Revue N°5 page 8

SIX BANDOULIERS POUR UN COL MULETIER

 

Le papier que je vais écrire n'est pas un conte de Noël, mais un récit de l'amour de la nature de six cyclotouristes, membres du C.C.L. qui, un beau jour de début mai 1972 décident d'aller à la conquête des cimes, et de passer de la vallée de la Garonne dans celle du Ger (Haute-Garonne) en escaladant un col muletier situé tout près de la frontière espagnole : il s'agit du col ARTIGASCOU (1351 mètres).

Si je me décidais de me mêler au groupe formé par le Président Léopold, Jean "Le Béarnais", Jean "Gontran", Roger Mingaud, Georges Brassens (pas le chanteur) et moi-même, c'est parce que, dans mon imagination, je me doutais que cette randonnée cyclo-pédestre devait être un moyen fort agréable de s'épanouir, de se vautrer dans la nature et de trouver dans celle-ci tout le charme que procurent forêts, prés, sentiers pentus, pâturages, flore sauvage, air pur des sommets...

Pour avoir dans ma jeunesse effectué de véritables "cures" champêtres dans des sites de haute montagne, je me réjouissais à l'avance de cette belle randonnée pyrénéenne.

Nous partons donc à l'aube de ce très beau matin du mois du muguet. Après avoir laissé sur notre gauche le col des Ares puis celui du Menté, nous remontons le cours de la Garonne, direction Espagne. Fos, la dernière commune de France, est traversée et, au lieu-dit "Sériail", nous prenons une route sur notre gauche, et grimpons une côte très abrupte qui nous conduit au cœur du village commingeois de Melles, point de départ du fameux col muletier d'ARTIGASCOU.

A Melles, une dame, fort charmante d'ailleurs, s'étonne et nous déclare tout net qu'il est impossible de franchir le col à bicyclette. Notre but est fixé ; nous savons ce que nous voulons et continuons notre chemin. Tant pis pour la folie !!! Après avoir encore viré vers l'est, nous grimpons deux bons kilomètres tantôt sur l'herbe, tantôt sur les sillons creusés par les skis des traîneaux de montagne. C'est amusant, follement champêtre et tout le monde a le plus beau sourire des plus beaux jours. Au détour du sentier, nous rencontrons un berger à la barbe broussailleuse, vêtu d'une longue cape de bure, à qui nous demandons quelques renseignements. Du geste de la main, ce brave homme nous indique la direction à prendre, mais paraît étonné de nos "montures" et de nos tenues cyclistes. Salutations, remerciements, nous voilà repartis à la conquête du sommet recherché.

Côté ouest où nous sommes partis, rien n'est goudronné. Aussi, avec les difficultés pentues, nous sommes obligés de prendre nos "randonneuses" sur nos épaules, et, l'un derrière l'autre formant une étrange cordée, nous nous engageons dans une sorte de sentier qui ressemble énormément à celui des schlitteurs. Au lieu de descendre, nous grimpons, appuyant les cales de nos souliers sur les très nombreuses traverses de bois.

Après les hauts pâturages, nous rejoignons la forêt ; une grande pinède fortement odorante, mais à l'aspect très sauvage. La montée dure près de trois heures. Les plus rapides, vélo en "bandoulière" sont devant tandis que les autres admirent les sites, maintes fois changeants, mais combien magnifiques.

De temps en temps, l'écho des monts silencieux nous situe approximativement la position de ceux que nous ne voyons pas. Le sentier est par endroits embourbé avec de grosses flaques claires ou noirâtres dues à la fonte des neiges. Il nous arrive aussi de glisser sur une traverse et d'avoir plusieurs fois les pieds trempés, mouillés. Sur nos visages, toujours le sourire, autour de nous rien que des senteurs enivrantes que nous procure Dame Nature.

Nous continuons notre ascension vélos sur le dos, lorsque d'un seul coup, tels un tonnerre, les montagnes et pics environnants nous renvoient des dizaines d'échos assez bruyants. Ce ne sont pas les trompettes de l'ami "Jéricho", ni le passage soudain du Yéti, ce monstre des montagnes, mais l'arrivée fort joyeuse de Jean "Gontran" et de Brassens, suivie tout de suite de celle des autres compagnons de promenade.

Là-haut, sous le chaud soleil printanier, tout le monde est heureux, content d'avoir mené à bien cette bien belle grimpée cyclo-pédestre, non pas sur le bitume d'un boulevard, mais sur un authentique sentier où seuls passent des mulets bâtés ou encore d'innombrables "billes" de sapin.

Là-haut, tous réunis, nous admirons le magnifique panorama qui s'offre à nos yeux, nous photographions, nous détendons nos muscles, puis nous allons boire l'eau pure et limpide à la source-fontaine du sommet du col d'ARTIGASCOU (*).

Nous avons souffert durant notre ascension, mais nous avons vaincu toutes les difficultés et, possesseurs et conquérants de la nature, nous sommes tous satisfaits, enivrés d'avoir gagné. Nous sommes un peu comme ces amis sportifs alpinistes qui réussissent à passer après de longues heure d'efforts une paroi que l'on dit inaccessible. Comme chez eux, il y avait de la joie dans notre groupe. En vrais amoureux de la montagne, nous aurions chanté celle-ci si le temps nous l'avait permis. Il fallait bien songer à repartir.

Chacun reprit sa bien-aimée de bicyclette et, dix mètres plus loin, chacun la reposait avec délicatesse sur l'étroite route goudronnée du versant est. Il ne restait plus qu'à nous laisser glisser vers LE PLAN DU REY, rejoindre la route du col du Menté au-dessous de GER-DE-MOURTIX, traverser HENNEMORTE, célèbre par ses gouffres et ses grottes. Par le CAGIRE, ASPET, suivant le GER, nous traversons le Comminges, GOURDAN (maintenant bien connu) pour regagner nos chaumières de BIGORRE en Pays Bandoulier.

Roger DUPUY de Lannemezan (65)

(*) Preuve que toutes les fontaines du Comminges ne sont pas toujours asséchées.