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Pour les cols durs ou les cols mous ?

Revue N° 21 Page 46

... ou petit propos sur l'énergie de l'amateur de cols

Qui a inventé l'économie d'énergie ? C'est sûrement le cyclotouriste et particulièrement l'amateur de cols. La dépense excessive dans une montée se paye généralement dans le col suivant surtout si la route entre les deux est dépourvue d'épicerie. C'est le seul regret des parcours muletiers ! En fait nos randonnées sont pleines de ces basses préoccupations qui relèvent pourtant de la saine gestion du capital énergétique : manger, pédaler, manger, pédaler. Et plus c'est dur, plus on mange.

Certains livres spécialisés ont abordé le sujet, plus ou moins maladroitement, du style "vitesse ascensionnelle moyenne" ou "effort croissant avec le carré de la vitesse", mais de façon pas très convaincante pour répondre aux questions que nous nous posons souvent en préparant nos itinéraires : - Ai-je intérêt à monter ce col par son versant plus dur, ou par le plus facile ? - Est-ce-que je gagne du temps par ce raccourci qui représente une dénivelée supplémentaire ? - Quand est-ce qu'on mange ? Etc, etc

Avec ces quelques calculs simples, (mais les allergiques aux maths peuvent toujours sauter directement aux conclusions)... Je vous propose quelques curiosités et résultats pratiques, sachant qu'ils sont outrageusement simplifiés du point de vue théorique, mais qu'ils donnent tout de même une bonne image de la réalité :

Quelle dépense énergétique doit consentir le cycliste ?

Il y a en fait trois causes à cette énergie consommée à tout instant. - E1 : vaincre les frottements des pneus, des roulements, de la chaîne, de l'effet ventilateur des pédales, etc. - E2 : vaincre la résistance de l'air créée par la vitesse au sol. - E3 : vaincre la pesanteur quand on s'élève.

Examinons-les: Eliminons la première E1 ; elle est de toute façon faible et correspond en gros à un effort sur home-trainer qui serait lui-même sans résistance. Elle est surtout difficile à évaluer, et puis vous n'avez qu'à mettre de l'huile sur votre vélo et bien le gonfler. Donc E1 = 0. La deuxième est essentielle sur le plat. On s'oppose à une force proportionnelle au cube de la vitesse V et donc l'énergie dépensée vaut

E2 = Cx.S.V3

où Cx est l'ensemble cycliste + machine mais qui est nettement plus mauvais ici que sur une voiture, et S la surface transversale des mêmes, (mesurée sur une photo de face par exemple).

L'énergie à fournir croît avec le cube de 1a vitesse ce qui est énorme. Par exemple, si on passe de 20 à 25 km/h on double sa dépense énergétique instantanée, avec seulement la consolation de gagner 20% sur le temps de parcours ! L'encouragement à la paresse n'est pas loin !

Il n'est pas facile de mesurer le Cx du cycliste (serait-ce un argument de vente dans les annonces matrimoniales ?). J'ai pensé à un moyen indirect : si un cycliste pesant avec sa machine 90 kg descend sans freiner une pente de 10%, il atteint une vitesse limite, par exemple 55 Km/h (exemple vécu). Le calcul de cette vitesse limite qui équilibre force de la pesanteur et résistance de l'air donne à peu près :

Cx.S = 0,4

Et donc un Cx voisin de 1 (supposant la surface transversale d'environ 0,4m) et donc loin du 0,3 des belles berlines modernes ! Dans ces conditions, se mettre en position aérodynamique doit bien gagner 10 à 20% de la surface S et donc 10% sur la vitesse, 5km/h par exemple. Réciproquement rouler avec de grosses sacoches vides a l'effet inverse : -5km/h.

Cycliste ou ampoule électrique ?

Pas brillant, d'ailleurs, le cycliste. Avec ces données, l'énergie du cycliste à 18 km/h n'est que de 50 Watts et il faut atteindre 36 km/h pour consommer 8 fois plus c'est à dire 400 Watts. La troisième énergie est directement liée à la montée d'une pente. Elle s'ajoute aux deux précédentes. Si m est le poids total du cycliste habillé plus sa machine, p est la pente en pourcentage (5%, 10%), g le 9,81 m/s2, bien connu des lycéens, alors E3 = m.g.p.V, V restant la vitesse du cycliste.

Evidemment, plus la pente est forte et plus l'énergie à dépenser augmente. Reprenons, notre cycliste de 90 kg et supposons qu'il monte une pente de 10% à 8 km/h, ou le Puy de Dôme à 7 km/h. Cela représente une vitesse ascensionnelle de 800m en une heure. Sa dépense énergétique est donc de : 90 x 9,81 x 0, 1 x 2,22 soit environ 200Watts. Et à quelle vitesse roulerait-il sur le plat en se fatiguant de la même façon ? Un calcul simple donne 28 km/h.

J'ai pris ces cas extrêmes pour simplifier, pente très forte et terrain plat. Cela se complique si on prend une pente intermédiaire, 5% par exemple, car les deux dépenses énergétiques s'ajoutent

E = E2 + E3 = m.g.p.V + Cx.S.Y.3

Alors, plus la pente est faible plus la vitesse ascensionnelle (dénivelée à l'heure) va se dégrader pour la même dépense d'énergie. On monte plus vite la dénivelée d'un col si la pente est forte, vive les cols durs !


Reprenons. Monsieur 200 Watts de tout à l'heure. Il montait 800 m/h sur une pente de 10%, il ne monte plus que 660 m/h sur une pente de 5% (pour faire le calcul, résoudre l'équation du troisième degré par itérations successives).

Mais prenons maintenant trois cas où il faut faire la même distance et la même dénivelée, 50 km et 1000 m de dénivelée: Dans quel cas va-t-on le plus vite, toujours en fournissant une énergie de 200 Watts Je passe rapidement les calculs. On obtient :
Cas 1 : 5 h 20 mn
Cas 2 : 5 h 8 mn
Cas 3 : 4 h 45 mn

Vive les cols mous ! Notre vitesse moyenne est d'autant plus grande que la pente est faible, alors que la dénivelée franchie était d'autant plus grande que la pente était forte.

J'en vois qui pensent sûrement que ce n'est pas encore assez compliqué, et qui vont se poser perfidement la question : "Et quand il y a du vent ?"... Parlons-en, justement. L'énergie dépensée avec un vent de face de vitesse v est maintenant de : E4 = Cx.S.(V-v)2.v

Reprenons Monsieur 200 Watts. Il roulait tout à l'heure à 28 km/h sur le plat sans vent. Faisons le lutter contre un vent de face de 36 km/h. Que va-t-il lui arriver ? Est-ce qu'il recule ? Non, bien sûr mais un petit calcul montre que sa vitesse tombe à v = 11 km/h. Pas terrible me direz-vous, mais rendez-vous compte qu'il continue tout de même à 11 km/h, malgré un vent apparent de 36 + 11 = 47 km/h, alors que rouler réellement à 47 km/h lui demanderait une énergie de 880 Watts, plus de 4 fois plus ! Y a-t-il alors une limite au vent de face "tolérable" pour le cycliste moyen ? Pas vraiment, si ce n'est une chute pour cause d'immobilité prolongée ! Quand V devient très grand, cette vitesse réalisable par le cycliste devient directement proportionnelle à l'énergie fournie :

         E4
V = ----------
       Cx.S.V2

Par exemple, avec un vent de face de 90 km/h (bonjour le Mistral !), la vitesse réalisable par Monsieur 200 Watts descend à 2,9 km/h. La marche à pied n'est pas loin.

Et maintenant que vous avez avalé tout ça, vous avez compris qu'il y avait en gros une équivalence entre les efforts de montagne et les efforts sur le plat, avec ou sans vent. Chacun peut donc calculer en gros son Cx et son énergie dépensée. Pour passer les maux de têtes dus aux formules mathématiques, le mieux maintenant c'est d'aller prendre le vélo pour être un peu à l'air. Au moment de prendre un coupe-faim, regardez ce qui est écrit sur la barre de céréale: 400 kilo-Joules. Ca veut dire que vous pouvez dépenser vos 200 Watts pendant 2000 secondes (environ 33 minutes). Si vous mangez moins, vous entamerez vos réserves, et si vous mangez plus, attention la balance !

Philippe GIRAUDIN

M.I. Auvergne. Déc.92


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