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Des ours et des hommes...

Revue N° 27 Page 61

ou, voir l'ours c'est bien, pouvoir le raconter, c'est mieux !

Je pourrais, pendant des heures, évoquer les somptueux paysages des Rocheuses Canadiennes (forêts omniprésentes, lacs aux couleurs émeraude, turquoise, aux eaux translucides, champs de neige et de glace...), mais la rencontre avec l'ours restera de ce voyage le souvenir le plus marquant.

Décrire la nature, la végétation, le relief, les formes, les couleurs, bref décrire un décor est un exercice simple ; tout est statique, on peut prendre le temps de regarder et choisir le meilleur moment, le meilleur éclairage pour fixer, emprisonner l'image de l'instant. Avec l'ours, forcément, pas de mise en scène possible, il faut s'accommoder du profil qu'il offre ; c'est une partie de cache-cache, une suite de moments où, tour à tour, on espère ou bien on redoute la rencontre. Et puis, tout à coup, L'ours est là : accroché à l'appareil-photo, on vit cette rencontre intensément, on l'apprécie sans crainte, en observant le comportement de l'animal, enregistrant aussi vite que possible tous les détails. Il y a des moments, enfin, où l'on prend conscience du danger lorsque, subitement dressé sur ses pattes arrière, il regarde dans notre direction après avoir perçu le moindre bruit. Avec l'ours, c'est le jeu de la curiosité et du hasard, avec l'espoir, pour le photographe, de ramener au moins un cliché fidèle.

L'ours fait partie de la vie du Canadien de l'Alberta ou de la Colombie Britannique. Ils cohabitent, se croisent ; l'homme sait toujours où est l'ours et renseigne sur ses déplacements. L'attrait de l'ours, pour l'étranger, réside autant dans la nouveauté que dans la part de chance et de risque qui l'accompagnent.

Les mises en garde et conseils de prudence (du style : "l'ours, mode d'emploi") sont époustouflants de simplicité et d'évidence ! On enregistre ligne après ligne, comment, tombé imprudemment dans ses "petits bras musclés", il faut afficher sang-froid et désinvolture pour opérer un demi-tour et s'éloigner sans hâte pour ne pas subir son attaque, ou bien se laisser tomber en boule à ses pieds, en se protégeant la tête... Y aurait-il danger...? Oui, en cas de rencontre avec un spécimen dégénéré, nourri par des touristes indisciplinés... Je pensais que s'il m'arrivait de tomber "nez à nez" avec un ours, le seul refuge, involontaire, que je trouverais pour me sortir de cette situation inconfortable, ce serait... l'évanouissement. Quelle lâcheté!... après tant d'efforts pour l'approcher.
Parallèlement, les appréciations des Canadiens sur les ours sont plutôt rassurantes : ils affirment qu'en cas de rencontre, ils (les ours) sont les premiers à faire demi-tour, sauf s'ils ne nous entendent pas arriver. Nous nous sommes donc équipés d'une clochette (accessoire indispensable) en espérant que nous n'aurions pas affaire à un sourd !

Pendant trois semaines de V.T.T et de randonnées pédestres, nous avons vu l'ours une douzaine de fois et, contradictoirement, ma peur augmentait chaque fois un peu plus. Contrairement au Colorado où nous ne l'avions jamais rencontré, ici, décidément, il était bien réel. Les images splendides qu'il m'en reste c'est, par exemple, le premier jour, celle de la maman Grizzly et de ses deux "cubs", aussi vifs, mobiles et imprévisibles que des enfants (il semble que nous avons eu une chance extraordinaire de rencontrer des spécimens de cette race). Ce sont aussi celles des ours noirs occupés à grappiller sur les arbustes au bord des routes, indifférents, en apparence, au défilé des touristes ; ou encore le spectacle incroyable d'une ourse et de ses trois oursons en train de traverser la route en file indienne, à la stupéfaction générale des automobilistes savourant la scène mais pestant d'être pris au dépourvu et de ne pas être prêts pour la photo.

Une seule fois, nous nous sommes rendu compte qu'il ne fallait pas grand-chose pour que celui qui venait de se redresser nous attaque. Il me semblait que le moindre geste allait le mettre en marche et je savais que, dans ce cas-là, je n'aurais même pas le temps de remonter sur mon vélo. Nous lui avons échappé sans dommage... mais j'en tremble encore !

Chantal SALA N°3674

de MURET (Haute-Garonne)


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