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Bataille de montures

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Depuis plusieurs jours, le Diois attirait les nuages ; les estivants regardaient avec attention le torrent grossi à la sortie des gorges des Gas, le long du camping.

Ce matin, le Glandasse, avancée sud du Vercors, est empanaché également mais je ne peux me résigner à remettre une sortie montagnarde. Homme de la plaine, je profite des vacances pour grappiller les fameux cols que je ne puis distinguer de chez moi. Et puis, le mauvais temps apparent vers 2000 mètres cache souvent de belles éclaircies. A Beaufort-sur-Gervanne, point de départ de ma randonnée, le ciel est gris et, là-haut, cela paraît bouché. Allons voir ! par de petites routes tranquilles où la nature est encore respectée, j'arrive sur les hauteurs de la Côte Blanche. Soudain, de rudes montées me hissent au col des Limouches où j'entends, plutôt que je ne vois, passer un cyclo qui en descend.

Le brouillard s'amasse en certains endroits. La carte I.G.N. au 100000e indique un chemin partant des Limouches, où le bar est fermé, vers le col de Toumiol ; après quelques kilomètres vallonnés, je suis arrêté par des engins de réfection de la chaussée, bien étranges en cet endroit. Les ouvriers me renseignent: "Vous êtes au bout du Monde, c'est un chemin en cul de sac."

Je m'incline, retour à la case départ par Léoncel. Très jolie grimpée au col de Toumiol parmi les sapins cadrant de longues lignes droites en bas, puis arrivée parmi de verts pâturages sur lesquels affleure la roche sur le haut. Au sommet de Toumiol, je ne verrai rien du versant opposé noyé dans la ouate.

Me voici suant malgré la fraîcheur - je suis à plus de 1000 mètres - dans la montée du col de la Bataille. Une large route mène à la station de ski de l'Echaillon, vastes parkings vides au cœur de l'été. Le brouillard se referme et, sans lumière (nous sommes en juillet et il est 10 heures du matin), je ne me sens pas en sécurité ; heureusement, les voitures sont rares.
Au col, où j'ai du mal à apercevoir le panneau, je revêts la cape car le vent est violent à la sortie du tunnel et je descends du côté Est. L'allure n'est guère plus élevée qu'à la montée tant la purée de pois est épaisse. Soudain, j'arrive sur une masse sombre. Je freine. Les patins n'accrochent pas avec cette humidité.

Je m'arrête juste à temps, nez à nez avec... le cul d'un cheval. En compagnie d'un compère, sous la surveillance de deux cavaliers, il est occupé à boire à la fontaine située au bord de la route. Je m'imagine l'article de faits divers qui serait paru dans la presse: "Collision entre un cycliste et un cheval au col de la Bataille : 2 blessés." Après cette frayeur, je continue jusqu'à la clairière de Malatra où un rayon de soleil arrive à percer pendant 10 secondes.

Je reprends maintenant la route en sens inverse et, cette fois ci, je me méfie des "ombres". Je dépasse les cavaliers qui redescendent du col de la Bataille sur leur monture. Les sabots des quadrupèdes claquant sur le bitume m'avertissent de leur présence.

Sous le col de Bacchus, où je n'ai même pas soif, c'est le grand beau temps. Je fonce vers le soleil retrouvé et dépasse un énorme camion en profitant des virages très serrés où il ralentit et m'envoie... ses effluves de gas-oil. A Beaufort-sur-Gervanne, les habitués jouent tranquillement à leur passion : la pétanque, sans se douter qu'à 15 km de là, le froid et le brouillard règnent.

Robert DERVAUX - N° 2303

Romilly-sur-Seine


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