MONUMENTS ROMANS  (suite et fin)

 

Comps était en 1031 le siège d'une «vicaria», division civile ancienne. C'est ce qui explique l'importance de son église Saint-Paul qui appartenait à l'abbaye bénédictine de Savigny, comme plusieurs voisines dont Crupies. Ce prieuré est superbement isolé sur un petit promontoire, devant un large paysage. On s'étonne de cet édifice en croix grecque, dont naguère on disait le plan rapporté d'Orient. Il s'agit tout simplement d'une église dont la nef et le clocher sont restés inachevés : la visite pastorale de 1509 permettait aux fidèles de l'agrandir.

L'extérieur est bâti en petit appareil régulier de grès. Dans le parement, au sud de l'abside semi-circulaire, on devine qu'une absidiole méridionale a disparu, l'absidiole nord étant remplacée par une chapelle à voûte d'ogives du XVe siècle. Une porte, peut-être du XIVe siècle, s'ouvre à l'ouest dans l'embryon de nef. Au-dessus se trouve remployé un petit fragment de frise composé de deux rangées de têtes aux yeux exorbités, bouche ouverte, souvenir en plein XIIIe ou XIVe siècle des têtes coupées préromaines. La souche du solide clocher est renforcée de pilastres nus destinés à porter un élément qui n'a jamais existé. A l'intérieur, ce qui frappe, c'est la hauteur des voûtes, en particulier de la coupole portée par les arcs d'encadrement de la croisée et par leurs pilastres à dosserets multiples. Du côté de la nef l'arc retombe sur deux colonnes engagées, celle du sud ayant une base seulement ébauchée. La nef se réduit à une petite travée et l'on reconnaît dans les croisillons les entrées des absidioles.

La coupole passe du rectangle de base à l'octogone grâce à de larges trompes où le XIXe avait placé des motifs. La moulure en quart de rond qui court au bas de l'octogone, la perfection et l'ampleur de la coupole, le tracé brisé des arcs d'encadrement et des voûtes assignent à l'édifice une époque postérieure au milieu du XIIe siècle.

Cette datation tardive contraste avec le caractère archaïque de la sculpture. Celle-ci, présente sur les moulures placées au départ des arcs et du cul-de-four manque de relief ou se réduit à une simple gravure. Le répertoire souvent d'origine ancienne, reste décoratif et parfois maladroitement exécuté : croix grecque gemmée, cercles à rayons, entrelacs quadrilobés, spirales, câbles, marguerite à pétales incurvés et en queue d'aronde, palmettes, oiseau au plumage strié. Si la frise de l'abside, malheureusement très empâtée, présente des bâtons, des frettes, des triangles alternés, des macles, une croix «de Malte», on distingue aussi un timide essai de figuration avec des quadrupèdes traités de façon sommaire. Les spirales rappellent Crupies, l'oiseau et le gros quadrupède au cou monstrueux ont des analogues à la crypte de Cruas. Ce sont des remplois provenant de l'église précédente, que 1es moines de Savigny ont élevée peu après leur installation vers 1031 et dont la décoration, bien que maladroite, reste exceptionnelle dans la région. Sur les murs subsistent des traces d'une litre aux armes des Vesc.

 

La chapelle Saint-Michel était l'église paroissiale du vieux village de Rémuzat situé sur un replat (le titulaire indique bien le perchement) de la rive droite de l'Oule.

Au diocèse de Die dès 1270, le cours de la rivière formant approximativement la limite de Die et de Gap, le village  descendit et changea de rive. L'église ancienne de la rive droite était cependant Saint-Auban, connue dès 851, dont provient peut-être une frise romaine à rinceaux, devenue pierre d'autel à Saint-Michel.

L’édifice a été, peut-être au XIVe siècle, entouré par le rempart de l'agglomération, qui s'est appuyé sur ses faces sud et ouest en en faisant ainsi un angle de l'enceinte. Maintenant on entre dans l'église en traversant les restes de l'ancien chœur orienté. La nef comprend deux travées, couvertes d'un berceau légèrement brisé. Des pilastres de plan rectiligne, sans ressauts, reposant sur une simple base débordante, reçoivent la retombée d'un doubleau. Il n’y a pas d'arcs de décharge et le cordon mouluré qui court à la naissance de la voûte affecte la forme, parfois maladroite, du quart de rond. On a là une variante de l’église romane tardive de ce secteur aux confins de Die, Gap et Sisteron, reconnaissable à la médiocrité de l’appareil, au berceau brisé avec doubleaux, à l'absence d’arcs de décharge, aux moulures en quart de rond. Cornillac, Lemps ou Montmorin en constituent d’autres exemples au XIIIe siècle.

 

Pour terminer une petite chapelle ruinée mais qui se rattache à l’histoire des seigneurs de Vesc

 

Mentionnée dès 1031 dans la «Gallia Christiana» comme une chapelle de la «vicaria» de Comps, NotreDame-de-la-Calle à Dieulefit, en ruine depuis quelques siècles, se trouve dans le cimetière, à l'ouest de la ville. Construite sur un site gallo-romain, elle ne présente plus que quelques pans de mur en petit appareil, recouverts de lierre. A l’est, les vestiges de l'église romane reposent sur des murs plus anciens, entre lesquels on a découvert des pièces de revêtement de marbre en «opus sectile», et des tombes recelant des armures, probablement celles des Vesc qui sont enterrés ici. En effet, la coseigneurie de Dieulefît était pariée entre les seigneurs de Comps, puis de Vesc et les Hospitaliers de Saint-Jean de Poët-Laval tout proche. Notre-Dame-de-la-Calle fut utilisée jusqu'aux guerres de religion. Elle avait été restaurée à l'époque gothique, ce qui pas sa ruine quelques années après. A l'ouest par contre, l’analyse des murs permet de restituer un édifice de plan polygonal.

 

Enfin deux monuments un peu en dehors des itinéraires proposés mais qui me semblent particulièrement intéressants, l’un sur un site très connu : le Poët-Laval ; le second pratiquement inconnu et ruiné, mais très attachant : Notre-Dame à Aleyrac

 

La chapelle des commandeurs de Saint-Jean de Jérusalem fut fondée au XIIe siècle par les Hospitaliers qui avaient créé une commanderie au Poët-Laval, en liaison avec une maladrerie implantée dans la vallée de Dieulefït. Les Hospitaliers contrôlaient un itinéraire jusqu'à Saint-Gilles-du-Gard où se trouvait le Prieur dont Poët-Laval dépendait, proche du lieu d'embarquement pour la Terre-Sainte.

 

Deux seigneurs furent nommés Grand Commandeur de l'ordre : Arnaud de Comps en 1163 et Bertrand de Comps en 1244. Ce dernier, mort au siège d'Antioche, augmenta considérablement les possessions de l'ordre, mais au XIIIe siècle les Comps «tombèrent en quenouille» dans les Vesc, qui furent seigneurs de Dieulefit, Vesc, Montioux et Comps. La fondation de cette chapelle de Poët-Laval est liée à ces commandeurs, elle fut d'abord dédiée à Saint-André pour prendre ensuite le vocable de Saint-Jean. Elle est entourée de la commanderie et du donjon de Poët-Laval.

 

Aujourd'hui ruinée mais bien mise en valeur au milieu du village restauré, la chapelle des Commandeurs offre le plan très simple d'une abside conservée, surmontée d'un clocher plus récent, ouvrant sur une courte nef dont la voûte n'a que partiellement traversé les âges. Les traces d'un portail sont visibles au sud, quelques bonnes assises romanes lui font face au nord. Les dispositions romanes de la voûte ont disparu : elle était soutenue par des arcs engagés dans les murs.

 

Rythmée de cinq arcatures en plein-cintre, l’abside est couverte d'un cul-de-four à quatre pans ou compartiments, séparés par trois nervures du XIIIe siècle. La corniche est curieusement décorée de motifs géométriques figuratifs ou non, d'une facture très archaïque peu incisée, elle est constituée d'éléments dont certains rectilignes sont des remplois. Les chapiteaux et les consoles qui la soutiennent paraissent également des remplois. Ils sont décorés sur leurs trois faces de manière archaïque, avec des variations géométriques et des feuillages encadrant parfois quelques masques.  Leur style est à rapprocher de celui des éléments de remploi visibles à Sainte-Anne du Pègue, mais aussi de Saint-Paul de Comps qui peuvent être attribués à un premier édifice du XIe siècle, à Saint-Etienne de Montjoux.  On peut placer sans trop de difficulté la construction de cette chapelle au milieu du XIIIe siècle, au moment où Bertrand de Comps est précisément grand commandeur, sans préjuger de la datation de certains éléments en remploi.

 

Au Poët-Laval, une autre église existait dès cette époque, il s'agit de Saint-Martin dans la combe du même nom à l'ouest du village : aujourd'hui détruite, cette église n'est connue que par les nombreux remplois visibles dans les façades des maisons de ce quartier, datables du XIIe siècle.

 

Classées Monument Historique depuis 1905, les ruines de l'église Notre-Dame se dressent juste en contrebas du col d'Aleyrac, entre la Bégude-de-Mazenc et Salles-sous-Bois, près d'une importante voie de passage médiévale. Cette abbaye de religieuses bénédictines dépendant de l'Ile-Barbe de Lyon est connue dès 1105 mais, après une période d'expansion au XIIe siècle, elle subit les troubles de la fin du XIVe siècle et en 1427, les religieuses étaient réfugiées à Valréas. En 1449, l'abbé de 1'lle-Barbe unit ses biens à ceux de la collégiale Sainte-Croix à Montélimar et en 1528, la seigneurie passe définitivement entre des mains laïques.

 

Du monastère primitif, ne subsiste que l'église qui a malheureusement été dépouillée d'une grande partie des pierres de son parement extérieur au siècle dernier. Il est probable que les bâtiments monastiques s'élevaient en aval, à l'emplacement du cimetière, car des traces d'ancrage de toiture subsistent encore sur le mur sud.

 

La façade ouest que l'on découvre en arrivant apparaît largement ajourée au-dessus du vide : trois fenêtres à double ébrasement, un clocheton à deux arcades qui surmonte le pignon, et une porte maintenant inutile. Celle-ci en effet, s'ouvre au-dessus de l'eau : à l'extérieur coule le ruisseau d'Aleyrac, à l'intérieur une source miraculeuse. Un pont devait permettre de rejoindre la rive opposée. Des traces d'ancrage d'une charpente et d'une toiture au-dessus de la porte attestent l'existence, à une époque indéterminée, d'un porche, peut-être de bois. A l'intérieur, un plancher couvrait une salle aujourd'hui à ciel ouvert où coule une source miraculeuse.

 

La patine du temps a donné une couleur grise, presque uniforme, aux moellons des murs faits de calcaire et aux claveaux du sommet des voûtes taillés dans le tuf. La perfection de la taille des pierres n'a pas empêché la réalisation d'un enduit à faux joints rouges sur fond blanc, à peine visible aujourd'hui. Une croix de consécration rouge se devine encore sur les murs de l'abside.

 

La nef compte trois travées rythmées de larges arcatures, aveugles au nord mais percées d'une fenêtre à double ébrasement au sud. Un transept s'ouvre vers une quatrième arcature et chaque croisillon donne sur une petite absidiole voûtée en cul-de-four et éclairée par une fenêtre axiale. Une travée de chœur précède l'abside pentagonale dont chacun des trois pans médians est percé d'une fenêtre à double ébrasement aujourd'hui obturée.

 

La voûte de la nef était en berceau très légèrement brisée comme l’on peut l'observer à hauteur de la première travée à l'ouest.  Elle était soutenue par des- arcs doubleaux reposant sur des pilastres. La seule décoration est celle de la corniche moulurée d'une doucine qui souligne la naissance de la voûte, celle des doubleaux et des arcatures latérales qui rythment les murs gouttereaux. Sur le côté sud de l’église, s'y ajoute une simple volute sculptée sur la face latérale de la pierre et que l'on retrouve identique sur celle du petit placard de l'abside.

 

La position de cette église en travers d'une vallée si étroite étonne et l'on imagine mal aujourd'hui la vie de ces moniales ainsi isolées. L'implantation du monastère s'explique peut-être par le seul souci de christianiser les vertus de la source miraculeuse mais le voisinage de la grande route d'Allemagne en Provence devait faire de ce lieu une halte privilégiée pour les pèlerins et autres voyageurs si nombreux au Moyen Age.

 

Si vous recherchez un itinéraire de visite de ces deux monuments, je vous signale l’article :

Cyclomuletade autour d’un village hors du commun : le Poët-laval paru dans la rubrique "Hors des Chemins battus" du n° 12, p. 35 de la revue LE RANDONNEUR "L’Ecluse" 62390 - WILLENCOURT.

 

Pour ceux d’entre vous qui souhaiteraient des renseignements complémentaires et des descriptions sur les très nombreux monuments romans de la région, je vous conseille les ouvrages suivants :

- Dans la célèbre collection : la nuit des temps de ZODIAQUE, les 2 ouvrages : dauphine ROMAN et provence ROMANE I.

- LA DRÔME ROMANE – « Plein-Cintre éditions »  1989.

Michel de Brébisson (juin 2001)