Page 42 Sommaire de la revue N° 10 Page 45

UN TOUR EN PROVINCE

Revue N° 10 Page 44

Un léger brouillard s'attarde dans les vallons ; les colchiques se répandent en larges nappes mauves le long des haies ; l'air d'une fluidité exceptionnelle véhicule fidèlement la moindre résonance.

C'est Septembre avec ses beaux jours parés de couleurs chatoyantes, sa douceur et son calme rassurants.

Le randonneur assidu constatant que la forme affinée par Sept à huit mille kilomètres de route rêve encore d'horizons inédits. C'est l'époque où le cycliste de grand fond, mû par un certain mécanisme « pédalistique» peut combler quelque lacune en profitant en toute quiétude des belles journées d'automne.

SAUVETERRE, toujours habité par une égale ferveur sportive, émerveillé par la suavité de la saison, projette de réaliser une randonnée au long cours. Il jette son dévolu sur le Tour du Cantal en raison de la proximité du département et aussi pour le caractère tourmenté de la randonnée.

En ce mercredi, 17 septembre à 8 h 30, sur un vélo alourdi par les bagages, c'est le début du périple avec la célèbre côte de Vieillevie. SAUVETERRE ne peut cacher un certain pessimisme et un trac de débutant, car ce raid en solitaire le ramène quelques années en arrière. En effet, la plupart des grandes épopées ont été effectuées en équipe. Aujourd'hui, c'est presque un défi, un pari avec soi même, une épreuve de volonté. Certes, ce n'est pas un projet extraordinaire exigeant une forme particulière, mais «il faut vouloir» et «vouloir seul, toujours seul». C'est en gravissant la pente à 16 % que SAUVETERRE accumulait des réflexions un peu amères, mais en jetant un dernier coup d'oeil sur la vallée tortueuse du LOT, il constata que sa respiration et son coup de pédale étaient aussi aisés qu'à vingt ou trente ans !!! Alors, enroulant un braquet de grande forme, il fila vers AURILLAC, zigzagua parmi les maisons cossues jusqu'à THIEZAC. Le Super Lioran constitua une sérieuse mise en train, puis la descente sur MURAT accorda un répit. Le large dôme du Plomb du Cantal paraît doux et accueillant, pourtant dans le col de Prat de Bouc, SAUVETERRE commit l'imprudence de monter comme dans un «contre la montre». Le toboggan Cantalien se poursuivit par PIERREFORT, la plongée sur le Pont de Tréboul, puis Lieutadès-St Urcize. Partout les troupeaux s'enivraient d'herbe verte et d'air pur sur ce plateau austère de Viadène. A Chaude Aigues, SAUVETERRE rassuré et heureux fit étape après 200 km de routes rudes mais agréables.

En ce jeudi matin, le soleil blanc ne parvient pas à se débarrasser d'un épais voile de brume. Pis encore, les vêtements s'imprègnent rapidement de bruine et les jambes s'enduisent d'une fine pellicule blanche. Il est vrai que par des montées et des descentes incessantes, il faut traverser une large zone de barrages. Celui de Grandval n'est découvert que lors du passage du pont enjambant la Truyère. Des sites merveilleux sont certainement cachés par le brouillard tenace. SAUVETERRE imagine les ruines du château d'Alleuze dans un décor sauvage mêlant les roches basaltiques et les sapins noirs. Transi, mouillé, SAUVETERRE atteint St Flour mais ne s'attarde guère au contrôle. Les doigts gourds, il se hasarde sur la nationale, frêle et peureux parmi les voitures et les camions agressifs. Soudain, un soleil d'été entasse le brouillard dans les vallées et découvre l'arche métallique de Garabit au dessus de la retenue éblouissante de Grandval. La température change trop brutalement, rendant le souffle court en montant vers Ruynes en Margeride. La route difficile déambule heureusement parmi les frais ombrages de la vaste forêt de la Chapelle Laurent chargée d'histoire de la dernière guerre. A Massiac, commence un parcours particulièrement difficultueux tandis que les sauterelles qui crissent dans les chaumes grisâtres annoncent une chaude soirée. Les gorges de la Sianne offrent un calme de rêve qui s'efforce de faire oublier la rugosité de la petite départementale. La rivière coule paisible et enchanteresse tandis que l'effort est soutenu et serein. Soudain, après le pont caché par la puissante verdure, la chaussée se rétrécit encore et abandonne les rives du ruisseau. Rapidement le clapotis s'estompe, la pente s'accentue et SAUVETERRE livre bataille à des pourcentages inhabituels. A Vèze cependant, entre deux gouttes de sueur, il peut jeter un regard embué vers l'église romane égarée dans un décor de haute montagne. A Allanche, le «demi¬-panaché» apporte une délicieuse sensation de fraîcheur qui sera bien utile pour traverser le sévère plateau du Cezallier et parvenir au bassin verdoyant de Condat. Le plus vite possible SAUVETERRE s'éloigne de ce carrefour terriblement bruyant et dangereux pour se hisser A Montboudif, village qu'un récent président a rendu célèbre. Par une succession éprouvante de montagnes russes, par des routes étroites longeant tantôt de maigres pâturages, tantôt des lacs froids et calmes, SAUVETERRE parvient à Lanobre terme de la 2ème étape (190 km).

Vers 8 h 30, le cycliste équilibre le sac de guidon pour la troisième fois. Le ciel d'un bleu foncé, les innombrables et brillantes toiles des araignées de nuit sont des indices d'une journée ensoleillée. Une légère ouate s'accroche au majestueux château du Val enserré par le lac de Bort. SAUVETERRE en emportant le merveilleux souvenir du site enchanteur, parcourt le plateau d'Artense, région d'une tranquillité mais aussi d'une froideur impressionnantes. Brusquement après Coindres, il faut tourner à droite et abandonner les douces rêveries car la pente qui permet d'atteindre St Amandin mobilise toute l'attention. Tiens, le vent de face va t il contrarier la randonnée, car même dans la descente sur Riom es Montagne, il faut pédaler ? Les ruines d'Apchon constituent un site remarquable mais qu'il est long à atteindre ! Le vent frais balaie les basaltes d'Auvergne ; l'effort est intense alors que la chaîne régulière des volcans s'approche immuable, inquiétante. Le paysage est grandiose et vraiment il est dommage que le vent perturbe la progression et l'observation. Durant la halte déjeuner au Claux, la violence de celui ci a encore augmenté. Au col de Serres, SAUVETERRE s'inquiète ; alors il décide de tenir un de ses paris stupides et enfantins «ne pas desserrer ni les dents ni les cale-pieds avant de parvenir au col !». Usant d'un braquet plus grand qu'à l'ordinaire, il profite des moindres tourbillons aplati sur sa machine dans la meilleure position possible. Il passe sans coup férir, deux groupes de jeunes cyclistes et ... brutalement, à 500 mètres du sommet ... il doit s'avouer vaincu et opter pour plus de raison ! Ainsi il pourra admirer le magnifique panorama offert par les volcans auvergnats, par le Cezallier, le Puy Mary et la vallée de Mandailles. Au chalet du Pas de Peyrol le vent démoniaque transforme l'étal des souvenirs en des sonnailles variées bien appropriées à ce paysage agreste.
La descente est abrupte mais l'ascension au col de Neronne sera aisée car le vent, enfin favorable, permettra à SAUVETERRE d'apprécier pleinement la vue sur la vallée du Falgoux et le col d'Aulac. Au terme d'une descente facile et agréable, la cité de Salers offre les vestiges d'un brillant passé, mais aujourd'hui ce n'est pas le jour des visites et SAUVETERRE s'engage sur la route du plateau basaltique profitant au maximum des conditions atmosphériques favorables jusqu'à Mauriac.

Inquiet, il lui faudra désormais lutter contre les vents défavorables alors que leur fureur s'amplifie dans les rues de la ville. L'Abbaye Royale de Brageac ne se découvrira qu'après une progression par saccades et des efforts violents sur une route jonchée de débris et rendue dangereuse. Après Pléaux, sur la petite route déserte et tourmentante SAUVETERRE devra abondamment «jouer du dérailleur». Cependant, sur les rives du lac d'Enchanet, alors que le soleil déclinant projette, par intervalle, des ombres gigantesques, il s'accorde un bienfaisant répit tandis que dans le ciel bleu, quelques nuages noirs s'affairent et indiquent que sur les hauteurs règne l'inclémence. Après le contrôle glacial d'Arnac (par l'accueil aussi bien que par le temps), SAUVETERRE concentre ses forces pour atteindre rapidement la cité moyenâgeuse de Laroquebrou terme de la 3ème étape, après 190 Km rendus pénibles non seulement par le relief mais surtout par les conditions climatiques.

En ce samedi matin, Eole s'acharne toujours sur les plateaux alors que le ciel est obscurci par de gros cumulus annonciateurs d'orages. Certes, il ne reste que 120 Km à parcourir, mais ils vont exiger énergie et vigilance. A l'abri, dans sa Vallée, le lac de St-Etienne de Cantalès est un havre idéal pour les pêcheurs, tandis que dans les bois avoisinants les chercheurs de champignons s'adonnent à leur passion favorite. Malgré la rage éolienne, courbé sur sa machine, évitant les branches éparpillées sur la chaussée, SAUVETERRE se laisse émerveiller par le cadre de Sansac de Marmiesse. Pour atteindre St Mamet La Salvetat, il doit s'arc-bouter sur les pédales ; il est même contraint par une rafale de mettre pied à terre. Après Vitrac, la Vallée de la Rance offre une accalmie très appréciée bien que la route présente des embûches engendrées par la tempête. Au contrôle de Maurs la Jolie, la feuille de route a failli être emportée par l'adversaire invisible et bruyant ; c'est grâce à un rugbyman que le précieux document a pu être «plaqué» avant un envol décisif.

Dans la montée vers Calvinet, les fruits se détachent de leurs supports et vont s'agglutiner dans les fossés. SAUVETERRE n'aurait qu'à ouvrir son sac de guidon pour faire provision de pommes, et de poires juteuses ! Malgré le vent intempestif, le but approche, le coup de pédale conservant toujours sa facilité. Le Lot glisse dans sa gorge profonde ; le château de Vieillevie marque la fin de l'épopée. L'orage gronde et va s'abattre avec une rare vigueur sur la région. Il était temps !

SAUVETERRE savoure en solitaire la victoire sur soi même et conclut :

Le Tour du Cantal offre des panoramas magnifiques par de petites routes tranquilles, mais c'est une «épreuve» sportive assez exigeante si les délais que l'on se fixe sont restreints surtout en cette saison d'automne où les jours sont relativement courts.

De toute façon, si le Tour du Cantal était une randonnée qualifiée de «facile», SAUVETERRE ne l'aurait jamais choisie !


«Quoi de mieux, à notre époque, que de se rapprocher de la nature simple et généreuse, pour se sentir de nouveau un être humain ? .. ».
Walter BONATTI.

« Etre à la merci de la pluie, du soleil et du vent donne un rythme de qualité à chaque jour,… »
Jean GIONO.

Jean BARRIÉ

RODEZ (15)


Page 42 Sommaire de la revue N° 10 Page 45