RANDONNEE  BLANCHE

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Que faire en hiver, cycler ou skier ? Voici deux de mes sports préférés. Aussi, pourquoi ne pas les combiner, c'est à dire aller à vélo de Paris jusqu'à une station de ski ?

En France quelques auberges de jeunesse à la montagne proposent des séjours spécial ski. J'ai choisi l'auberge du Mont-Dore, dans le Massif Central, cette montagne née de volcans juste au sud de Clermont-Ferrand. J'ai payé d'avance 2000 FRF (300 EUR) pour 7 nuits, 6 jours de ski en pension complète, le prêt de skis et le forfait remontées mécaniques.

J'ai conscience que ce voyage sera difficile. Il n'en sera que plus intéressant. Toutefois, à cause de la saison, j'ai décidé de ne pas camper mais de coucher en auberges.

Lundi 18 janvier 1999, jour de départ. Je n'ai pas eu besoin de me lever très tôt car aujourd'hui je n'ai pas l'intention de faire beaucoup de km. Pour commencer je me dirige à l'office de tourisme d'Auvergne à Paris. J'y apprends qu'en ce moment le Massif Central est recouvert de neige. Voila une bonne nouvelle !

Je vois d'ici le lecteur se dire : "Quel gars bizarre ! Bien qu'il rencontrera certainement le froid et la neige il semble en être content." Bien entendu que je le suis car ce voyage a pour but non seulement d'aller skier mais aussi de traverser à vélo la montagne enneigée. Bien que j'ai déjà roulé sous la neige tombante je ne l'ai jamais fait sur une route enneigée. Voici une expérience qui me manque.

Toutefois, une semaine avant le départ, contre toute attente il a neigé sur Paris. Ce n'était pas arrivé depuis plusieurs années. Les Parisiens ne sont pas habitués à rouler sur la neige. De fait, pour revenir à la maison après leur travail, à cause des embouteillages, certains ont eu besoin de toute la nuit au lieu d'une heure comme d'habitude ; et sans parler des nombreux accidents. Habituellement je mets moi-même 20 mn à vélo. Cette fois-ci j'ai mis... 20 mn ! C'était de bonne augure.

Aujourd'hui, en sortant de l'office de tourisme, je m'arrête devant la cathédrale, au niveau du pavé qui indique le km zéro de France, c'est à dire le lieu d'où sont officiellement calculées toutes les distances. Je passe mes roues dessus et me dirige plein sud. Maintenant le voyage commence réellement.

Je sors de Paris par la Porte d'Italie, m'engageant sur la N7 qui déroule son ruban de bitume jusqu'en Italie via Lyon et Nice. Bien qu'elle soit une des routes les plus fréquentées de France, il n'y a pour l'instant pas trop de véhicules. Les gens sont encore au travail. Après 50 km j'arrive relativement tôt à Ponthiéry où mon père m'héberge.

Mardi : Je traverse la Beauce, région horrible pour les cyclos à cause des champs plats et sans haies au-dessus desquels souffle un fort vent qui s'amuse à pousser les cyclos, cette fois-ci à contresens.

J'arrive épuisé à Orléans. L'hospitalité d'une famille espérantophone est vraiment la bienvenue. J'y reste aussi le lendemain, mercredi. J'en profite pour visiter la ville et surtout pour discuter avec Daniel, le père, qui il y a quelques années fit lui aussi beaucoup de cyclo-camping. Cela fait plaisir de rencontrer quelqu'un qui sait de quoi il parle.

Jeudi : Je redémarre. Le trajet est très agréable, car je traverse la grande et plate forêt de Sologne sur des routes secondaires peu empruntées qui me permettent d'apprécier pleinement le paysage. En plus il y a du soleil et il fait relativement bon pour la saison, pour peu que l'on soit correctement couvert. Voici une région idéale pour les cyclos qui ne supportent pas les montées, le vent et les routes pleines de voitures, mais tout de même lassante pour les amoureux de la montagne.

A Salbris, 60 km au sud d'Orléans, je remarque une étrange fontaine. Il s'agit d'un robinet aussi grand que mon vélo et qui flotte dans les airs sans rien pour le retenir, ni câble, ni mur, ni colonne. Son écoulement qui semble se faire comme par magie est égal à sa grandeur, c'est à dire une chute d'eau, une vraie avalanche.

Je traverse de nouveau la Sologne durant 40 autres km et en sors un peu avant Bourges où je passe la nuit à l'auberge de jeunesse. J'y rencontre un Allemand maîtrisant le Français et qui semble intéressé lorsque je lui parle (ou bien prêche) de l'espéranto.

Vendredi : Je traverse de petites vallées. Bien que le paysage soit fait de champs, il ne m'est pas difficile d'avancer car aujourd'hui le vent ne me tourmente pas. Depuis le début du voyage il ne fait pas très froid, mon thermomètre indiquant souvent 10° C, parfois même plus lorsque le soleil brille comme aujourd'hui.

Seule, de temps en temps, ma toute nouvelle bicyclette m'est source de petits tracas d'ordre technique. Il nous faut encore nous habituer l'un à l'autre. Le soir nous parvenons toutefois à atteindre tous deux Moulins où nous passons la nuit à l'auberge de jeunesse que je trouve un peu chère.

Samedi : Il fait froid de bon matin. Après rafistolage de mon compteur qui refusait capricieusement de fonctionner, je sors de la ville, rencontrant aussitôt une épaisse couche de brouillard. Durant 10 km sur la N9, ma lumière rouge clignote à l'arrière pour que les automobilistes m'aperçoivent au plus tôt avant de me dépasser.

Froid et brouillard, cela annonce la montagne. Il ne manque plus que la neige. Je la rencontre après avoir passé Aigueperse, lorsque je m'engage sur des petites routes. Quelle joie de voir enfin la neige ! Ici, la dernière chute remonte à deux semaines, en même temps qu'à Paris. Les routes sont donc sèches mais il reste encore des plaques de neige dans les fossés.

L'après-midi sa majesté le soleil daigne se montrer, augmentant légèrement la température. A Clermont-Ferrand la neige a disparu mais les jets d'eau d'une fontaine sont figés de manière artistique par le froid. C'est un peu une photo vivante. A cette saison seule la plus chère des deux auberges de jeunesse est ouverte. Le choix est vite fait.

Dimanche : A 9h, devant l'auberge, j'ai rendez-vous avec un cyclo espérantophone, Jean-Pierre. Nous roulons ensemble et il me fait ainsi rapidement visiter Clermont-Ferrand.

Nous avons convenu que nous roulerions ensemble jusqu'au premier col. Eh oui, car aujourd'hui est un jour important qui verra les choses sérieuses commencer : je vais enfin rencontrer la montagne.

J'adore les routes de montagne. Elles m'attirent tout particulièrement pour leur côté vrai. Les efforts qu'on y produit sont chaque fois récompensés par l'extrême beauté des paysages et on les apprécie d'autant mieux que l'on y a été à la peine. Les automobilistes ne pourront jamais comprendre cela. J'ai déjà passé des dizaines de cols à vélo, en été.

Avant même de sortir de la ville la route s'élève déjà. A partir d'ici commence la montagne. Ce soleil hivernal bas à l'horizon sur un ciel bleu sans nuage ne réussit pas à élever la température mais en plus est fort gênant pour les yeux. Je remplace mes lunettes de vélo par mon masque de ski.

Bien que la pente ne soit pas très forte, le froid la rend longue et difficile. Nous empruntons la N87 (E70), de temps en temps dépassés par quelques voitures transportant des skis sur le toit.

Jean-Pierre a un vélo très léger, presque fait pour la compétition. Le mien est lourd, pensé pour parcourir le monde et porte plusieurs sacoches. Il va sans dire que mon compagnon de route m'attend souvent à plusieurs mètres devant moi. Et dire qu'il m'avait prévenu qu'il était un peu malade !

Très vite la neige réapparaît dans les fossés bien que la chaussée soit encore sèche. Tour après tour, nos roues nous conduisent au col de la Ventouse (980 m). Nous nous séparons ici. Il retourne chez lui, me laissant continuer seul mon périple sur une route secondaire.

Après une trop courte descente je roule sur un plateau. La température est maintenant plus favorable, 6 à 7° C. Les champs aux alentours sont couverts de neige. Dans le fond j'ai pour point de mire des sommets enneigés majestueusement dressés.

Après un petit village cela remonte de nouveau. Cette route typique de montagne n'est pas très pentue mais plutôt longue, assaillie par un vent froid et bordée de neige. Au col de la Croix Morand (1401 m) se dressent même de chaque côté des murets de neige qui me permettent de photographier mon vélo perché sur l'un d'eux devant le panneau du col sans avoir à utiliser la béquille.

Finalement, voici une longue descente jusqu'au Mont-Dore. Mais l'affaire n'en est pas terminée pour autant. Il me reste une montée pour atteindre la station même. Bien qu'elle ne soit ni très pentue ni très longue (seulement 4 km), je la trouve difficile car après avoir grimpé deux cols dans ces conditions, j'aimerais être déjà arrivé. Tandis que je monte très lentement, mes forces ne cessent de s'amenuiser et c'est une vraie libération que d'arriver à l'auberge de jeunesse.

De lundi à samedi : Je ne fais que skier sans jamais toucher à mon vélo qui m'attend bien sagement dans le local à skis. Contrairement aux autres skieurs venus en train ou en voiture je ne ressens aucune douleur dans les cuisses après une journée de ski et je ne suis que modérément fatigué le soir.

Dimanche : "Vous allez vraiment traverser la montagne ?" La question de l'aubergiste est avisée. Il fait froid, il neige et il y a un fort vent qui balaie les flocons au sol ; bref une véritable mini tempête. "Je verrai, peut-être que je prendrai un train jusqu'à Clermont". Ma réponse n'est pas tout à fait sincère car j'ai la ferme intention de prendre le train seulement si je n'ai pas d'autre choix, et certainement pas pour simple raison de confort personnel.

La route descendant vers Le Mont-Dore est recouverte d'une fine couche de neige. Je freine sans cesse et roule donc très lentement. Malgré tout, à la sortie d'un virage, je ne réussi pas à faire revenir la roue dans l'axe de la route. Le vélo se dirige vers le côté droit en dépit de mes efforts pour le contrôler. Tandis que les roues dérapent, j'ai tout juste le temps de sauter du vélo avant qu'il n'aille mollement s'écraser contre un muret de neige.

Heureusement que j'avais utilisé le côté traditionnel de mes pédales et non pas celui avec fixation automatique, ce qui m'a permis un bond plus rapide. Il n'y a aucun dégât, ni sur l'homme ni sur la machine, mais quel avertissement pour la suite ! A partir de maintenant je serai encore plus prudent.

J'arrive au Mont-Dore. En face se trouve la gare, à droite la montagne. ??? Je remarque un panneau : Col de Guéry ouvert. Bon.. Allez, à droite !

Il continue à neiger tandis que je grimpe, mes roues dessinant des traces sur la route. Le mercure descend autant que je monte ; mon thermomètre me signale -5° C. Une cascade est pétrifiée par le gel, l'eau dans mes bidons aussi. De plus, il m'est difficile de pédaler car ma cuisse et ma fesse droites me font mal depuis une chute à ski la veille.

Les conducteurs qui de temps en temps me croisent sont tout à fait étonnés de me voir. La route continue à se recouvrir d'un blanc manteau. A travers mon masque de ski j'aperçois sur la gauche le lac de Guéry complètement gelé. Quelle étrange vision ; il est difficile de deviner où finissent exactement les champs et où commence le lac. Tout se confond en un blanc crémeux : eaux, terres, cieux et brouillard neigeux.

Encore 1 km et apparaît un autre panneau, libérateur celui-ci : Col de Guéry, 1268 m. Il fait près de -10° C. J'aborde la descente sans attendre. Sur le côté je remarque une borne kilométrique presque totalement recouverte par la neige.

Bien qu'il y ait progressivement moins de neige sur la route, je continue à rouler lentement pour ne pas déraper et tomber, pas plus de 20 km/h. Malgré mes bons gants et chaussettes j'ai de plus en plus froid.

Après 4 km la neige disparaît de la route mais pour ne pas me retrouver congelé par l'air je ne vais pas beaucoup plus vite. Le village d'Orcival survient comme une oasis en plein désert. Vite, au café où, pour me réchauffer un peu, j'avale 3 crêpes de suite.

C'est reparti ! Après quelques km la neige disparaît complètement et le soleil fait son apparition, apportant aussitôt la "canicule" : 2 à 3° C. Je me hisse plus confortablement jusqu'au col de la Moreno (1065 m). A présent je pourrais me laisser descendre en roue libre jusqu'à Clermont-Ferrand sans plus de peine mais je prends à gauche juste pour le plaisir de grimper le col de Ceyssat (1078 m).

La vue sur le Puy de Dôme enneigé et baigné de soleil est imprenable. Malheureusement, l'accès en vélo y est honteusement interdit. Ensuite c'est une longue descente glacée sur Clermont d'où je me dirige plein Est jusqu'à Cournon d'Auvergne, à 10 km, où je suis hébergé par Jean-Pierre, le cyclo qui m'avait accompagné il y a une semaine.

Lundi : Je reviens à Clermont où je prends un train pour Paris. C'est là une autre aventure car, bien qu'il acceptait officiellement les vélos gratuitement, il n'a pas de fourgon à bagages. Je mets donc mon vélo à l'arrière du dernier wagon et les sacoches dans l'espace réservé aux valises. Cela embête le contrôleur qui m'explique qu'il s'agit d'une erreur sur les horaires. Il me faut du temps pour le persuader poliment de mes droits puisque l'erreur se trouvait répétée dans les ordinateurs des guichets.

C'est ainsi que j'apprends du contrôleur que, lorsqu'un train Grandes Lignes accepte gratuitement les vélos dans le fourgon à bagages (cas très rare), personne n'a la responsabilité d'en ouvrir la porte extérieure bien que les contrôleurs ou les chefs de quai le fassent parfois. Il faut soi-même faire rentrer le vélo par l'étroite porte des passagers et le pousser dans le non moins étroit couloir jusqu'à la porte intérieure du fourgon. Si on n'a pas auparavant vu le contrôleur et que la porte intérieure est fermée à clef on gêne donc tout le monde... mais telles sont les règles.

Arrivé à Paris je ne me dirige pas chez moi mais vais directement à mon boulot. J'ai juste le temps d'y arriver. Heureusement que le contrôleur ne m'a pas obligé à descendre du train au départ ou je n'aurais pas pu être à l'heure pour travailler. Ce voyage se termine à minuit après avoir fini mon service et être revenu à la maison.

Bien que de retour chez moi, mes pensées sont encore perdues dans la montagne et je me surprends à rêver déjà de mon prochain voyage hivernal. Cette fois il se pourrait bien que j'aille dans les Alpes...

Cirilo   Cent Col n° 5091