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Le col Mitja (dans les Pyrénées Orientales)

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Je l'avais repéré depuis longtemps ce col ; peut être deux ou trois que je fantasmais sur mes cartes. Ce jour là, c'était un mercredi, j'étais enfin au pied du mur. Le col Mitja était devant moi, là-haut, perdu dans la brume matinale à quelque 2367 mètres d'altitude. Un ancien du village de Fonpedrouse, qui m'avait vu prendre le chemin du col, avec étonnement et incrédulité, me souhaita bonne route. Sacré farceur.

Jusqu'à Prat Balaguer : rien à dire. La route est bonne quoique pentue. Il fait déjà très chaud et le maillot colle à la peau. Il faut ensuite emprunter une route forestière non bitumée qui, exposée à l'ouest, restera à l'ombre toute la matinée. Je monte toujours jusqu'à un petit barrage : c'est ici que commence "l'aventure".

D'après la carte, je suis à 1626 mètres de haut. Je m'engage, alors que ce qui a été il y a très longtemps, un chemin de terre, aujourd'hui il reste des cailloux, beaucoup de cailloux, et des trous, beaucoup de trous. Il faut souvent mettre pied à terre. Au détour d'un virage, une haie de framboisiers me donne l'occasion d'une halte. Plus haut encore, je suis surpris d'entrevoir entre les branches, quelqu'un en train de réparer le toit d'un refuge.

Je progresse maintenant, presque toujours à pied. De loin, le col et les deux pics qu'il sépare ressemblent à une formidable poitrine de femme. J'aperçois sur l'un des gigantesques seins un petit téton noir : c'est un berger assis exactement sur le sommet. Il dort ou il rêve, perdu au milieu du ciel.
Enfin le col. Le point de vue est bien sûr extraordinaire, notamment sur la vallée de la Carança. Je fais signe à mon rêveur la haut sur son caillou. Il ne répond pas, choisissant d'ignorer le farfelu en maillot rouge sur un vélo vert qui s'est introduit dans son monde.

Ses vaches sont tout au fond de la vallée, minuscules tâches blanches. Durant les deux heures que, malgré lui, nous aurons partagées. Il n'aura pas bougé, pareil à une statue. Pourtant il m'a vu, c'est sûr. C'est étrange. D'ici, le regard porte sur des dizaines de kilomètres à la ronde ; on voit des pics, des gorges, des forêts, des ruisseaux, tout un monde éclatant de lumière, de couleurs, d'odeurs et de bruits ; mais la chose qui se remarque le plus, la seule "chose" importante, c'est ce petit bonhomme noir, immobile et silencieux.

La descente se passe bien, souvent à pied elle aussi. Je retrouve Fonpédrouse et la civilisation. Le petit vieux que j'avais vu le matin même, attendait mon retour. Il apparaît sur le seuil de sa porte et me demande comment ça s'est passé. Il me dit: "Je vous aurai attendu encore deux heures puis j'aurais prévenu la gendarmerie pour aller vous chercher". Tant de sollicitude me touche, même si elle est exagérée.

La journée est finie et je pense à mon rêveur. Un jour je remonterai là haut, j'espère qu'il y sera lui aussi et qu'il me répondra.

Claude PARRA


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