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La rechute

Revue N° 15 Page 39

La chute, le cyclo connaît. Quel est celui qui peut se vanter de ne pas s'être retrouvé sur le bas-côté de la route, les bras en croix, les pieds rivés dans les cale-pied, gémissant, alors que la demi-seconde d'avant il sifflotait en pédalant ? Quel est le cyclo dont une telle rencontre brutale avec le sol, n'a pas marqué sa chair pour le restant de ses jours ? A cet exercice, les clavicules - point faible par excellence - ne résistent pas : une des miennes rendit l'âme un jour. Combien de cyclos roulent encore avec leurs deux clavicules vierges ?

Que vais-je donc suggérer là ! les cyclos sont des As, des experts ; ce ne sont pas des manchots comme moi, l'unijambiste vacillant sur son vélo. Non mais !

Oui mais, il arrive bien que les champions automobiles les plus titrés filent droit vers les bottes de paille ou, pire, les glissières de sécurité ou tout autre obstacle plus résistant, pour finir en réparation, chez le Professeur Judet ou tout autre grand ravaleur ou consolideur de l'architecture humaine : Pironi, Laffitte, Vatanen... Tous n'ont pas la chance insolente d'un Fangio.

Au fait, pourquoi s'être égaré dans une carlingue à quatre roues ? De bons exemples n'existent-ils pas dans le cercle des champions cyclistes ? Bobet, Rivière, Anquetil, Poulidor, Hinault... n'ont-ils pas été extraits d'un ravin où, saturés de virages ils s'étaient précipités ? Il n'y avait pas que des pâquerettes pour les accueillir, à en juger par les visages ensanglantés qui apparurent sur le petit écran.

Oui, tout bon cycliste, tout bon cyclotouriste se doit un jour ou l'autre d'avoir chuté. Tout vacillant que je sois, je suis donc un bon cyclotouriste.

Hélas, après la chute, il y a la rechute. Le processus est classique pour beaucoup, sinon toutes les maladies. La colite, maladie-type du cyclotouriste, suit la règle générale : elle se doit d'être à rebondissements, cyclique quoi !

La grippe est automnale ou printanière ; la gastrite chatouille vers les mêmes périodes. On pourrait penser que la colite soit plutôt estivale. Nenni ! Bizarrement, elle répond essentiellement à un critère arithmétique ; il suffit que deux zéros pointent à l'horizon - un poncif du langage qui traduit mal les paysages habituels du malade concerné - pour que la colite affecte le cyclotouriste :

  • 100 : les premiers symptômes,
  • 200 : la seconde poussée,
  • 300 : la rechute.

J'ai donc rechuté en ce début de mars 1986 en passant mon 300e col ! Son nom : Espigoulier, rien de bien particulier. Et pourtant, non loin, un peu à l'est, qu'y a-t-il ? : le Mont Saint... Pilon ! En provençal, le pilon est un sommet : celui-ci culmine à 994m. le mien rase le sol... Découverte de la langue : l'ascension de ce 300e col me permit de comprendre pourquoi ma bicyclette et moi-même - je compte de temps en temps - emmenons si souvent mon pilon vers les sommets : c'est pour y rencontrer ses frères montagnards... L'esprit de famille.

Mon 300e col fut fêté dans l'hostellerie de la Sainte Baume devant un bon feu : je ne peux pas ajouter à l'ombre du Saint-Pilon car il pleuvait ce jour-là. La colite est ainsi faite que le malade ne tord pas le nez quand il rechute : il fait la fête, il l'arrose comme il peut.

Suprême bonheur, Annie, absente aux premières éditions de la maladie - le 100e col portait tout de même son nom - était là. Dire qu'elle appréciait davantage la pluie du 300e que le champagne du 100e lorsqu'il fut célébré plus tard à la maison serait mentir. Son humeur était indécise d'autant que ce col de l'Espigoulier n'était pas son 100e, à elle ! Elle ne connaissait pas les transports du colitique - sur pilon, qui plus est - mais seulement les affres de l'épouse d'un malade. Elle s'est rattrapée depuis, non qu'elle atteigne aux mêmes extases mais bien parce qu'elle démontre maintenant qu'un col n'est pas matière à rentrer en transe : elle monte un col si facilement, clouant sur place son colitique de mari...

C'est ainsi qu'une force m'est de dire aujourd'hui que je sens ma fin prochaine. Encore une petite rémission jusqu'à 400, une autre moins sûre mais espérée jusqu'à 500. la crise aiguë qui marquera ce 500e ne sera-t-elle pas la dernière ?

Peut-être publierai-je d'ici là quelques bulletins de santé pour faire connaître l'état de mon mal incurable, son évolution en dents de... pédalier.

Bernard Migaud

Metz, février 87

Nota : Au cas où ils trouveraient le texte hermétique, les nouveaux membres de 1982 sont invités à emprunter à leurs anciens le n° 10 et surtout le n° 12 de 1984 où ils trouveront une photo évocatrice.


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