Yémen (Le toit de l’Arabie)

 

Au sud de la péninsule arabique, le Yémen est bordé par le désert le plus chaud du monde, par l’océan Indien et par la mer Rouge qui le sépare de l’Afrique. Alors quel est le but de ce voyage pour un cyclo-montagnard ? En détaillant de plus près ce pays, on s’aperçoit qu’il offre une remarquable variété de paysage dont à l’est, les hauts plateaux fertiles qui ont fait la renommée du Yémen. Sanaa, la capitale, occupe le centre du bassin à 2350 mètres d’altitude, le plateau étant entièrement ceint par des montagnes. Mon circuit comportera 13 étapes essentiellement en haute montagne avec au passage quelques cols au-dessus des 2000 et 3000 mètres ! Le kilométrage journalier variera entre 65 km et 126 km pour un total de 1234 km. Comme compagnon de voyage, un VTT avec sacoches, certainement plus confortable pour une expédition au long cours.

Le voyage en avion à partir de Paris (Orly) est assez long. A l’arrivée au Yémen, en taxi, je rejoins la capitale Sanaa et prends mes quartiers au centre ville dans un petit hôtel bien tenu et propre. Je suis un peu surpris de la douceur qui règne dans la ville, Sanaa est pourtant à 2350 mètres d’altitude.

Ici, c’est au son des prières par haut-parleurs qu’on est réveillé. En somme, le chant des coqs dès 4 heures du matin. La journée d’acclimatation va se résumer par une petite visite de la vieille ville, quartier le plus fascinant à Sanaa, un endroit tellement extraordinaire qu’il a été classé Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco. Déambuler dans ses rues me permet de découvrir sans cesse de fabuleuses maisons et mosquées et de nouveaux souks. Des marchandises à tout va, une véritable caverne d’Ali-Baba.

Sanaa-Hajjah : 126 km : J’enfourche mon vélo dès 6 heures, ciel bleu et température douce. La route quitte Sanaa (2350 m) et sa banlieue par un axe principal menant à Sadaa, une des grandes villes du pays, le trafic est moyen. Tiens, un poste de contrôle militaire. Je m’approche avec une certaine appréhension. Il suffit de montrer son passeport et ça passe. Les cultures disparaissent bientôt et le sol revêt la couleur noire du basalte, le paysage n’est pas folichon jusqu’au pied du Col Naqil Ad’Dil’i (2650 m), une ascension régulière entre les anciens volcans. La dénivelée est faible. Passé le col, je descends vers une vallée fertile au fond de laquelle se niche Amran. Un léger ravitaillement avant d’attaquer un des gros morceaux du jour, un col à 2800 mètres. Sur une des routes les plus spectaculaires du Nord-Yémen construite par les Chinois ! 65 km d’une succession de panoramas grandioses s’offrent à l’œil. Après le passage du Col Naqil Al’Ashuur (2800m), la route vertigineuse descend en lacets, et permet de traverser divers climats, paysages, végétations et plantations. La descente se termine au fond de la vallée à 1000 mètres d’altitude (donc 1800 mètres plus bas ! ) où la végétation est assez luxuriante. Un petit répits et la route s’élève à nouveau, se resserrant dans des gorges, pour parvenir à Hajjah (1700m), une ville de 50 000 habitants, s’étalant sur les pentes de plusieurs collines. Nuit dans un hôtel propre avec salle de bains et télé dans la chambre.

Hajjah-Shibam : 96 km : Retour en arrière, mais cette fois en descente, dans la vallée à 1000 mètres d’altitude. Dans la foulée, je m’attaque à un sacré morceau : le col Naqil Al’Ashmur (2800m) d’une longueur plus que correcte, 30 km tout de même pour une élévation de 1800 mètres (pas mal du tout). La montée se déroule sous un soleil de plomb, pas d’ombrage et du vent. Après un peu plus de quatre heures d’ascension, je franchis le sommet sans même m’arrêter et plonge directement pour rejoindre, plus bas, le début d’une piste. Elle sera parfois épouvantable avec de forts pourcentages, de la caillasse. Les reflets du soleil ont vite fait de m’assoiffer. Après 10 kilomètres, je débouche à un village au carrefour d’autres pistes et me ravitaille en boissons. La nouvelle piste devient plus praticable en direction de Thilla autour d’un étrange paysage composé de maigres cultures et d’immenses étendues d’éboulis. Thilla est en vue après maintes montées et descentes, accolée à une falaise. De retour sur une chaussée goudronnée, je plonge sur le plateau où est nichée Shibam (2500m) au pied d’une importante falaise percée d’habitations troglodytiques. L’hôtel est propre mais les douches communes sont froides, je dors à la yémenite, à même le sol sur un fin matelas mais dans mon sac de couchage.

Shibam-Sanaa : 47 km : Au début, la route traverse un immense plateau volcanique aux innombrables champs de cultures où s’activent les paysans avec leurs boeufs et charrues. Je commence à m’ennuyer, lorsque la chaussée bascule dans une vallée verdoyante. Elle remonte aussitôt sur une barrière montagneuse mais mon élan est brisé dans la descente par un poste de contrôle militaire. Proche de la capitale, le trafic routier s’intensifie. Pour y échapper le plus possible, je sprinte sur une dizaine de kilomètres.

Sanaa-Manaka : 103 km : Dès 6 heures, je prends la direction de la mer Rouge, ciel bleu, l’air est frais mais je suis déjà réchauffé en franchissant une chaîne de montagne. Puis une succession de montagnes russes me rapproche d’un vaste plateau aux roches volcaniques. S’ensuit la montée du Col Naqil Baw’an (3005m), facile car je suis déjà proche des 3000 mètres à son pied. C’est un décor de rêve : de la très haute montagne avec des villages perchés au bord d’immenses précipices. Longue descente dans une vallée assez exotique : tout est vert et il fait très chaud. Après, j’entame l’ascension du Col Naqil Manakhab ( 2100 m) une dizaine de kilomètres d’une magnifique montée où la vue est imprenable. Au col, la chaussée continue à s’élever curieusement pendant 5 km pour conclure l’étape à Manaka (2300m). Hôtel style yémenite, matelas par terre. Manaka est un village tout en pierres perchées sur une crête surplombent deux vallées. Il offre un excellent camp de base pour la randonnée (trekking).

Manaka -Sanaa : 103 km : Départ 6 heures, longue descente sur la route goudronnée de la fin des années 50 qui est un ouvrage spectaculaire réalisé par les Chinois qui démontre parfaitement comment construire une route de montagne tout en préservant la beauté du paysage. La chaussée joue à saute-mouton jusqu’aux abords du Col Naqil Baw’an (3005 m), une escalade de près de 30 km, montée régulière, pas d’ombre mais soleil supportable, et les camions se hissent à peine plus vite que moi. Après trois heures d’effort ( ! ), le sommet est atteint, je me ravitaille plus bas alors que la route ne cesse de monter et descendre par delà des collines pour rejoindre un vaste plateau volcanique. 30 km de longue ligne droite venteuse moyennement plate pour en terminer. Hôtel cette fois dans la vieille ville, très propre.

Sanaa-Dhamar : 105 km : Ciel bleu, air frais en quittant après 10 kilomètres l’agglomération de Sanaa (2350m) , la route traverse un paysage caillouteux assez monotone, puis le relief apparaît plus intéressant avec de nombreux vallonnements en s’engageant dans un large défilé. La pente devient sévère ( à 10 % ) seulement dans le dernier kilomètre du Col Naqil Yslah (2775 m). Descente vers les plaines centrales du haut plateau yémenite, avec ses longues lignes droites interminables. Il reste 30 km pour conclure l’étape à travers un trafic routier important. On m’indique un hôtel correct, chambre avec télé, douche commune chaude.

Dhamar-Jiblah : 106 km : Il fait toujours beau, la chaussée monte légèrement pendant 8 km pour redescendre dans une immense vallée aux champs de cultures. Un massif montagneux où est lovée la ville commerçante de Yarim qui s’élève à 2540m (elle est la plus haute du pays). J’aborde ensuit la longue et sinueuse montée du Col Naqil Sumarah (2800 m) très touristique qui me permet de franchir un puissant massif montagneux. Passé le col, j’en prends plein les yeux dans une des plongées les plus fantastiques du Yémen. A 2700 mètres, vallées et cultures en terrasse à perte de vue, un Aubisque oriental époustouflant ! Je débarque dans le Yémen vert en admirant les plus beaux paysages de montagne de tout le pays. Puis à l’écart de la route principale, sur une chaussée fraîchement goudronnée qui traverse des champs en terrasse, j’atteins Jiblah et ses 6000 habitants, l’un des plus beaux sites du pays. L’hôtel est sommaire, genre refuge pour routard. On dort à même le sol, sur un fin matelas, la douche sera froide.

Jiblah-Taez : 69 km : 8 heures. Le soleil chauffe déjà en rattrapant la route principale, pas de répit, j’attaque d’emblée le Col Naqil As Sayyani (2250 m), décors verts, un tableau magnifique. La descente du col est un véritable travail d’artiste, chaussée superbement bitumée et tracée pour acrobate. En bas de la descente, à près de 30 kilomètres du but, le trafic automobile s’accentue, c’est pourquoi j’essaye d’en terminer au plus vite ! Taez (1400 m) est sur une colline. Un dernier effort asphyxiant pour rejoindre mon hôtel, ancienne ambassade soviétique, douche chaude, télé, ventilo, bien tenu ! Taez est la troisième ville du pays avec plus de 300 000 habitants, elle ne possède pas un charme fou, sauf la vieille ville et ses souks.

Taez-Ibb : 65 km : Quittant Taez (1400 m) de bonne heure pour éviter le trafic, je parviens après une trentaine de kilomètres au pied de l’unique grande difficulté du jour : le col Naqil As Sayyani (2250m). Moins de 15 km de montée irrégulière qui permet de temps en temps de se relâcher. Au sommet, pas d’arrêt, je culbute tant que j’ai chaud, descente rapide avec deux coups de butoir pour arriver au pied de la colline abritant Ibb (1850 m). Evidemment, mon hôtel est situé au sommet, très simple, assez propre, douche chaude. La vieille ville mérite une visite, là, rien n’a changé et c’est même l’une des plus belles du pays.

Ibb-Damt : 118 km. Je quitte Ibb (1850m) de bonne heure (6 heures) et m’engage par l’est dans l’inconnu par une route secondaire qui est en fait une piste. Je vais plus tard comprendre mon malheur rien que par sa longueur : 75 km ! Le paysage est assez intéressant au début voire grandiose avec des gorges, de hautes falaises, de nombreux villages éparpillés ça et là. La piste est parfois assez mauvaise mais rarement plate. Les heures défilent et je commence à en avoir ras le bol, je n’en vois plus la fin. Enfin, j’aperçois à l’horizon les premières maisons de Qa’tabah où je retrouve le paradis (le goudron), il est déjà 16 heures, c’est à dire un peu plus de 9 heures pour ces 75 km dont je ressors avec des courbatures. Mais l’étape est loin d’être finie, car je m’élève avec peine au Col Naqil Al Madrach (1930 m) dans un décor de Far-West, avec le jour qui décline. Après la descente, je pensais déboucher sur un plateau d’altitude assez plat, en fait, ce sera une succession de longues montées avec descentes pour rétablir la courbe de niveau. La nuit est quasiment tombée quand j’en termine de cette étape usante à Damt, une station thermale proche d’un volcan éteint. L’hôtel est simple, un peu propre, avec douche chaude.

Damt-Dhamar : 85 km. Ciel bleu, dès 6h 30, je m’élance, la chaussée s’élève de temps à autre pour déboucher sur une plaine verdoyante densément peuplée et intensément cultivée. Les villages ont bonne allure, perchés sur d’anciens petits volcans, les curieux paysages volcaniques de la région se révèlent. A présent, la route monte en serpentant à travers une gorge dans un splendide paysage de montagnes volcaniques où est lovée Yarim (2250m) , ville la plus haute du Yémen. Passé un massif, je plonge dans une immense plaine de cultures où les paysannes se laissent un instant distraire par mon passage. Encore quelques collines à franchir avant d’atteindre Dhamar (2400m) et l’hôtel d’il y a quelques jours.

Dhamar-Sanaa : 105 km : C’est jour férié au Yémen, moins de circulation pour les premiers kilomètres sans aucun intérêt, chaussée plate, de longues lignes droites, de quoi s’endormir sur le vélo. Donc après plusieurs heures de monotonie à travers une plaine venteuse dégageant des nuages de sable, je suis au pied d’une énorme masse montagneuse. Quel plaisir de pouvoir se déhancher pour gravir le Col Naqil Islah (2775m) ! Du pied, on aperçoit la totalité de la pente à gravir. Après la descente, dans une verte vallée de cultures et quelques collines à franchir, j’atteins Sanaa (2350 m).

Fardah-Sanaa : 102 km : Dès l’aube, je prends un taxi collectif pour me faire déposer à 100 km de Sanaa, à Fardah. Deux cols à 2000 mètres au programme, je suis à la porte des déserts orientaux, je débute d’entrée par le Col Naqil al Fardah (2250m), sans les sacoches, le paysage est sec et rocailleux mais agréable à observer. La descente serpente à travers les montagnes mais la route remonte de nouveau au col Nagil Bin Ghaylan (2350m). Je me rapproche rapidement du bassin de Sanaa et du centre ville bruyant. A 23h 10, le vol pour Paris avec escale au Caire, puis correspondance à Frankfort décolle et atterrit à l’heure à Orly. Un vol de nuit passe bien plus vite qu’un vol de jour.

Conclusion : Ce voyage au Yémen a été une découverte inoubliable. Le temps a été magnifique, car la saison des pluies était terminée, la moyenne des températures étant de 25°C l’après-midi. Au cœur des montagnes de l’Arabie, de paysages verdoyants enchâssés dans le grand désert, le Yémen m’a surpris et m’a séduit. Un spectacle rare d’une architecture millénaire avec les gratte-ciels de brique, de pierre et de pisé peints comme des décors selon des techniques toujours vivantes ! Et que dire de la population charmante, fière et accueillante dont le sens de l’hospitalité est inné. Côté route, de bonnes chaussées bien goudronnées où l’automobiliste malgré une certaine vitesse est très attentif à autrui. A l’ère du XXIème siècle, ce pays est resté comme à ses débuts ancestraux un des lieux les plus authentiques et les moins connus du monde sud arabique.

 

Charles WINTER, N° 1835, de LEVALLOIS-PERRET (Hauts de Seine)