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Tradition d'Automne

Revue N° 23 Page 20

Un soleil de lune zigzague capricieusement, tiraillé par des nuages noirs déchiquetés par un vent de haute altitude.

Dans l'habitacle silencieux de la voiture, les deux Ruthénois contemplent, dubitatifs, les premières gouttes ruisselant entre deux haies de poussière du pare-brise.

Revivra-t-on les bourrasques glacées du Portet d'Aspet ou les pluies diluviennes de la Crouzette ? Le pèlerinage des "Cols Durs" deviendrait-il un rassemblement aquatique et encapuchonné?

Un bon dîner à Varilhes fait oublier les inquiétudes "on verra bien demain"!

Osant à peine écarter le rideau de la fenêtre, Sauveterre constate que la tonnelle de kiwis pleure de la pluie accumulée dans la nuit; cependant le ciel bas se troue de béances bleues annonciatrices de beau temps.

Comme chaque année, les deux compères profitent du court séjour automnal pour compléter leur panoplie de cols au gré des petites routes Ariégeoises. L'air suffocant chargé d'humidité rend difficiles les ascensions répétées. Les pneus crissent entre les bogues éclatées tandis que des récoltes abandonnées jonchent les bas cotés embaumant l'air de parfums de pommes écrasées. Les guêpes excitées volettent de fruit en fruit en n'hésitant pas à menacer les intrus pédalant. La sueur se mélange avec la moiteur ambiante dans le col de Marrous croulant sous une chape de verdure jaunie et gorgée d'eau.

Enfin, l'auberge ouvre ses portes accueillantes et ses menus copieux aux voyageurs égarés dans ce site forestier. Puis, c'est le long cheminement, par une route étroite et mouillée où chaque virage cache quelque chasseur immobile à l'affût d'un hypothétique gibier. Dans ce décor " guerrier", évoluent, inconscients, de pacifiques chercheurs de champignons. D'ailleurs, le bombement des paniers d'osier et l'air réjoui des chasseurs botaniques prouvent l'abondance de la cueillette.

En montant vers Péguerre, un cerf déboule, hautain, bois magnifiques au vent, puis, s'enfonce dans les hautes fougères trempées.

Tous ces spectacles renouvelés font oublier les dénivelées bien que le 28x26 ne soit, paraît-il, pas un luxe pour le Colombien de Rodez!

Déjà, des nappes de brume de plus en plus épaisses obscurcissent le sommet.

Il faut oser la descente dans cet univers opaque et déséquilibrant ; heureusement la casquette blanche d'Henri constitue un excellent repère.

Marrous réapparaît, soudain dégagé pour apercevoir un Suisse qui gravit la pente. Echanges amicaux autour d'une boisson chaude, avec un collectionneur de cols, de pics et de brèches en tous genres, puis chacun va sa route, suivant ses objectifs.

A nouveau, des gouttes de pluie clapotent sur les feuilles racornies. C'est le col de Légrillou qui disperse ses brouillards pour offrir une vue claire sur la vallée de l'Ariège.
Dans la descente glissante, une clairière de l'Arize présente Foix et les trois tours du château Comtal.

Un vent léger emporte les dernières feuilles des peupliers; bien que contrariant la progression pédalistique, il est accueilli avec soulagement tant il garantit un lendemain serein.

L'optimisme de la veille s'avère fondé puisqu'en ce jour de concentration un chaud soleil chasse les brumes matinales.

Randonneurs cyclistes avec ou sans sac de guidon, avec ou sans garde-boue, lents ou rapides, isolés ou en groupes, convergent vers le lieu de rassemblement en échangeant bonjours et regards amicaux. Il fait chaud dans les pentes de Calzan, de Saint Christaut, de Charcany... Les gravillons claquent sur les garde-boue et, comble de malchance, se permettent même de transpercer un pneu....650 B!

Brusquement, un virage à 120° et une pente excessive font hésiter bruyamment les chaînes. Les prétentieux et les maladroits mettront pied à terre pour négocier le braquet adapté. Les souffles deviennent courts et sonores, la sueur embue les lunettes avant de s'écraser goutte à goutte sur la potence. Ceci n'empêche pas le Colombien d'apercevoir les figues qui s'offrent, mûres et tentatrices, en contrebas.

Au sommet du col de la Fage, un vaste parasol autour duquel s'agglutine un groupe de cyclos, marque le lieu de la rencontre.

Congratulations, embrassades, poignées de mains chaleureuses, signature des Livres d'Or: c'est la Fête sous un chaud soleil d'octobre, dans un cadre bien choisi, autour des officiants notamment Marie Noëlle partout présente, Jean, le postier d'Orly, Alain le Muretain, René le Maître tonsuré d'Annecy... Il y a là aussi les fidèles du premier jour : Micheline et Pierre, Philippe, Désiré, Paul (le 3eme Aveyronnais) On se félicite de l'oecuménisme des deux confréries montagnardes tandis que l'odeur des saucisses grillées stimule les papilles.

Henri, le Savoyard du C.A, prononce le "Sermon sur la montagne", un sermon mesuré, conciliant, distillé savamment, stigmatisant la richesse du mouvement fédéral grâce à son unité dans le respect des différences.

Un peu à l'écart, un état-major déploie une carte I.G.N. pour repérer quelques cols insolites. Un peu plus tard, un paysan abasourdi verra se hisser jusqu'à son champ des cyclos disséminés sur un chemin rocailleux; il ne savait pas que la clôture de son terrain marquait un col!

Après de copieuses agapes champêtres, le groupe s'amenuise. Petit à petit les "Apôtres des cimes" se séparent en emportant chacun sa part de souvenirs et d'amitiés échangés, le coeur léger, heureux d'avoir vécu une journée remarquable et parfaitement organisée dans une ambiance simple.

Le Colombien et Sauveterre disparaissent vers Cante-Couyoul.

Jean BARRIE N°308

Rodez (Aveyron)


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