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ENTRE CERVIN ET MONT ROSE

Revue N° 10 Page 46

Jeudi 27 août 1981

10 h 15. Juchés sur nos vélos pour quelques minutes encore, nous traversons Zermatt. Ici, la voiture étant interdite, c'est le train qui amène cette foule hétérogène de touristes et de randonneurs à pied. Sur la gauche, une échoppe expose des bicyclettes à louer, les engins sont rutilants, mais les braquets semblent Merckxiens.

Nous préférons nos engins, car nous sommes partis pour quatre jours avec un objectif majeur : le franchissement de la Theodul Pass, affaissement entre le Cervin et le Mont Rose, mais surtout trait narquois souligné de rouge sur le pli 4 de la Michelin no 26, et suivi du nombre 3317. Pour passer, l'équipement se résume à de la bâche, bâche pour le jour et la nuit, et de la bouffe. Tout ça dans un gros sac arrimé sur chaque porte bagages arrière. Dans le muletier, un tel barda est préférable au chargement à l'avant : l'adhérence du vélo est meilleure, on peut rouler ou pousser sans taper dans chaque pierre, et enfin porter sans être obligé de s'arc bouter.

A la sortie de Furri, un bruit sec. La patte d'appui gauche du porte bagages vient de céder. Une pause supplémentaire pour effectuer une réparation de fortune au moyen d'un sandow.

1900 m. Adieu goudron et pentes raisonnables. Le chemin traverse tout d'abord la forêt sur quelques hectomètres pour atteindre l'hôtel Hermetti. Ensuite, il n'y a plus d'arbres, mais le sentier qui prend parfois des allures de corniche, demeure bon. On peut même presque se passer de porter, quel luxe ! On passe ainsi de 2200 à 3000 m en traversant tantôt un pierrier, tantôt une barre rocheuse avec tour à tour des vues sur Zermatt, le Cervin, le Gornergrat, ou... les oeufs qui passent au dessus de nos têtes.

Quelques pas dans la neige et nous sommes à Gandegg. Altitude 3029 m. Il est 14 h. Le hors sac pris à la terrasse du chalet sous un chaud soleil est reconstituant. Hervé, qui profite d'habitude au maximum des troquets sans consommer, commande à présent du café. Le soleil, associé à l'altitude, lui tourne sans doute la tête.

D'ici, nous distinguons très bien le col distant à vol d'oiseau de trois kilomètres, et les pics qui l'entourent et, grosso modo, nous pouvons deviner l'itinéraire qui y conduit. Hormis les 300 premiers mètres, tout est enneigé, mais la pente paraît raisonnable. Il n'est pas tard et l'optimisme est de rigueur. C'est alors qu'un italien nous explique qu'il y a des crevasses et qu'essayer de passer sans corde, c'est courir un gros risque. Ses dires sont confirmés par d'autres randonneurs. Le doute s'installe dans notre esprit et d'aucuns se voient déjà dans la Croix de Coeur ou le Pas du Lin, vision cauchemardesque, pourquoi pas le tour du Léman cyclotouriste ?

Après une rapide réflexion, nous décidons de continuer en avant, quitte à faire demi tour si le danger devient réel. Des fissures courent en effet un peu partout sur le glacier et nous progressons en essayant de les éviter au maximum, pas trop près l'un de l'autre pour ne pas tomber en même temps, pas trop éloignés non plus pour pouvoir se localiser facilement en cas de pépin. Enfin, cela en théorie, car en fait, Hervé «court» devant avec son vélo sur l'épaule et moi, j'essaie de le suivre sans trop me laisser distancer.
S'il tombe dans une crevasse, le cyclo peut toujours faire un «pont» de son vélo en mettant celui ci en travers mais, à toutes fins utiles et bien qu'il fasse toujours aussi bon, je renfile mon maillot.

La traversée du glacier proprement dit dure quelques centaines de mètres. A mi chemin du col, et moyennant un tout petit détour, on rejoint alors une piste de Ski. Là, on est sauvé, c'est damé, on peut pousser le vélo, et il n'y a plus qu'à atteindre tranquillement la Théodul Pass. Il est 16 h 30.

Pas très loin, au dessus de nos têtes, se dressé la Testa Grigia et, attenant, le Passo Ventina Nord, alt. 3455 m. Aussi, on enlève tout le barda et, vite fait, on attaque le col. C'est en l'occurrence un cul de sac mais quel pied de descendre à vélo une piste que d'autres dévalent à ski. Une petite heure plus tard, on est de retour au Théodul Pass.

Un bavardage animé s'instaure avec quelques randonneurs cramponnés, encordés et piolettisés à souhait. Ils nous montrent au loin les massifs du Grand Paradiso et des Ecrins, et comme leurs collègues de Gaudegg, prennent les deux cyclos en photo.

Le versant Sud ne présente pas le même aspect que celui du Nord. Il est beaucoup plus abrupt et il n'y a que peu de glace. Le seul névé est rapidement dévalé «en ramasse» et à 18 h, nous sommes à Plan du Bar.

Alt. 3050 m. Plan du Bar : un télécabine en voie de développement, un baraquement, un restaurant et une petite chapelle désaffectée. Ce n'est pas encore la fin de l'été et pourtant, il n'y a personne, tout est vide.

La chapelle, non fermée à clé, est vite investie. L'intérieur est en plancher et il y a même des couvertures. A proximité, un torrent apporte de l'eau fraîche. Ce site a décidément été créé pour accueillir les cyclos.

D'autant plus que le panorama est superbe. Tout en mangeant nos nouilles sous le soleil déclinant, nous contemplons l'horizon : là bas, dans le fond, à 2000 m et déjà dans la pénombre, se terre Cervinia Breuil où nous avions initialement prévu l'étape. Plus près, à 2.500 m, Plan Maison et son refuge, plus à gauche les Cima Bianche où il faudra passer demain. Encore plus à gauche et en levant les yeux, le Theodul, objectif essentiel de la balade, engrangé dès le premier jour. Une seule déception peut être : le Cervin qui n'a pas, vu depuis 3000 m, le caractère élancé et les couleurs éclatantes qu'on lui connaît sur les cartes postales. C'est au contraire une montagne massive à l'aspect terne. Mais rassurez vous, ce n'est pas non plus le Gerbier de Joncs ....

Serions nous allés plus vite sans vélos ? La question est posée. Nous n'aurions en tout cas pas suscité autant de curiosité, le plus souvent sympathique, de la part des autres randonneurs. Nous n'aurions pas non plus, pour rejoindre Zermatt en trois jours, pu franchir les cinq ou six cols muletiers supplémentaires avoisinant les 3000 m et qui nous faisaient connaître autant de vallées, pas plus que monté le Simplon le Dimanche après-midi.

Mais cela est une autre histoire...

Marc LIAUDON

PESCHADOIRES (63)




P.S. : Mon acolyte était Hervé BURTSCHELL. Quand je dis, plus haut, qu'il profite au maximum des cafés..., il faut comprendre pour s'y laver, s'y asseoir ou s'y abriter, mais pas pour s'y faire tamponner, il ne pratique pas ce genre d'activités...



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