Page 01b Sommaire de la revue N° 23 Page 06

Le LADAKH ou le pays des cols

Revue N° 23 Page 04

L'esprit cyclo se double souvent d'un esprit voyageur et bien que l'hexagone soit riche de paysages variés et superbes - qui souvent font ma joie - cela n'empêche pas le cyclo voyageur d'être tenté de passer des frontières pour découvrir d'autres cultures, d'autres paysages, d'autres cols et montagnes.

C'est ainsi qu'entraînée par des amis italiens je me suis retrouvée en juillet 1993 en Inde du nord pour faire la route de Manali à Leh au Ladakh soit quelques 480 km et 5 cols dont 4 ont une altitude supérieure à celle du Mont- Blanc. Le Ladakh, au carrefour de l'inde, du Pakistan et de la Chine (Tibet), se nomme en tibétain " La Dwag", "La" signifiant col et "Dwag" pays. Ce "pays des cols" a de quoi faire rêver les membres des 100 cols. N'y trouve t-on pas le Khardung La dont on dit qu'il est avec ses 5578 mètres, le col accessible le plus haut du monde.

Mais du rêve à la réalité il y avait des montagnes... et les questions se bousculaient quant à l'altitude, au terrain, au coeur qui pouvait s'affoler etc... Pour partir j'oubliais ces questions que posait la raison et ne retenait que le plaisir de découvrir à vélo cet ailleurs à l'espace démesuré où tout s'écrit au superlatif. Maintenant je sais qu'on n'appréhende pas un "La" au Ladakh qui flirte à 4000-5000 mètres comme un col des Alpes ou des Pyrénées. Entre l'Izoard (2361 m) et le Taglang La (5303 m) il y a près de 3000 m de dénivelée et ce sont ces 3000 m qui font la différence. Dans l'Izoard avec un peu d'entraînement vous pouvez garder votre superbe, dans un "la" du Ladakh l'altitude a vite fait de vous la faire perdre, l'oxygène se raréfiant, le souffle devient court, les jambes deviennent de coton et je ne parle ni des maux de tête, ni des insomnies, ni des nausées, maux inhérents à l'altitude et auxquels peu échappent. Si ce n'était l'altitude les "La" seraient considérés comme des cols faciles avec un pourcentage moyen dépassant les 6%. L'espace n'étant pas compté, la route ne ménage pas les méandres pour découper la montagne.

En partance pour ce voyage pompeusement nommé "spedizione ciclistica internationale" il y avait Lucia, Ambrogio, Exio et moi-même. Mais à l'arrivée les messieurs ayant souffert plus que les dames de ces maux d'altitude, seules Lucia et moi boucleront les 485 km sans recourir au car d'assistance qui nous accompagnait. Car, si expédition il y avait, elle n'était pas aventureuse puisque orchestrée par l'agence Focus de Milan et Ruck Sack Tour de Delhi. Ainsi étions-nous déchargés des bagages et des problèmes d'intendance, mais surtout de l'eau dont le manque autour de 4000 m peut devenir un réel problème.

Pour rejoindre Manali (2000 m) dans l'Himachal Pradesh à Leh (3600m) au Ladakh nous avons mis 10 jours + 1. Notre départ fut d'abord retardé par des éboulements de terrain dus à la fureur des eaux qui dévalent des montagnes en période de mousson. L'eau est omniprésente et "l'Apple Valley" de Manali très verdoyante. Ainsi ce 26 juillet 1993 nous avons dû attendre que les militaires rempierrent tant bien que mal la route avant d'avoir le droit de patauger dans la boue le vélo sur le bras et de délasser enfin (jusqu'a Koti - 16 km) les premiers lacets d'un ruban qui allait défiler sur 51 km pour le Rothang pass (3978m). Jusqu'à Marni (3200m) la route bien entrelacée et bien revêtue dans un environnement où rugissent les cascades ne présente pas de difficulté. Mais à 3200 m on est encore au creux de la vallée, tout reste à faire; Dans la deuxième partie du Rothang pass où les sommets enneigés sont à portée de main, je me sentirai nettement moins alerte d'autant que le revêtement devient inexistant et j'irai piano, piano jusqu'à atteindre les nuages. Au col nous sommes accueillis par les "lotang" ces drapeaux de prières qui flottent au vent afin que se répande la parole de Bouddha et qui nous confirment que nous pénétrons, par la vallée du Lahaul, dans ce pays béni des dieux qu' est le Ladakh. Le paysage est "bellissimo" disent les italiens; par rapport à nos montagnes lorsqu'elles sont recouvertes de neige, il est plus ouvert, plus large, plus géant. Nous restaient 30 km de descente pour atteindre la vallée de la Chamdra River. Du sable, des cailloux, des trous, ce n'est pas une route mais une piste que cette descente. Comme je n'aime pas jouer les équilibristes sur 2 roues, je ne fus guère à la fête. (campement à Sussi 2950m - 71 km)

Pour atteindre le Baralacha La (4891 m) nous mettrons deux jours et demi, 60 km pour atteindre Darcha (3 300m) en suivant les cours de la Chandra et de la Baghda River, vallées verdoyantes où nous allions traverser quelques villages de trois ou quatre maisons au toit carré sur lequel flotte aux 4 points cardinaux un drapeau de prière; un bourg - Keylong - où l'on est accueillis par ces mots " Welcome you to the land of lamas and mystics charms", et où l'on a rencontré ici des hommes assis sur le bord de la route cassant des cailloux ou attendant Dieu sait quoi, là des jeunes femmes leur bébé dans le dos, ou en bande chantant et riant comme des fillettes allant à pied d'un village à l'autre. Ces rencontres furent ponctuées par des échanges de sourires à défaut de paroles. Quant au revêtement de la route, il est aussi mauvais que le paysage est beau et plus d'une fois nous devrons jouer les gros bras, les pieds dans l'eau, pour traverser les gués qui inondent la route et quand, comme un luxe, nous retrouvons le bitume indien il fond comme neige au soleil et nos roues collent à la route. Le paysage est comme les gens, souriant, naturellement beau et il n'est pas rare de voir des tapis verts de pousses d'orge au pied de langues glaciaires.

32 km pour le campement au delà de Zanzibar (4 340m). Nous quittons la douce vallée de la Baghda River pour pénétrer dans un paysage minéral où l'eau allait manquer. Sans eau, plus de village, seulement de rares campements de nomades ou de "workers" faisant la route. Alors, nous nous attardons avec ces femmes parées de bijoux comme pour une fête, leurs enfants dans le dos ou dans un moïse de fortune qui travaillent comme des hommes à l'entretien de la route, et ces bergers à la tête de centaines de chèvres, avant de nous élever en douceur dans ce paysage minéral d'une grande beauté dominée à l'horizon de névés qui percent les nuages. Tout effort, commence à peser et tandis que je mouline, la tête dans les nuages, je vois dévaler 3 vététistes (un espagnol et deux brésiliens) équipés pour le Grand Nord. Comparés à ces cyclos chargés et autonomes qui me disent avoir quelque peu souffert dans la traversée, nous faisons une promenade de santé...bien qu'après 4300 m la forme est défaillante et chacun de panser ses maux (nausées, maux de tête, lèvres et yeux brûlés par une très forte luminosité).
Reste quelques 16 km pour le Baralacha La avec un effectif réduit de moitié - Ezio qui a le mal des montagnes et Ambrogio qui souffre de tachycardie et qui plus est a cassé son dérailleur, sont dans l'incapacité de rouler - sur une douzaine de km le revêtement est presque excellent et la montée régulière. La brume du matin se dissipe, le ciel se met au bleu. Quant aux montagnes, de plus en plus blanches, elles semblent se vautrer dans l'espace pour mieux l'occuper; C'est si beau que je ne suis pas loin de penser que je vais vers le paradis. J'oublie alors les jambes qui s'alourdissent et le souffle qui se fait court. Sous la protection des Dieux le Baralacha La nous accueille avec ses drapeaux de prières qui claquent au vent. Dans la descente mauvaise, je perds ma sérénité. Ce versant, délaissé par la neige est plus sauvage, plus sec. C'est un désert de pierres sur lequel le soleil joue avec bonheur avant la traversée d'un vaste plateau aux sommets érodés par le vent qui nous amène à Sarcho Sarai. Peu de rencontres si ce n'est une tente-hôtel-café-épicerie dans la descente du col, un berger et ses moutons et 2 muletiers qui quelques instants durant se prirent pour des"coureurs" sur mon cheval d'acier. (Etape à Gian "4370 m", 20 km au-delà de Sarcho Sarai - 70 km.)

Au programme du sixième jour, 2 cols: le Naku La (4940m) et le Lachlung La ( 5065m). On entre dans le Nakli La comme en enfer. Imaginez un grand trou surplombé de cônes de concrétions comme des cheminées et de la fumée - comme si la montagne était en feu - d'où émergeaient de pauvres hères brandissant pelles et râteaux. Le choc! En fait la fumée provenait du goudron qui chauffait et les hommes s'activaient à le répandre sur la chaussée avec leurs faibles moyens. Nous, nous ne faisions que passer mais ces hommes eux vivent cet enfer au quotidien. Faut-il qu'ils espèrent fort en un karma meilleur pour supporter cette vie de forçat. La route est aux 2/3 en travaux et si malgré les difficultés Lucia et moi nous nous accrochons à nos montures, il est des moments où nous avançons péniblement, le vélo à la main. Qu'il me fut long ce chemin de seulement 24 km dans la poussière et la caillasse avec une altitude qui flirte avec celle du Mont-Blanc et pourtant, la route est belle qui s'étire en un méli-mélo de noeuds à travers des montagnes ocrées qui moutonnent avec démesure sous un ciel azur. Tous les superlatifs lui conviennent. La Lachlung La malgré ses 5000 m et plus n'est pas le col qui m'a demandé le plus d'effort bien que revêtu de sable. Une fois pris mon "tempo" j'enroulais sans peine. Grand il restera par la descente. Après l'enfer de la montée de Nakli La nous allions dans la descente du Lachlung La vers le paradis. Sur ce versant, l'érosion semblait avoir sculpté les sommets et à l'heure du chassé croisé de l'ombre et de la lumière le soleil irradiait la montagne de tous ses feux comme pour la faire éclater. Quand j'atteignais le campement à Pang Camp (4550m) le soleil cédait la place, l'ombre et le froid s'installaient. Oubliées les affres du matin, j'étais heureuse.

Nous restait à passer le Tangla La (5 303m), à défaut du Khardung La pour lequel nous n'avions pas obtenu les autorisations attendues, et seulement 70 km nous en séparaient. Nous mettrons 2 jours 1/2.... Et pourtant, une matinée nous avait suffi pour rejoindre Debring (50km) au pied du coi. Sur ce plateau désertique cerné de quelques collines où nous roulions avec une relative facilité - grand plateau s'il vous plaît -nous étions à 4600m d'altitude plus proche du désert Saharien que des sommets Himalayens. Au bout de la ligne droite: Debring. N'imaginez pas la ville, seulement quelques tentes de "Workers" et quelques masures en dur pour l'intendance avec de l'eau amenée par citernes qu'on économise. 20 km nous séparent du col mais dans l'après-midi le vent se levant il n'est pas conseillé de nous engager. Le lendemain après une demi-journée de repos; nous sommes prêtes pour le Tangla La mais ce matin le col se refuse à nous. Un camion a versé sur la route et jusqu'à ce que les militaires le dégage, la route est fermée. Ainsi passerons-nous une deuxième journée dans ce bout du monde qu'est Debring. Au matin du 3eme jour, pour cette grande première (5303m) le ciel ne s'est pas mis en frais, la montagne n'a pas revêtu ses atouts d'apparat et sous le soleil boudeur elle garde triste mine. La neige des sommets, qui nous semble maintenant à portée, se confond avec la mer de nuages. Ciel et terre sont à touche touche. C'est dépouillée, sans fioriture, que la montagne s'offre silencieusement à nous. Même ainsi elle est belle et, bien que l'asphyxie me guette et que les jambes ne portent plus, je me sens bien et même très bien comme sous l'effet d'une drogue. Au col, des bannières de prières chantent au vent et on peut lire "Taglang La" 17582 feet - you are passing through".

Nous sommes passées, mais dans quel état, mieux vaut ne pas se voir en photo; 20 km ont suffi pour prendre quelques années... La descente (17km), elle est géante. Le ciel est en révolution et sur la montagne couleur terre de Sienne, ce jeu d'ombre et de lumière est absolument superbe. A regret nous rejoignons la vallée du Rong et Ezio peut se joindre à nous, il ne nous sera plus demandé beaucoup d'efforts. Après ces paysages désertiques de grande beauté on retrouve avec l'eau, des champs d'orge avec laquelle on prépare la tsampa ,aliment de base au Ladakh, les villages de Rumtse, Gya, Miru; précédés bien souvent d'un ou de plusieurs chortens quand on ne les rencontre pas alignés en bordure de route on a alors l'impression de suivre, sinon une voie royale, une voie sacrée car le chorten symbolise l'ordre cosmique révélé par l'enseignement bouddhique. (Campement à Upshi (82km) sur les rives du fleuve sacré l'indus.)

A Upshi, moins de 5 km nous séparent de Leh. Mais pour visiter les monastères d'Hemis, de Thikse et la forteresse de Shey nous mettrons deux jours. De par sa position stratégique la région de Leh est devenue terrain militaire. Pour nous le voyage est fini.

Le retour se fera non sans difficulté en bus par la route Kargil - Srinagar où le couvre-feu a été décrété. Entre Hindous et Musulmans la partie de bras de fer a commencé et le Cashmire est à feu et à sang. Ne considérant que la distance, 485 km c'est peu. Mais ces kilomètres-là, je vais les suivre longtemps encore.

Alors si l'aventure vous tente, larguez les amarres avant que les militaires se soient complètement emparés de ce coin de paradis et qu'il ne devienne impraticable comme l'est devenue la route de Srinagar à Leh où l'on assiste sur des kilomètres et des kilomètres à un défilé de camions militaires et de "tatas" (camions).

Marie-Lou CAUCHON N°992

PARIS


Page 01b Sommaire de la revue N° 23 Page 06