallu attendre bac +43 dans mon cyclotourisme pour découvrir le Bitoulet et l'Escongousson. En décembre la Savoie même olympique n'est probablement pas la meilleure région pour une randonnée cyclotouriste et j'ai pensé trouver vers le Parc Naturel du Haut Languedoc la montagne et le soleil qui conviendrait à ma gourmandise. J'y ai trouvé surtout un froid vif qui m'a obligé à me couvrir plus que d'habitude mais je ne regrette rien: les montées de col étaient dures et longues pour se réchauffer sans que les descentes soient assez longues pour se refroidir, la température n'est jamais descendue assez bas pour que j'ai une stalactite sous le nez, le vent ayant été toujours assez fort aussi pour en empêcher la formation.

De Carcassonne à Lacaune, de Mazamet à Montpellier, du Cirque de Mouzère aux arènes de Nîmes, du monastère orthodoxe St-Nicolas de la Dalmerie à l'Abbaye de St-Guilhem-le Désert, du Canal de Midi au Barrage du Salagou, d'Alphonsine à Marguerite je me suis bien amusé à changer de lit de l'Aude à l'Orb et de l'Hérault au Vidourle, tous fleuves indépendants qui ne sont l'affluent de personne et qui de leur source dans les montagnes à leurs immersion dans la Méditerranée jouent depuis des siècles avec les ponts, les gorges, les falaises, les grottes, les barrages, les villages, les châteaux, les églises, à travers forêts, garrigues, vignes, champs et jardins. On ne peut certes pas se nourrir uniquement de châtaignes, d'arbouses et de grappillons de raisin oubliés mais c'est toujours agréable de s'arrêter en trouvant ces amuse-gueules au bord de sa route.

Après 12 jours d'un temps plutôt sec malgré 2 jours de brouillard là précisément où il aurait fallu une belle visibilité, au Pic de Nore 1.210 m et au sommet de l'Espinouse 1.124 m, il fallait bien s'attendre à ce que la pluie perturbe cet automne finissant : j'en fus prévenu par la météo qui prévoyait du soleil sur toute la France sauf précisément dans la région où je me trouvais et pendant 2 jours je me suis résigné à séjourner sur le bord du Bitoulet, naufrage confortable et bon marché dans une chambre d'hôtel bien chauffée de Lamalou-les-Bains, car je ne me suis jamais pris pour D'Aboville dans aucune traversée quand je rame sur mon vélo.
Je ne me suis pas ennuyé à Lamalou, j'ai même fouillé tout le cimetière, en surface seulement, avant d'y retrouver ce que la famille croyait perdu, une pierre tombale tout à fait abandonnée mais intacte, nue, à peine lisible : - ici repose Marie Adèle Desolmes née Chassin décédée le 21 mai 1927 à l'âge de 42 ans - c'est l'une des grands-mères de mes enfants.
Je n'ai pas fait les 231 cols du département de l'Hérault déjà répertoriés par le Club des 100 Cols, je n'ai passé que 86 de ceux-là, plus quelques autres qui ont été oubliés sans être cachés ou introuvables et qu'il suffira d'homologuer en leur donnant un nom, une altitude et des coordonnées... Il n'est d'ailleurs pas toujours nécessaire de trouver un nom : il existe déjà dans ce département le "Col Sans Nom" à 745 m (Guide Chauvot 34-166)... Il y en a au moins un, à moins de 200 m d'altitude, près de Roquebrun où fleurit l'oranger et mûrissent les oranges dont le nom chante comme l'accent du pays et qui deviendra le Col de l'Escougoussou... le Col de l'Espinouse devenant à 1.124 m le col le plus haut de l'Hérault.

760 km et 13 heures de marche du 28 novembre au 13 décembre avec 8 crevaisons assez mystérieuses : 4 à l'avant, 4 à l'arrière pour lesquelles je n'ai jamais rien trouvé de suspect dans le pneu... je n'en demanderai pas pour cela mon inscription dans le livre des records, mais je m'attribue la Rustine d'or de la meilleure performance... mon bouquet d'or en quelque sorte puisque c'est à partir du Bousquet d'Orb que j'ai trouvé mes meilleurs souvenirs cyclotouristes.
Mon cyclotourisme n'aura été, n'est et ne sera que l'impur remboursement de la gratuité infinie de tous les trésors sensuels, intellectuels, matériels et spirituels rencontrés et savourés tout au long de mes routes concertantes des quatre saisons... et pardon à Rimbaud pour "le pur ruissellement d'une vie infinie"...

Paul André

Menton, le 16.12.1991


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