Revue N°2 page 11

MON QUEYRAS ..... A MOI

d'André VOIRIN (Gérardmer)

 

    C'est un raid éclair que je vous raconterai. Genre d'escapade qui, chaque fois me remplit de joie tout autant que de plus longues vacances.

    31 Août .... Vélo bien calé comme d'habitude, à la place du siège arrière, à 10 Heures c'est parti ! Mais c'est le reflux des "aoûtiens" et je ne suis à Grenoble qu'à 15 H.30. Route facile ensuite, malgré le Lautaret, jusqu'à Guillestre. 18 Heures, camping tranquille au pied du village, au bord du Guil.

    Nuit profonde, et sommeil aussi. Dès 3 Heures j'ouvre un œil : le ciel est plein d'étoiles mais il fait si bon dans les plumes qu'il faut les quatre coups au clocher de Guillestre pour que je me remue un peu. Le temps de préparer le vélo en tâtonnant dans l'obscurité et avant 5 Heures je suis dans les lacets au sortir du village. C'est bientôt le long replat de la traversée des impressionnantes gorges du Guil. Mais il n'y a plus de réserve de neige à cette saison en Queyras et le ruisseau, au fond de son ravin, est extrêmement discret. Chateau-Queyras à 6 Heures paraît encore endormi. Sur son piton rocheux, le château a vraiment fière allure. C'est le maître des lieux, la clé du Queyras. Mais vingt …., bon sang qu'il fait froid dans cette vallée ! La grimpée vers Molines est heureusement réchauffante même si les nuages matinaux qui progressent du sud font des misères au soleil. Trapue et si curieuse avec son clocher détaché, l'église est en sentinelle à l'entrée du village. A Pierregrosse il faut  prendre le temps d'apprécier le pittoresque du vieux village encore silencieux. Dans l'unique rue, étroite et tortueuse, un bref rayon de soleil balaie les vénérables balcons de bois juste le temps nécessaire à ma photo !

    Mais je ne me réchauffe guère ! Vu la fraîcheur ici et ma secrète envie de faire un 3000 .... en chaussures cyclistes je ne me pardonne pas, à moi qui connais pourtant la montagne sous toutes ses formes, d'être parti en simple cuissard, vraiment comme un "bleu". Alors à Fontgillarde, tout dernier hameau, foin de fierté ; prenant mon courage à deux mains, de porte en porte, je frappe. Pour marchander devinez quoi ? Ma phrase est toute prête   "Bonjour patron ! Vous n'auriez dès fois pas un vieux caleçon à me céder ? .... Mais l'heure matinale me sauve du ridicule car ils sont tous aux écuries à cette heure et ma détermination d'avoir moins froid ne va pas jusqu'à aller en souliers cyclistes relancer ces braves gens sur un terrain glissant.

    En claquant des "genoux" je reprends ma route tandis que les nuages, cette fois, ont quasiment gagné la partie. Ils encapuchonnent déjà le Grand Queyras, sur ma gauche, un "3000" qui m  la valu quelques sueurs froides le jour où, skieur solitaire, je remontais son arête terminale dans une neige profonde affreusement avalancheuse. C'est pas des trucs à raconter ! Encore tout à mes anciens exploits je n'ai pas vu la petite route devenir simple chemin et le macadam céder la place à la terre battue. Malgré les ornières et les ravinements, c'est assez roulant. Il faut dire que je suis sur le 28 x 21 et que je n'ai rien d'une fusée, encore qu'il y ait des sifflements. Mais des sifflements brefs, aigus et que je connais bien : les marmottes. Bientôt je ne sais plus où donner des yeux et des oreilles : ça court de partout. Des marmottes tous azimuts ! On ne marche pas dessus mais presque !! Tapie à quelques mètres du chemin, en voilà une si parfaitement immobile, malgré mon approche, que je la crois blessée à mort. Clic, clac, merci Kodak (publicité non payée). Le déclic lui a brusquement rendu son agilité, malgré l'embonpoint qui va de soi lorsqu'on s'apprête à vivre tout un hiver sur ses réserves corporelles, et elle a tôt fait de disparaître.... dans un tuyau de drainage.

    Au-delà du royaume des marmottes, la montagne n'est pas encore totalement minérale et je me trouve soudain au nez à nez avec un troupeau de vaches qui, pour leur méditation, trouvent le chemin plus commode que les pentes raides surplombantes. Gros yeux globuleux, panses crottées, museaux baveux qui ne s'intéressent au vélo que pour ce qu'il pourrait avoir de bon à ruminer !

    Au vacher, je pose quelques questions sur le Col de Chamoussière, mais l'air ahuri du gars en dit long sur l'idée saugrenue de monter là-haut avec un vélo. Après s'être enroulé autour d'un petit chalet si haut perdu, le chemin émerge bientôt en vue de la plaine italienne vers laquelle se déversent les nuages tout étirés par les crêtes qu'ils accrochent au passage. Il est 9 Heures. C'est le Col Agnel, 2.744 mètres, frontière qu'aucun douanier ne surveille mais qu'un petit vent frisquet balaie d'ouest en est. Je ne descendrai pas le versant italien car là-haut, mon "3000" m'attend. Après un rapide casse-croûte, il me faut redescendre le dernier kilomètre du col pour être à pied d'œuvre. Face à moi se découpe sur un coin de bleu du ciel, le Col de Chamoussière, clé du vallon qui, par-delà la ligne de crêtes, me descendra sur Saint-Véran. A gauche du col se détache une arête bonasse, donnant accès à une montagne à vaches pompeusement baptisée "Pic" de Caramatran (3025 mètres) ; c'est çà mon objectif, certes modeste, mais plutôt insolite pour un cyclo. L'itinéraire dans la face Nord de la montagne est évident, l'état des lieux aussi : imaginez une pente faite d'un amoncellement formidable de lauzes, ces pierres plates, branlantes, en déséquilibre permanent, parfois coupantes comme des lames, constamment prêtes à glisser les unes sur les autres par réaction de chaîne et qu'il faut que mes semelles de cuir bien lisses attaquent en biais en direction du col. Chaque faux pas compromet l'équilibre du vélo sur mon épaule. En contrebas, mon vacher, s'il me voit, doit me prendre pour un dingue ! Mais un tracé vaguement balisé facilite les choses et les ennuis d'équilibre seront finalement peu nombreux. Bien heureux quand même de poser enfin le vélo dans un peu d'herbe au sommet de la crête. Il est 10 Heures 50. Le soleil commence à faire des apparitions. Le Pic de Caramantran est à portée de la main et par une très large croupe, j'y suis en un quart d'heure de marche. A l'est le Viso, au sommet duquel je me trouvais il y a un an jour pour jour, est perdu dans la brume et seule la base trapue et puissante de la montagne laisse deviner la suite.

    La pèlerine me protège bien du froid mais je claque quand même des dents .... une dernière fois, car l'éclaircie se développe à vue d'œil et le Queyras, progressivement, retrouve le bleu profond de sa lumière méridionale.

    Je retrouve, moi, mon vélo laissé au col. Mémorable partie de cyclo-cross dans les alpages qui descendent raide au fond du vallon. Du sentier du col de Saint-Véran, en contrebas, des touristes regardent, méditatifs, ma gymnastique. A leur air ahuri, pas de doute : eux aussi me prennent pour un fou ! Un sentier qui n'est qu'un boyau tracé dans les gazons où s'accrochent les pédales, des ruisseaux au chant joyeux traversés à gué, quelques descentes raides où il faut porter, et dans la chaleur revenue, au pied de la Tête de Longet qui me rappelle, elle aussi, des souvenirs de ski, on retrouve avec satisfaction, ma bécane et moi, le bien agréable goudron de la civilisation ; çà fait tout drôle de redevenir un cycliste normal !

    Saint-Véran est décidément le plus joli village du Queyras, en balcon à 2000 mètres, avec ses croix curieusement chargées d'amulettes, ses vieilles fontaines à dégueuloir de bois vermoulu et ses vénérables balcons fleuris. Ensuite, plus qu'à se laisser glisser jusqu'à Ville-Vieille après quoi un vent de face, qui rappelle la vallée de la Romanche dont la réputation est bien établie chez les cyclos, me vaut un final plutôt pénible. A 14 Heures, du haut des derniers lacets, J'ai l'impression de descendre en piqué sur le clocher de Guillestre qui parait comme fiché dans le sol. C'est fini. Une bien amusante virée à inscrire au tableau des bons souvenirs.

André VOIRIN.