Revue N°2 page 4

BREVET CYCLO des HAUTES ALTITUDES

de Roberto DEL MEDICO, de Chambéry

 

 

Ce fût un article dans "Le  Dauphiné" et la médaille très belle, qui me persuadèrent à m'inscrire au B.C.H.A. (Brevet Cyclo des Hautes Altitudes) organisé par les Compagnons du Pignon Fixe.

C'est un ler juillet qu'avec des coups de pédales énergiques, j'ai rejoint les environs de Barcelonnette par un parcours très accidenté et sous une chaleur torride.

Le soir, je dors dans une remise appartenant au maire d'un petit village proche de Barcelonnette : Les Thuiles.

2 Juillet : de bon matin, j'enfourche le vélo et prends la direction du Col d'Allos. Sur cette route que j'ai parcourue déjà maintes et maintes fois, une foule de souvenirs me vient à l'esprit ; il y a à peine un an, c'était la seconde étape de mon "Tour de France Randonneur", J'étais heureux certes mais inquiet surtout, doutant de ne pouvoir arriver à terminer cette fantastique randonnée en solitaire. Aujourd'hui je n'étais pas pressé, je pourrai regarder le paysage tout à mon aise et cela en valait la peine.

Vous allez penser que c'est ridicule, mais moi je n'arrive pas à rester indifférent devant un paysage montagnard, même si je l'ai vu déjà une dizaine de fois. A chaque ascension je découvre un détail jamais remarqué auparavant, parfois même insignifiant mais qui a tout de même le pouvoir de m'émouvoir et je m'extasie comme si c'était "la première fois".

C'est vrai, j'aime la montagne, je l'aime peut-être trop, je l'aime de tout mon être.

Plus tard, c'est le ravitaillement au village d'Allos. Je remplis consciencieusement la musette car je vais devoir traverser le Col de la Petite Cayolle, col muletier rejoignant la route du Col de la Cayolle.

Par une route étroite et fortement pentue (d'après la carte Michelin "à 15 %") je grimpe, bercé par l'air frais et vivifiant d'une forêt très dense de sapins, jusqu'au splendide Lac d'Allos. Là, je quitte la piste encore cyclable et le refuge où j'ai pu obtenir le "cachet contrôle" pour m'engager sur un sentier virevoltant de montagne. Ce dernier traverse d'abord une forêt, ensuite d'immenses pâturages pour terminer enfin sur un flanc de montagne complètement dépourvu de végétation.

Quels ne furent pas mon  émerveillement et ma stupéfaction de voir là, entre de gros cailloux chauffés à blanc paille soleil brûlant, de merveilleuses et délicates petites fleurs inconnues. Comment ont-elles pu pousser à cet endroit ? Pourtant personne ne les a plantées ni arrosées. Malgré tout, elles sont là, merveilleuses de couleur et de délicatesse, si frêles, si parfumées, si… C'est là l'une des mille et mille choses qui me font aimer la montagne

J'avance avec précaution, posant mon pied avec délicatesse en veillant de ne point en écraser. Le sentier se faufile cette fois à travers cailloux et immenses coulées de neige que je traverse avec extrême prudence, le vélo sur l'épaule bien qu'il soit lourdement chargé.

Soudain, après avoir traversé une crête, je découvre avec stupéfaction un merveilleux petit lac, le Lac de la Petite Cayolle ; la neige, elle, venait caresser sur les bords l'eau extrêmement limpide et transparente comme un miroir.

Le sommet du col, lui, est juste au-dessus, 500 mètres plus loin environ.

Je ne peux résister à l'envie de prendre quelques photos. Dès le sommet atteint, je découvre au fond, les derniers lacets de la route du Col de la Cayolle, au loin, presque en face de moi, j'aperçois la cime de la Bonette que je reconnais grâce aux pare-brise des voitures qui brillent au soleil et beaucoup de choses merveilleuses encore. Je dévale à grandes enjambées à travers cailloux et prés, la pente qui me conduit jusqu'à la route. Des automobilistes me voyant arriver, ébahis, le vélo sur mon épaule droite, se demandent d'où je peux bien arriver. On me questionne avec fougue, on veut tout savoir et dans le moindre détail, certains même me prennent en photo comme une célébrité de cinéma.

Agacé, n'aimant pas de genre de situation, je m'habille pour la descente et m'enfuis de cette foule de badauds.

Un peu plus tard, dans Valberg, j'ai droit à un terrible orage de grêle. De gros grêlons, éclatants comme des petites boules en touchant l'asphalte, s'abattent sur moi me faisant très mal. Je continue l'ascension, imperturbable. Au sommet du col, tout endolori, je cherche en toute hâte un hôtel.

Le lendemain, remis des émotions de la veille, je reprends la route.

Ce n'est qu'à 11 Heures 30, après les Cols de Sainte-Anne et de la Couillole, que je suis à Saint-Etienne de Tinée ; déjà au fond se dessine la très grande Bonette. Il va me falloir presque trois heures pour vaincre de géant des Alpes Maritimes.

Après un "pèlerinage" à la cime de la Bonette, je me lance dans une descente particulièrement virevoltante et dangereuse, à une allure folle, ralentie in extremis par une interminable procession de moutons. Encore une transhumance qui monte là-haut, vers les gras pâturages du Restefond.

Quelques temps plus tard, j'arrive à la Contamine-Châtelard, au pied du Parpaillon (un presque muletier). Je me renseigne auprès des villageois pour savoir s'il y a quelques possibilité de faire étape pour la nuit sur la piste qui conduit au col.

J'apprends ainsi qu'à Sainte-Anne, il y a un hôtel, après........ plus rien. Un fermier survient à cet instant et m'apprend qu'à mi-col  il y a le refuge de bergers du Grand Parpaillon. Il ignore si le berger s'y trouve.

J'essaie malgré tout d'arriver jusque là.

Jusqu'à Sainte-Anne, la route est goudronnée mais extrêmement pentue. J'aperçois l'hôtel que les braves gens du village m'ont indiqué mais je ne m'arrête pas car j'ai décidé de continuer. Encore quelques mètres puis, après la chapelle de Sainte-Anne, je quitte le monde civilisé et la route goudronnée pour une piste sinueuse et caillouteuse. Je franchis un ou deux ponts en bois puis, soudain, après avoir traversé le torrent "Parpaillon", c'est la chute ; enlisé dans la boue provoquée par le débordement des eaux du torrent lors des dernières pluies, je n'ai pu garder l'équilibre et me retrouve avec les fesses dans la boue gluante.

Je me relève en lançant des mots d'injures.

Je reprends mon calme ainsi que ma place sur la croupe de "Marguerite" (c'est ma bicyclette). Je suis inquiet... Est-ce que je vais trouver le berger ? Vais-je être obligé de passer la nuit à la belle étoile ? C'est que les nuits sont encore fraîches d'autant plus que je suis presque à 2.000 mètres d'altitude.

Soudain j'aperçois par terre du fumier de brebis !........

Je respire. Quelques minutes plus tard, un tintement joyeux de clochettes m'accueille. En sortant de la forêt j'aperçois enfin, perché au sommet d'une petite colline, le refuge. Comme il parait accueillant !

Le berger est là. Je m'avance vers lui et lui demande sans tarder l'hospitalité. Il parait gêné. Il m'explique qu'il vit là seul et que l'intérieur de la maison n'est pas très propre. Pourtant, il m'avoue être très heureux d'avoir de la compagnie. Cependant il refuse de me faire rentrer à l'intérieur de la maisonnette tant qu'il n'aura pas fait un peu de ménage.

En attendant, j'admire l'extraordinaire paysage qui se dessine autour de moi.

Imaginez : un silencieux torrent descendant en pente douce, un étonnant et profond vallon rendu encore plus beau par la multitude des couleurs qu'on ne retrouve qu'à l'heure du crépuscule, de part et d'autre, deux gigantesques parois s'élevant en forme de V, tellement hautes à toucher le ciel et se perdant à l'horizon.

Pour compléter le tableau, un silence. Un silence tellement profond qu'il fait presque peur.

De temps à autre on entend dans le lointain un bêlement et un tintement léger de clochettes.

Je suis interrompu dans ma contemplation  par la voix forte et caverneuse du berger. Ce dernier, le travail terminé, m'invite à entrer. Il m'accueille dans sa demeure avec un grand verre de vin du pays. Le soir, à la veillée, nous faisons connaissance devant une grande assiette de soupe chaude.

Dès l'aube, le berger est debout. Après avoir réuni son troupeau éparpillé dans la nuit, il me rejoint. Entre temps, j'avais préparé du café (on était devenu comme deux copains maintenant).

Dès que je vois pointer le soleil au-dessus des montagnes, je quitte mon grand ami avec une forte poignée de main, remplie de gratitude et aussi un peu de regret de ne pouvoir rester.

Une  heure plus tard j'étais à l'entrée du tunnel du Col du Parpaillon.

Je le traverse avec difficulté  car le passage est en partie obstrué par un éboulement.

De l'autre côté, des cris de marmottes me font sursauter. En voilà une qui passe, une deuxième, une troisième...

J'essaie de les prendre en photo......  trop tard, elles ont déjà disparu.

Après de nombreuses difficultés, J'arrive enfin à Crévoux, dernier contrôle de la randonnée.

La patronne de l'auberge, pendant que je me désaltère, me propose de regarder le livre d'or où sont inscrits tous les noms des cyclos passés par-là. Intéressé, j'accepte.

La patronne du bar disparaît dans une pièce voisine et revient un instant après avec un volumineux et poussiéreux livre.

Après avoir feuilleté une centaine de pages, je découvre, à la date du 8 août 1968, une petite "bafouille" signée de la main de Jean-Claude Chaberty et de Pageon, deux cyclos chambériens que je connais bien. Quelle bonne surprise !

Je me dois, à mon tour, d'écrire mes impressions.

A 12 heures 30 je suis à Chorges ; il faut que je sois pour le soir même à Chambéry. Il me reste trop peu de temps pour rentrer à vélo.

Je décide donc de prendre le train jusqu'à Grenoble.

A 18 Heures 50 je suis en gare de la Capitale dauphinoise.

A 21 Heures enfin, je peux regagner mon domicile, fatigué mais extrêmement heureux.

Où me conduira ma prochaine randonnée ? Dans quelle nouvelle aventure m'entraînera-t-elle ?

Robert DEL MEDICO

 

NOTA

Il y a  7 ou 8 ans, je découvrais au fond d'un garage, ce jeune mécanicien qui, timidement, me demandait quelques renseignements sur le cyclotourisme.

Aujourd'hui, vous venez de lire sa passion, et, je viens de lui remettre très officiellement au nom de la F.F.C.T., le diplôme du mérite fédéral qui récompense très amplement les services rendus par ce garçon à la cause que nous connaissons.

Voyez comme quoi le rôle de dirigeant a parfois du bon.

Deuxième prétexte : Robert DEL MEDICO à l'automne dernier, en traversant avec une jeune fille un col cyclo muletier de Savoie, fit une chute de plusieurs dizaines de mètres, entraînant compagne et vélos ; blessures assez graves pour la compagne et expédition acrobatique pour récupérer les bicyclettes en fort mauvais état.

Que cette parenthèse vous fasse vous souvenir combien il est nécessaire de franchir ces passages difficiles avec prudence et en prenant toutes les garanties nécessaires.

Jean PERDOUX