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Le col idéal

Revue N° 25 Page 43

Avant chaque découverte d'un nouveau col, je me pose cette question (qui à première vue peut paraître stupide, mais qui pourtant occupe bien souvent mon esprit dans les découragements d'une montée qui, parfois, n'a pas l'air d'en finir) : Quel est le col idéal ?

Alors, à chaque fois, je me remets à penser aux cols que j'ai pratiqués et me mets à rêver au col idéal. Je vais donc tenter pour vous de décrire ce col de mes rêves...

Le col idéal, je le verrais tout d'abord chargé d'histoires ou de légendes comme le Tourmalet où à la sortie de Sainte Marie de Campan on croit encore entendre les coups de marteau donnés par Christophe sur la fourche qu'il a brisée presqu'au sommet ; c'est ce grand oiseau qui plane au dessus de vous et qui a donné son nom au Col de Marie Blanque ; c'est le grand silence du coeur de Simpson qui vient de s'arrêter de battre à quelques tours de roue du sommet du Ventoux ; c'est le cor de Roland qui nous attire vers le sommet du col de Roncevaux...

Le col idéal, c'est cette forêt engageante du col des Champs ; ce sont les moutons qui vous encouragent dans les lacets du col d'Allos ; c'est cette envie de toucher le ciel au sommet de la cime de la Bonette ; c'est ce mur de neige de chaque côté de la route au col des Aravis ; c'est le silence à peine déchiré par le sifflement des marmottes presqu'au sommet du col de la Cayolle.

Le col idéal, c'est savoir qu'on a dans sa sacoche "Le Hussard sur le toit" de Giono dont on lira quelques pages au sommet du col du Négron à quelques pas du Contadour, "Antigone" qu'on lira sur les pentes arides du Puy Mary, un livre de Samivel chantant les cols des Alpes, des poèmes de Withman ou des histoires de Louis Nucéra. C'est encore un livre acheté au sommet du Ventoux qui est plus beau à lire que le même livre acheté en bas dans la vallée.
Le col idéal c'est bien sûr un col sans chiens qui vous obligent à vous presser, vous empêchant de savourer chaque tour de pédalier, chaque détour de la route, c'est la petite buvette toute simple au sommet où l'on peut déguster un thé citron bien chaud qui a le goût du bonheur.

Le col idéal c'est quand, arrivé au sommet on n'éprouve plus le besoin de redescendre, on savoure simplement ce moment où, cueillir un nuage de passage et l'emporter avec soi pour les jours un peu gris où l'on est obligé de vivre loin des montagnes, dans un pays un peu trop plat, un jour où le vélo, à cause des occupations que nous impose la vie, doit rester au garage en attendant de revivre ce moment du "regard au dessus du col" comme le décrit si bien Victor Ségalen dans Equipée : "le regard par dessus le col n'est rien d'autre qu'un coup d'oeil ; mais si, gonflé de plénitude que l'on ne peut séparer le triomphe dans les muscles satisfaits, ni ce que l'on voit, ni ce que l'on respire un instant, oui mais total. Et la montagne aurait cela pour raison d'être qu'il faudrait se garder d'en nier l'utilité pesante. Tout le détour de l'escalade, la déconvenue des moyens employés, ces rancunes sont jetées par dessus l'épaule, en arrière. Rien n'existe en ce moment que ce moment lui-même".

Et grâce à ce moment de bonheur, ce moment arrêté dans le temps, chaque col franchi est un col idéal.

Christian MERVEILLE N°3861

de BRAINE l'ALLEUD (Belgique)


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