L’ALPINE : THONON–ANTIBES

 

AVANT PROPOS

Lundi 5 Août 2002, il est enfin arriver ce jour tellement rêvé !

 6 mois, voilà 6 mois que chaque jour je consulte les cartes, je trace, je modifie, je consulte ma documentation, 6 mois que je prépare ce voyage, 6 longs mois à attendre, à rêver de ce que sera cette nouvelle aventure sur mon vélo. On a coutume de dire, qu’un voyage se  vit avant, pendant et après, peut être, mais je préfère et de loin la phase qui démarre aujourd’hui !... et aujourd’hui c’est reparti pour 12 étapes Alpestres !

Quel bonheur d’accrocher ses sacoches sur le vélo, quel bonheur d’enfourcher sa bicyclette, de mettre son compteur à zéro, de pointer son carnet de route  et de dire :

-« Cette fois je suis parti !… »

 

3ième volet de ma grande Aventure Alpestre, la randonnée Alpine Thonon-Antibes est le  point d’orgue de ma saison 2002. Pour ne rien vous cacher, c’est la 3ième tentative. La première en 1988 a échoué à Briançon, la fatigue, la longueur des étapes, le moral à zéro, je renonçais la mort dans l’âme (erreur de jeunesse n’en doutons pas).

La seconde tentative, qui n’a même pas vu le jour sur le vélo mais juste dans ma tête et sur le papier (reportez-vous à mon compte rendu de Thonon-Antibes par les Préalpes).Mais cette année je suis bien décidé à aller jusqu’au bout avec la traversée des Alpes.

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LE DEPART

La 1ière étape Thonon-Megéve longue de 109 km se fera dans un décor non pas familier mais dans un décor que je connais, les cols des Moise, de Terramont, de Jambaz me rappellent le récent brevet du Chablais réalisé en juin avec 2 amis.

La première difficulté de la journée c’est le col de la Ramaz, il me paraît interminable, je n’ai pas la grande forme. Je déjeune au Praz de Lys, là je fais l’erreur de manger en terrasse, il fait froid, je suis gelé. La descente du terrible col de Savolière n’est pas faite pour me réchauffer. Il est 17 h 30’ quand j’arrive à Megève, le temps se gâte sérieusement et le ciel se déchaîne soudainement, orage et pluie violente.

Qu’il fait bon ce soir d’être à l’hôtel !

METEO CAPRICIEUSE

Pour la seconde étape j’ai prévu d’aller de Megève à Bonneval/Arc, mais la météo en décidera autrement.

Le départ est matinal 6 h 15’, après un bon petit déjeuner pris dans ma chambre, je quitte le « Chalet de l’Ancolie » sympathique hôtel de montagne. Il ne pleut pas encore mais cela ne saurait tarder.

La montée du col des saisies se fera au sec, les 12 km d’ascension se font dans le calme du matin, pas de bruit, juste le cliquetis de mon vélo, c’est agréable. Par contre la descente fût tout autre, à peine amorcée que la pluie fait son apparition, bientôt suivie de l’orage, je m’arrête pour me vêtir « anti pluie » traduisez le gore tex, les surchaussures, les jambières, bref tenue d’hiver de rigueur.

Je petit déjeune à Beaufort, les clients du bistrot sont plein de compassion, la chaleur qui règne dans cet endroit me fait le plus grand bien, je le quitte à regret. La montée sur Arêches se déroule sous la pluie, idem pour le col du Pré, ajoutez une pente sévère (10 % pendant 7 km). Je suis heureux de voir la pancarte du sommet !…

Légère descente sur le col de Meraillet puis j’attaque le superbe col du Cormet de Roselend (1968 m) sans pluie, mais il fait très froid. Après la rituelle photo souvenir devant le panneau du col, j’aborde la grande descente sur Bourg st Maurice. 20 km de glissade, un régal quand il fait chaud, mais là j’ai peine à serrer mes freins, mes doigts engourdis m’obligent à une extrême vigilance. C’est transi de froid que j’arrive à Bourg st Maurice, il est passé 13 heures il faut manger et chaud de préférence. Après quelques hésitations je me dirige vers un snack, j’ai à peine posé mon vélo devant la vitrine qu’un autre cyclo harnaché lui aussi de sacoches et montant une superbe randonneuse Berthoud arrive à mes côtés, comme moi il est gelé, transi, il n’a qu’une hâte manger et se réchauffer.

Les présentations sont vite faites, je lui explique d’où je viens, lui m’apprend qu’il a démarré ce matin, qu’il recherche surtout les BPF car il termine cette année ce grand Brevet de Cyclotourisme.

Notre homme se prénomme Roger, le physique très sympathique, tout de suite j’ai senti que c’était un vrai, un pur randonneur comme je les aime. Installés comme de vieux amis à la table du restaurant, nous allons « papoté » ainsi pendant 1 bonne heure, Roger m’expliquant son voyage et moi  le mien.

 

LA MONTEE DE VAL D’ISERE

Nos routes sont communes quelques temps, c’est ensemble que nous abordons la grande difficulté du jour, la montée vers Val d’Isère.

Le temps ne s’est pas amélioré, il pleuviote toujours, mais néanmoins j’ai la forme, Roger lui est plus réservé, il ne tarde pas à me dire, comme généralement dans ces cas là :

-«  Vas-y ne m’attends pas, on se verra la haut ! »

Je sais par expérience, que dans ces cas là, attendre n’est pas la meilleure chose, Roger comme moi est un solitaire, il monte à son rythme, avoir ma roue en point de mire le dérange, tout comme cela me dérange aussi quand je suis en situation inverse, J’écoute Roger, je ne l’attends pas.

31 km séparent Bourg St Maurice de Val d’Isère, 31 km de montée, facile au début et de plus en plus pentu à la fin. Mais la pente c’est rien, c’est la tasse de thé du Randonneur en montagne, c’est la raison de notre présence ici, par contre les voitures, les camions, les motos, les autocars, là mon ami, dans la montée de Val d’Isère c’est quelque chose. Je n’ai pas souvenir en 20 ans de vélo d’avoir fait une route aussi pénible. Plus on s’élève plus il fait froid plus il pleut, un mélange de neige fondue et de pluie, pouah !…

Les derniers kilomètres sont une véritable horreur ? Je connaissais la route pour l’avoir déjà faite en voiture et à vélo (randonnée de l’Iseran en 1988), aussi je savais qu’a la fin j’allais rencontrer les tunnels. Une fois passé le fameux barrage de Tignes, ça commence et pour couronner le tout des travaux routiers se mêlent à l’aventure. Les tunnels mal ou pas éclairés font froid dans le dos « il faut serrer les fesses » !… les automobilistes, pour ajouter encore un peu de sordide à ce périple prennent un malin plaisir à klaxonner dans le tunnel, cela devient cauchemardesque, surtout ne pas se retourner, serrer sa droite, regarder droit devant, essayer d’apercevoir le bout du tunnel, en sortir vite, et recommencer, cramponner sa monture, pédaler, pédaler au plus vite pour enfin en finir avec ce satané passage.

Il est 18 15’ quand les premières maisons de Val d’Isère sont en vue !

Ouf ! vraiment pénible cette montée.

 

ET ROGER ?

Et Roger ! où est-il ?, loin derrière, ou à quelques centaines de mètres. Je l’attends devant 1’ hôtel quelques minutes, mais je grelotte tellement que je renonce, j’entre dans l’hôtel et me jette sous la douche, chaude cette fois :

Bon Dieu que c’est bon !…


Roger dans l'Izoard

J’apprendrai plus tard que Roger est monté jusque Val d’Isère, mais ne trouvant pas d’hôtel à sa convenance, il est redescendu par les tunnels jusque Tignes, où une auberge de jeunesse l’attendait ! Vous avez dit « Costaud le Roger ! »

Val d’Isère station réputée de vacances n’en demeure pas moins une station froide, non par l’accueil mais par son climat, Val d’Isère est à 1840 m d’altitude, aujourd’hui il y fait particulièrement froid pour un 6 août. L’hôtelier me dit que la route de l’Iseran est fermée pour cause de neige ! Eh oui, même si j’avais voulu monter j’aurai été contraint de m’arrêter.

Demain il fera jour.

 

L’ ISERAN

L’étape démarre fort, j’attends l’hôtelier 45’ dans le hall de l’hôtel pour qu’il me libère enfin mon vélo. La veille j’avais pris soin de prendre 1 plateau « petit dej » pour partir tôt à l’assaut de l’Iseran, eh bien c’est loupé. J’avais oublié que le vélo était enfermé, en sécurité certes, mais enfermé quand même.

Dés la sortie de Val d’Isère, on attaque les pentes de l’Iseran, il a neigé cette nuit, et il fait très froid , je présume que je vais grelotter là haut. La montée de l’Iseran (2764m) par ce versant n’est pas très dur, heureusement car le matin, à la fraîche …

Très peu de circulation,  encore moins de cyclo, (pas de Roger en vue ?) à 4 km du sommet, c’est avec le brouillard et le froid hivernal que je progresse. Des panneaux sur le bas côté de la route signale : « attention verglas », en effet des plaques de neige jonchent la route et rendent le sol glissant. Je termine l’ascension dans la « purée de pois » terrible :

ça c’est du col, du vrai !…

Je prends la photo souvenir devant le fameux panneau directionnel :

« à droite Val d’Isère, à gauche Bonneval ».

Je tente de récupérer le cachet souvenir au restaurant. Là, 2 jeunes hommes me signalent que l’établissement est fermé, et qu’il n’ouvre qu’a 10 heures. Je n’ai pas envie d’attendre, la photo du panneau conviendra amplement.

Les jeunes m’offrent quelques friandises, je me change, j’enfile tout ce que j’ai de chaud, ici à cette heure il fait 1degré : Incroyable !

Les 2 gars font une randonnée pédestre, ils ont passé la nuit dans la cabine du télésiège, il a neigé une bonne partie de la nuit ! de beaux souvenirs à raconter !...

La descente est glaciale, je suis content d’arriver à Bonneval, ensuite c’est la montée facile au col de la madeleine et l’arrivée ensoleillée à Lanslevillard. Il y a du monde, c’est le jour du marché. Installé à la terrasse d’un café, qu’il fait bon se réchauffer aux rayons du soleil, en savourant 1 café et quelques viennoiseries.

 

EN ITALIE

Le col du Mont Cenis, marque le passage en Italie de cette randonnée. La pente est sévère, mais le beau temps est de retour, la descente côté Italien est de toute beauté.


Descente du Mont Cenis

2 propositions sont faites par l’organisateur :

-Soit passer par les crêtes de l’Assietta (ancienne route militaire, très panoramique, qui culmine à 2000 et plus pendant environ 40 km),

-Soit aller de Suza à Cesana Torinese par la route. J’opte pour cette version (plus facile, plus sécurisante) réservant la portion des crêtes pour une prochaine fois, sans sacoche…

La route de Suza à Cesana réputée très fréquentée, n’est en fait, pas si terrible que cela. L’inconvénient, ce sont les travaux qui parfois me gênent un peu.


Passage en Italie

La dernière difficulté du jour, c’est le col de Montgenèvre qui culmine à 1850 m, ensuite c’est la plongée sur Briançon, la plus haute ville d’Europe.

 

LA SURPRISE DU JOUR !

Après quelques hésitations (en fin d’étape, il vaut mieux éviter de se tromper dans Briançon, qui ressemble parfois par ses rues à pentes abruptes à St Francisco ?) j’arrive à l’hôtel de Paris. Il affiche complet, j’ai bien fait de réserver. Une bonne douche, un bon repas, et avant d’aller me coucher un dernier bol d’air et quelques pas (idéal pour la digestion).

Je marche devant l’hôtel, il fait noir, soudain j’aperçois la lueur d’un phare de vélo à quelques mètres de moi, non, c’est pas vrai, ça alors, c’est ROGER !

Il est 22 heures 30’, Roger termine la grande étape de l’Iseran !

Il est fatigué, mais heureux et stupéfait de me retrouver.

-         «  Tu dors où ce soir Roger ? »

-         « L’hôtel est complet ? », «  c’est pas grave, je vais dormir devant la gare ! »

-         «  NON ! viens j’ai une idée. »

Je vais voir la gérante de l’hôtel, je discute un peu, tente (facilement) de l’amadouer, et c’est ainsi que Roger, va passer la nuit dans la pièce spécialement réservée pour les vélos, c’est propre, il fait bien chaud, il y a un canapé, il n’en faut pas plus pour passer une bonne nuit. Roger a même le droit de se restaurer juste avant la fermeture.

Un grand merci à « l’hôtel de Paris » à Briançon et à sa patronne qui manifestement aime les cyclos.

Roger raconte ce soir là, tout en se restaurant, sa montée terrible de Val d’Isère, et son demi tour réglementaire pour aller trouver le gîte à Tignes.

 

LE COL DE L’IZOARD

La 4ième étape n’est pas trop longue, 94 km, aussi nous partons Roger et moi à 7 heures 45’ en direction du col de l’Izoard. Il fait beau, la pente n’est pas trop sévère sur ce versant. Après la photo souvenir au col, j’aborde la descente sur Guillestre. Roger lui fait une variante pour pointer le BPF de St Véran. Au passage du site remarquable de la casse déserte, je m’arrête pour la photo à la stèle de Fausto Coppi.

Je prends un excellent repas dans restaurant au cadre très reposant, et c’est plein de force que j’attaque le col de Vars, le fameux col de Vars. Je le redoute un peu, car c’est là que lors de ma première tentative en 1987, le coup  de fatigue m’a terrassé ! J’avais à l’époque pour la première fois mis pied à terre sur quelques centaines de mètres, quel gâchis !…

Mais aujourd’hui, le moral et les jambes sont de la partie, et c’est sans difficulté majeure que je me hisse au sommet.

Il est 17 heures quand j’arrive au gîte d’étape de Jausiers, sympathique endroit, le dortoir est rustique mais propre, et le repas sera de qualité, nous aurons même droit à un sucre au génépi, la spécialité du patron !…

Ce soir discussion animée, Roger a le verbe facile, il aime raconter « son » vélo, et nos voisins de table sont conquis, voire admiratifs, par cet homme qui dans quelques jours va faire son entrée dans le club très fermé des lauréats du « Brevet des Provinces Françaises ».

 

LE COL DE LA BONETTE

La 5ième  étape, c’est l’étape de la Bonette, un col que j’apprécie particulièrement, long (24 km de Jausiers au col) pente régulière, bon revêtement sur ce versant, décor grandiose, lunaire presque, bref vous l’avez compris la Bonette j’aime. Et la cerise sur le gâteau, le cadeau de la nature (ou de la DDE ?) la Bonette offre à son sommet la possibilité d’en faire le tour et de monter jusqu’à la cime : un véritable régal. Je contemple une dernière fois ce fabuleux paysage, unique, dans les lacets j’aperçois au loin quelques cyclos : Est-ce Roger ?

Il fait très froid, après la photo j’aborde la descente qui s’annonce périlleuse, la route est en mauvais état et appelle à une extrême prudence.

C’est avec un certain soulagement que j’arrive à St Etienne de Tinée. Je m’installe à la terrasse d’un café, de là je verrai arriver Roger. C’est aujourd’hui que nos routes se séparent, lui file sur St Martin de Vésubie, et moi vers St Sauveur de Tinée et le col de la Couillole.

J’essuierai dans son ascension une belle pluie d’orage (ça mouille !)

L’étape du soir à Beuil sera assez amusante. La propriétaire de l’hôtel, relativement âgée, dirige seule son affaire, je partagerai le repas au milieu des clients du café et profiterai de ces conversations de comptoir inimitables !...

 

LES GORGES DU CIANS

La 6ième étape, commence par la traversée des très belles gorges du Cians. J’avais il y a 10 ans apprécié ce passage dans ces gorges étroites en porphyre rouge. Mais cette année je reste un peu sur ma faim, le parcours devenait sans doute tellement dangereux que des travaux titanesques ont pratiquement anéanti le spectacle, tout ce passe maintenant dans des tunnels, quel dommage ! J’ai malgré tout essayé de reprendre la route en corniche mais au regard de l’amoncellement de pierres sur la chaussée, je renonce.

Après le jolie passage des gorges inférieures du Cian, une succession de petits cols, avant d’arriver à St Valiey de Thiey, terme des 110 km de cette étape.

Cette fois je suis en Provence, les derniers kilomètres de l’Alpine , seront vite avalés et sans être une formalité cela ne présente pas de grandes difficultés. Antibes est un contrôle facultatif aussi volontairement je bifurque pour remonter dans l’arrière pays, et ainsi je m’évite les files interminables de voitures et la peur qui les accompagne.

Demain début de la remontée vers Thonon et surtout étape au pied du Mont Ventoux !

 

LA FIN DU VOYAGE

La grande Aventure Alpestre prend fin, quel beau voyage, quelle belle partie de « manivelles »  que de cols magnifiques, j’ai traversé à la force du mollet tout l’arc Alpin, de Antibes à Trieste (Italie) 1883 km de montagne et quelle montagne ! 75 cols, 38428 mètres de dénivelé.

Un grand et très beau voyage se termine !…

 

Jean-Marc LEFEVRE

3 mars 2003