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Insoutenable légèreté

Revue N° 20 Page 21

LES PLAINES NE SONT PLUS CE QU'ELLES ETAIENT...
Ca bourgeonne, ça érupte, ça se soulève, ça perce de partout le sol de nos prétendues "plaines" de France, comme si elles étaient travaillées d'un grand désir d'être montagnes : qui n'a pas maintenant son col ?

Et si nous consultions les sismologues ? Haroun, es-tu là ? Est-ce le tournoiement de la plaque Europe sur elle même qui crée ces bouleversements ? La dérive et l'éclatement du continent soviétique ont-ils un rapport ? Après Pyrénées et Alpes, la France de l'an 2000 verra-t-elle surgir une nouvelle chaîne de montagnes, appelée "les Cent Cols" ? Car nous l'aurons tellement appelée de nos vœux ?

Un col c'est un col, qu'il fasse 15 ou 3500 m d'altitude, c'est une question de définition. C'est toujours pour moi, pour nous tous, un moment fort, un basculement, vers ailleurs. Donc, vers une autre quête.

Que les cols fleurissent ainsi, Club, mon cher Club, tu m'en vois ravie. A l'approche de tes 20 ans, le bel âge J'en profite pour redire toute mon admiration pour ce trait de génie de ton fondateur, Jean Perdoux et pour ce qu'ont apporté tous ceux qui ont continué son œuvre. Une passion est faite pour se communiquer, un feu pour en allumer d'autres. Tu nous en donnes l'occasion.

JE GRIMPE, DONC JE SUIS... PLUS LEGERE
Est-ce que c'est l'air qui devient plus rare ? D'où me vient cette sensation ? Je brûle les scories de ma vie citadine, c'est sûr. Je me débarrasse de mes états d'âme, de regrets inutiles, d'inquiétudes, de mes peurs mesquines, de tous ces soucis parasites qui m'encombrent, qui m'empoisonnent, me lestent et m'empêchent d'avancer. Je dépêtre tous les fils qui me rattachent à mes paresses quotidiennes, mes petites lâchetés. Quand dans la grimpée d'un Galibier, je suis toute à ma concentration. Autour, la nature m'imbibe progressivement. Je suis une avec mon vélo, soulevée sur ses pneus, traçant un mince filet sur la route, flirtant avec le sol, l'effleurant à peine.

Guère plus qu'un catamaran, dressé sur ses foils, grâce à la vitesse, ne touche l'eau. En harmonie, en silence, je glisse dans le paysage. En rythme, aussi, mais c'est une musique tout intérieure qui m'accompagne. Discrète, à peine si je trouble l'air, j'avance : n'est-ce pas, au flanc de la montagne, comme une imperceptible caresse ?

On ne triche pas dans un col. On est nu, seul, authentique. Je n'ai pas voulu abdiquer, dans la Bonnette, cet été, mais je me suis endormie là-haut, la tête dans mes bras, sur la table du café, d'épuisement. Plus haut, qu'y a-t-il ? Les alpinistes, les aviateurs, les oiseaux. Je les admire tous beaucoup. Ah, s'envoler ! Le vieux mythe...
ET SISYPHE HISSAIT UNE NOUVELLE FOIS SON ROCHER...
Au Pas de Peyrol, cet été aussi, un jour de grand bleu. La fraîcheur du Cirque du Falgoux, et puis la route qui se redresse, qui se cabre. Ne pas ralentir, garder ce mouvement, continuer tout droit sans à-coup et en souriant aux automobilistes. Ah oui !

Le col de Banyuls, c'était une piste dévalant vers la mer. Le col de Montmirat, la nuit de Pâques, ce fut glacial, interminable. Pourtant, que je suis heureuse d'avoir grimpé ! Le Timmelsjoch, à la frontière Suisso-italienne, grandiose bout du monde. Les cols en terre, les routes militaires du Piémont, au-dessus de l'étuve et de la mer de nuages de la plaine du Pô. Le Portet d'Aspet, les lointains qui deviennent violets et piquetés de lumières, une certaine ivresse en descendant, soir tiède, route lisse qui virevolte... Et puis tant, tant d'autres, oubliés ou non, dans les cases désertes de la mémoire. Toutes ces émotions, qui m'ont faite, m'ont construite petit à petit.

Faire 100 cols et plus, c'est une école de patience, de courage et de solitude. Monter, pour redescendre aussitôt, n'est-ce pas purement absurde ? Inutile ? Non seulement se donner du mal pour escalader un col mais recommencer son effort 100 fois ! Puis stocker le tout dans un ordinateur d'Annecy, en échange d'une médaille, d'un beau diplôme et d'une citation dans une revue où l'on constate que nous sommes de plus en plus nombreux malgré tout ! Est-ce une manie ? Une passion ? Une folie ? En tout cas c'est bigrement contagieux...

Une amie psychiatre m'a dit un jour: les collectionneurs sont classés dans les obsessionnels. Misère ! Je savais bien que j'avais un petit vélo dans la tête. Elle doit avoir raison : je décolle... Complètement !

C'est un peu comme ce rêve d'enfant, qui reste gravé en moi et se renouvelle, j'essaie sans jamais y parvenir d'attraper ce ballon léger, léger, qui s'éloigne un peu plus chaque fois que je pense l'atteindre...

Mon club, mon cher club, voici donc encore une fois ma liste, maigre cette année, j'en conviens, à cause d'un Paris-Brest-Paris et par ailleurs de l'apprentissage de la vie d'un club "normal". Je ne pourrai donc faire mieux la prochaine fois. Ne crois pourtant pas que je t'oublie ou que je te délaisse. J'en suis fière de cette liste. Elle signifie que je suis toujours membre actif de ton mouvement, que j'y tiens. Peut-être cela touche quelque chose de vital en moi ?

A toi, club des Cent cols, l'un des fers de lance de notre Fédération Française de Cyclotourisme, je te souhaite de continuer à rassembler d'année en année les plus "mordus", les plus fous du vélo vraiment grandeur nature, toujours plus nombreux.
Happy Birthday ! Que la fête soit superbe...

Joëlle BRIOT

Vice-présidente FFCT


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