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LA VENGEANCE DU PAUVRE CYCLO

Revue N° 04 Page 17

Pesant 80 Kg et faisant 61 ans, il n'est pas question que se sois un grimpeur rapide.

J’avais lu corme tout te monde : "le B.R.A. il faut le mériter, la Croix de Fer interminable, rude, difficile, surchauffée, etc... etc." Je dis moi, petit cycle modeste : "le B.R.A. facile".
Il faut dire que j'ai un truc !

Plus de 2 000 engagés, cela veut dire qu'en partant avec ma sacoche qui est une vieille copine, sur mon brave vélo, direction le Lautaret, on peut estimer que j'ai été doublé par 2 000 vélos.

Tiré donc par 2000 bonshommes, une vingtaine de mètres chacun, on arrive au Galibier porté par l'ambiance.Il faut pour cela avoir une grande indépendance d'esprit, ne pas vouloir se mettre dans les routes et bien se dire : "foncez toujours, moi j'ai le temps".

Descendre sur Valloire, petite remontée du Télégraphe et on arrive dans la vallée, que voit-on : des cyclos attablés, des voitures éventrées, d'où sortent des glacières, des pâtés, du pain, des boissons glacées, on voit même des onguents briller sur des jambes de cyclos et là, en attaquant la Croix de Fer, commence le regrignotage.

Ils m'ont doublé, mais maintenant cyclo par cyclo, catastrophe, épuisé, comme disait Joffre : "je grignotte".

Je grignotte donc "des cyclos" qui, accompagnés de leur voiture, boivent frais, s‘aspergent d'eau glacée (a-t-on jamais vu un arabe traverser le désert en s'aspergeant d'eau fraîche !) et le grand travail de démolition des voitures commence donc et là le pauvre petit cyclo se regonfle et il sent la victoire proche.
Ah, les belles natures, le bon appétit de ces gars, le cul dans le coffre qui s'empiffrent et qui, de digestion sur digestion imposeront au coeur des à-coups que celui-ci ne pourra supporter jusqu'aux derniers lacets.

Au pied des derniers lacets, l'Organisation distribue, dans un bruit de bouteilles, très gentiment, avec le sourire, dans la joie, de quoi se rafraîchir et même manger, et finalement tout va bien.

Car la catastrophe voiture prend toutes ses dimensions, les vélos se raccrochent dessus et ces voitures ne peuvent même plus passer, elles chauffent, dedans on s'énerve, on y voit des épouses qui ont le sentiment d'avoir complètement perdu leur journée, des maris qui n'ont plus qu'à se voiler la face en voyant tous les camarades qui, en silence peut être en souffrant (sûrement d'ailleurs) les doublent, les passent et réunissent.

J'en ai vu, moi le petit cyclo qui a le temps de monter, qui arrivera juste dans les délais, j'en vois des choses : des jambes rasées comme les champions : en voiture ça passera le col ; des vélos à boyaux super légers : sur les voitures ça passera le col ; et moi celui qui roule tout juste, qui passe la Croix de Fer heureux qu'elle ne fasse pas 50 mètres de plus, je dis : "n'interdisez pas les voitures accompagnatrices, car elles nous sont trop utiles, à nous pauvres cyclos", c'est ça le truc.

Jean BALME

DIJON (21)


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