Page 53 Sommaire de la revue N° 14 Page 55a

Au-delà de l'Aula

Revue N° 14 Page 54

La recherche de nouveaux cols à gravir et l'obligation aux "CENT COLS" d'avoir un certain nombre de "plus de 2 000" vous plongent de force dans la lecture assidue de la carte.

Pour cette catégorie des seigneurs dépassant la cote fatidique de 2 000 m, seules les Alpes et les Pyrénées peuvent, en France, satisfaire votre quête. Vous pouvez avoir écumé toutes les Vosges ou toutes les Cévennes, cela ne suffira pas.
Il faut, dans un effort méritoire, se hisser dans un cas sur 20 au-dessus de cette fameuse altitude.

Donc, lors d'un séjour au plus profond de l'Ariège, en Couserans, nous avions, ma femme et moi, fait une large provision de cols et autres ports ; cependant, aucun de plus de 2000.
La carte nous apprend qu'à portée de pédales, il y a le Pailhères - 2001 m (tout juste la pointure), le Port d'Envalira et le Pas de la Case (le nom fait penser qu'il s'agit d'un col mais en fait ça n'en serait pas un) et le port d'Aula.

Le Pailhères a déjà été vaincu voici quelques années, l'Envalira est sur une route épouvantablement envahie par les bagnoles qui dépensent 10 Frs de carburant pour gagner 3 Frs sur une bouteille d'alcool, reste le port d'Aula.

Sur la carte, il a une allure sympathique ; plus de 1 500 m de dénivelée en 20 Kms, une jolie petite route blanche et rouge qui se tortille, s'enroule, cherche son chemin pour déboucher sur la crête au-dessus de la sierra espagnole. Vraiment, on ne peut y résister.

Par un beau matin d'août, nous remontons tranquillement la vallée du Salat jusqu'à Couflens où démarre la véritable ascension.
Très vite, nous dépassons les dernières habitations et nous sommes au coeur du sujet. Le bitume a disparu et, c'est sur une route empierrée qui ira en se dégradant que l'on gagne mètre par mètre vers l'Aula.

Aula ne serait-il pas une contraction d'Au-delà ? Car c'est véritablement un autre monde que nous découvrons peu à peu.
Après le col de Pause le bien nommé (un genre de purgatoire en quelque sorte), le brouillard nous rejoint et nous plonge ainsi au coeur des ténèbres cotonneuses.
Tel Dante visitant l'Enfer, des visions fantasmagoriques frappent nos rétines. Un court instant, je vois devant sur la droite, la montagne bouger. Tout un pan qui lentement s'enfonce dans la brume accompagné d'un lointain bruit de cloches. Où sommes-nous donc ? A cet instant, les nuages se déchirent et j'aperçois éclairé par le soleil un immense troupeau de brebis qui dévale la pente de l'autre côté d'une combe.

Un peu plus haut, lorsque le regard peut se permettre de quitter un court instant le chemin raviné sur lequel il faut placer les roues, je devine une crête. Est-ce le sommet ? Avons-nous atteint l'Aula ? Quelques minutes d'effort et nous y voici. La visibilité est maintenant excellente, les nuages étant en dessous de nous emplissant de leur masse blanchâtre les vallées.

Alors s'offre à nous un des plus beaux spectacles de montagne : un petit lac d'un bleu puissant enchâssé au milieu d'un petit cirque rocheux. Sans nous concerter, nous posons les vélos et nous nous allongeons sur l'herbe rase pour détendre nos muscles et jouir pleinement de ce site magnifique.

L'air est frais mais agréable après ce rude effort et, la pomme tirée du sac craque délicieusement sous les dents.

Pour atteindre l' "Au-delà", se dresse devant nous une barrière presque verticale où se dessinent les lacets escarpés du sentier. Celui-ci est à peine cyclable et plusieurs fois, il faut mettre pied à terre.

Enfin, après un ultime lacet, encore plus raide, nous arrivons au port. Cette fois, pas de doute. Une lourde pierre cubique indique la frontière entre la France et l'Espagne et nous rappelle l'altitude : 2 260 m. Au-delà de l'Aula, il n'y a plus de chemin et les croupes herbues s'enfuient vers l'Espagne.

Un bref instant de repos nous fait apprécier la sauvage beauté de ce col avant de redescendre prudemment vers la vallée.
L'heure est maintenant avancée et nous croisons à plusieurs reprises des voitures genre tout terrain dont les occupants sont surpris de rencontrer deux cyclistes qui reviennent de cet autre monde.

Quant à nous, nous sommes heureux d'avoir sans bruit, en douceur, pu apprivoiser cette montagne.

J.M. BOUILLEROT

Bergerac


Page 53 Sommaire de la revue N° 14 Page 55a