Mon premier PARIS-BREST-PARIS

 

Mon envie de faire Paris-Brest-Paris n’était pas nouvelle. Je me souviens des soirées où Roger Outrequin et Papa parlaient, sans se lasser, tard dans la nuit, de randonnées fantastiques et bien sûr de Paris-Brest-Paris. Combien de fois ensuite ai-je interrogé Papa sur ses expériences ? Combien de fois les récits des autres C.T.P. aux réunions du club ont-ils éveillé mon attention ? A l’évidence cette randonnée apporte à tous plus que des kilomètres.

En 1987 déjà j’avais failli tenter l’expérience : deux 200, un 300, puis un 400 qui longtemps allait rester ma plus longue distance et mon meilleur souvenir aussi d’une équipée en Sologne forte de sept C.T.P. Interdit de Paris-Brest-Paris par un chef de service abusif, et, trop timide pour m’en affranchir, j’avais pris le départ sans motivation d’un 600 pluvieux. A Soissons bien qu’en avance, Joel et moi faisions demi-tour. Bientôt suivis de Thierry, nous entraînions sans le savoir l’arrêt de Bob qui nous attendait ! De cette affaire j’avais gardé un sentiment de culpabilité et d’amertume. Ensuite mes études puis mon installation professionnelle ne me permirent plus d’évoquer Paris-Brest-Paris.

Voici pourquoi quand en cette fin d’année 1998 je découvrais le calendrier "où irons-nous" je décidais de tout faire cette fois pour "en être". Il faut bien dire que se représenter 1200 kilomètres en moins de 90 heures est bien difficile pour un néophyte. Les récits des autres, pour précieux qu’ils soient, ne renseignent guère sur ses propres capacités. Et il n’y a pas d’unique réponse aux questions qui ne manquent pas : comment s’entraîner ? Qu’elle distance faut-il avoir parcouru ? Quand dormir ? Comment faire si le vent est défavorable ? Si je suis seul ?

Dès la mi-janvier, après avoir publié mon agenda de brevets qualificatifs, j’affrontais les rigueurs hivernales des routes picardes. Ainsi de semaine en semaine, le plus souvent seul, je pestais contre le vent coupant et le mauvais temps. Cependant une voix me disait : "tu prépares Paris-Brest-Paris". Sortie après sortie j’essayais d’appliquer mes convictions en matière d’entraînement : je respectais une progression par paliers ; une sortie longue à vitesse modérée était suivie d’une sortie de même distance au maximum mais plus rapide, elle-même suivie si l’état à l’arrivée était satisfaisant, d’une sortie plus longue et de nouveau moins rapide. Parallèlement je m’appliquais à une hydratation et une alimentation choisies et régulières et à des arrêts brefs.

Le 28 mars à Versailles je retrouvais Bernard et Stéphane à tandem ainsi que Daniel pour le 200 randonneur. Voilà dix jours que je n’avais pas roulé. Ce furent néanmoins neuf heures de route très agréables avec des compagnons chevronnés. Le temps d’un week-end à tandem avec Marie-Laure et un mois plus tard je faisais l’expérience avec la nuit. Seul à trois heures du matin dans la brie champenoise, je réveillais mes torches électriques de 1987, associées à un éclairage auxiliaire tout neuf. Je passais la fin de la nuit avec un cyclo solitaire de Noyon puis une partie de la matinée avec un autre. Nous contrôlons chez les commerçants ou par cartes postales. Sur la route du retour, vent de face nous nous sommes tous trois retrouvés quand nous rencontrons les C.T.P. venus à ma rencontre pour m’encourager. Il reste que ce 300 aura été le plus dur des brevets qualificatifs ; une nuit de sommeil courte, beaucoup de vent et de fraîcheur et 14 heures 20 de route. A tandem toujours, huit jours plus tard, nous étions sept C.T.P.sur la côte d’azur et dans l’arrière pays. Nous nous sommes organisés un voyage itinérant de sept cents kilomètres plein de cols et propice aux découvertes, le troisième du genre, aux vacances de Pâques. Un mois s’est écoulé depuis le 300 quand je prends le départ du 400 autour de Paris. J’ai observé comme à chaque fois dix jours de repos. Mis à part les premiers kilomètres je vais rouler constamment seul. Ce qui aurait pu me coûter cher. En effet je crève en pleine nuit à la sortie de Rambouillet, et m’aperçois que j’ai oublié ma pompe ! Heureusement vaille que vaille et en danseuse je réussis à atteindre trente kilomètres plus loin une auberge ouverte où un ancien cyclo hilare me dépanne Au petit jour brusquement assailli par le sommeil je m'arrête aussitôt et m'assieds au pied d’un arbre. Je dors dix minutes à peine, réveillé par le passage de la première voiture. Ragaillardi, je repars de suite. 20 heures 50 après mon départ je rallie l’arrivée. Fidèle à mon programme je poursuis l’entraînement hebdomadaire. A l’occasion d’un week-end VTT dans les Vosges je rallonge l’étape en randonneuse. Dix jours avant le 600 je m’offrais 250 kilomètres en solitaire à bonne allure, puis repos. Papa m’avait accompagné au départ et je retrouvais les amis du 200. Autres retrouvailles ; celle avec Bernard Faucheux, qu’il y a bien des années Papa et moi avions été cherchés avec son compagnon Pierre Gros à leur arrivée de leur premier Paris-Brest-Paris, celle encore avec Lourdet compagnon du Paris-Brest-Paris 1961 de Papa et encore au départ ce jour là. Le tandem de Bernard et Stéphane nous mène bon train. Mes compagnons connaissent la route et sont à leur affaire. Nous empruntons une partie de l’itinéraire de Paris-Brest-Paris et ce sera très profitable deux mois plus tard. Nous tournons à Saint-Hilaire-du-Harcouët pour aller manger à Loupfougère en pleine nuit au 381ième kilomètre. La table est mise par l’organisateur. La nuit sera vivement menée, et j’en tirai un nouvel enseignement. L’aube encore une fois me trouva ensommeillé, mais les amis étaient là qui me firent la causette. L’arrivée fut joyeuse. Bernard me dit : "tu as gagné le droit de t’inscrire à Paris-Brest-Paris". J’ai aussi gagné le souvenir d’un superbe 600 en 31 heures 05 et désormais 4250 kilomètres depuis le premier janvier. La première semaine de juillet est traditionnellement réservée à une escapade en couple à tandem. Cette fois nous choisissons les Alpes, Belledonne, Chartreuse, Aravis, et tour du Mont-Blanc allient efforts de longue durée, altitude et paysages grandioses. Fin juillet début août le club se retrouve en Corrèze et chaque jour je pousse seul la sortie de quelques heures pour faire des kilomètres à bon rythme. Le 12 août je donne rendez-vous à la famille pour un pique-nique au nord de Laon. Au soir par ce prétexte j’ai parcouru 260 kilomètres à 25 km/h de moyenne. Il reste douze jours avant Paris-Brest-Paris et je commence à tourner en rond. Je me contenterai seulement de 65 kilomètres à vive allure le 19 août pour faire tourner les jambes.

Dimanche 22 août je me rends à Saint-Quentin-en-Yvelynes sur les lieux du départ pour la vérification obligatoire de mon vélo et retirer ma carte de route. L’animation est intense, tous sont volubiles, et un peu électrisés. C’est l’occasion pour chacun de revoir beaucoup de connaissances venues s’inscrire ou participer à cette énorme organisation ou simplement respirer l’ambiance.

Je passe le lundi à vérifier mon vélo dont je relève la selle de un millimètre. Je sélectionne mes bagages, volontairement je ne garde que la sacoche de guidon. J’emmène un cuissard, des chaussettes, un maillot de change. Sur moi je porte la même chose plus un sous-pull thermique, un pull en polaire et un coupe vent fluorescent pour le départ de nuit. Ces trois vêtements trouveront ensuite place dans ou sur la sacoche. J’emporte aussi deux chambres à air de secours, quelques outils, un rasoir à piles neuves utilisables en éclairage, une brosse à dents coupée, un fond de dentifrice, un petit savon d’hôtel, un demi tube de crème cicatrisante, un demi tube de crème anti-inflammatoire, une cuillère, un couteau, une carte routière avec le repérage fluorescent de l’itinéraire qui me sera peu utile, beaucoup de pâtes de fruits et d’en-cas divers et un gâteau overstime.

Enfin voici le moment du départ. Papa m’a conduit à Saint-Quentin après une bonne nuit. Il s’est fait embaucher par Robert Lepertel pour surveiller la sortie du stade. Il est 4 heures 45 quand les tandems partent dans un grand vacarme de trompe ; bonne route à Bernard et Stéphane ! Nous sommes tous agglutinés derrière la grille, faussement détendus. Quinze longues minutes passent. Et puis : c’est à nous ! Cent mètres seulement ; Robert Lepertel fait ses recommandations et les lumières sont vérifiées. Coup de trompe, au revoir à Papa, je suis parti. Les carrefours sont gardés et des voitures ouvrent la route. Dans la nuit les uns et les autres se doublent et se redoublent. Ça roule vite déjà. Je décide de suivre pour éviter de me perdre ou de perdre du temps avec les intersections. On entend les interjections exaltées des anglo-saxons. Les Français sont là pourtant, ils le disent quand on le demande puis retombent dans leur silence. Sur des ralentisseurs, à l’entrée d’un pont, j’évite une torche qui roule, puis un bidon, puis encore un éclairage. Maintenant deux pelotons à peu de distance l’un de l’autre se sont formés. Je ferme la marche du second. Le jour se lève, nos voitures-pilotes s’écartent et nous souhaitent bonne route. Le rythme est toujours très élevé. Pierre Gros un ancien du club s’interroge avec moi sur le côté raisonnable de l’allure. De toutes façons si nous étions raisonnables nous ne serions peut-être pas là, alors ! Vers les 100 kilomètres je retrouve le tandem Bernard et Stéphane qui ne tient pas à suivre sur les routes étroites. Un peu plus loin je m’arrête. Finalement on arrive ensemble à 10 heures 10 à Mortagne où on déjeune au café. La traversée de la Sarthe est monotone. Il commence à faire chaud et des groupes inconstants se font et se défont. Depuis le perche les riverains sur le bord de la route nous encouragent, les villages ont pavoisé leurs entrées. Je roule un moment en compagnie de Canadiens, de Norvégiens, d’Australiens et d’un Américain. A Villaine à 13 heures 35, je vais manger au self, très bien tenu et organisé, quand le tandem arrive. Il rejoindra sa voiture assistance.

A la sortie de Villaine on m’interpelle : "ça va fiston !" ; c’est Gilbert Duchêne avec qui je fais quelques kilomètres sur une route resplendissante de soleil et assez déserte. La canicule s’est installée et je m’applique scolairement à m’hydrater. Cependant je roule toujours à un bon rythme et je sens bien que ma température augmente malgré tout. J’observe un arrêt jus de fruit et éclairs au chocolat à la terrasse d’un café fréquenté de Goron. Tout au long de la route les villageois nous offrent de l’eau. Je profite de l’un d’eux mais je fais l’erreur de ne pas mouiller la casquette. Encore un peu plus loin je ramasse un téléphone portatif que je ne tarde pas à rendre à son propriétaire qui arrive en sens inverse quelques kilomètres après hors d’haleine et m’apostrophe en anglais. A Fougères les abandons sont parait-il déjà nombreux. En tous cas dans l’enceinte du contrôle les vélos avec des plaques de cadres rouges ou vertes des départs de 20 et 22 heures sont nombreux. Daniel arrive quand je finis ma collation. Il me propose de repartir ensemble. Mais 40 kilomètres plus loin j’ai de nouveau très chaud et je crains que le coup de chaleur me guette. Je prie Daniel de poursuivre et je m’offre quelques minutes courtes mais délectables étendu dans une herbe fraîche, verte et ombragée. Je repars parfaitement revigoré. La nuit tombe sur le contrôle de Tinténiac quand je rejoins avec mon plateau repas l’ami Daniel qui vient de s’asseoir. Il se faisait du souci à mon endroit. Le tandem est devant me dit-il. Mon cyclo au téléphone portatif arrive et n’a guère d’appétit. Je mange à belles dents ce qui n’est pas le cas de Daniel.

Je ne sais comment, nous avons formé un petit groupe au départ de Tinténiac. Daniel discute avec un autre cyclo d’expérience. L’homme au téléphone et moi, tous deux néophytes, nous profitons des descriptions des paysages et des reliefs à venir que nous font nos deux anciens. Nous montons ainsi la cote épouvantail de Bécherel. Puis les kilomètres nocturnes défilent toujours baignés de conversations. A Saint-Meen le grand on se vote un café devant la façade illuminée de la mairie à la grande surprise de touristes de passage. Ensuite ce sont des kilomètres féeriques. En pleine nuit les ruraux sont sortis et offrent boissons et gâteaux devant leurs portes. Plus loin une multitude de cyclos dorment dans les champs à coté de leurs vélos dont ils laissent leurs lanternes rouges allumées pour être repérés. Jusqu’à Loudéac, par une nuit clémente, c’est la même atmosphère irréelle de bivouac, d’accueil et d’encouragements. A ceci s’ajoute bientôt le croisement des tous premiers participants sur le retour partis neuf heures avant nous. Deux isolés d’abord puis un assez bon groupe juste derrière, ils ne traînent pas, ils ont 360 kilomètres d’avance sur nous.

Le contrôle de Loudéac est une vaste kermesse. Un nombre considérable de cyclos de tous les départs y stationne. Un nombre impressionnant d’accompagnateurs qui guettent leur poulain forme une haie à l’entrée du site. On à peine à trouver une place où poser son vélo ; Il y a presque la cohue pour contrôler carte de route et carte magnétique. Le self est pris d’assaut. Le barnum à merguez en plein milieu ne chôme pas. Près d’un dortoir improvisé dans un gymnase des cyclos se douchent avec un tuyau d’arrosage dans l’indifférence générale. Sous un préau des dizaines de bagages attendent leurs propriétaires. Il règne une activité de ruche à pas feutrés. Sur les pelouses de ce lycée des cyclos en grand nombre dorment en rang d’oignons sous des couvertures de survie ; une irrésistible image : après la bataille. Daniel veut dormir un peu. Je ne suis pas très chaud, j’avais le projet de passer Brest et de ne dormir qu’une seule mais grande nuit. Il me fait valoir que les kilomètres à venir seront très vallonnés et tortueux. Je n’envisage pas bien la nuit puis le petit jour seul dans un terrain difficile et jusqu’à présent nous ne sommes pas en retard. Je me laisse fléchir. Nous négocions nos matelas pour deux heures. Devant nous un allemand à qui le placeur s’acharne à parler un anglais qu’il ne comprend pas parvient avec notre aide à obtenir son lit également. On nous conduit à la lueur d’une lampe électrique au milieu des matelas et des dormeurs à l’autre extrémité du gymnase. Je dors assez mal mais je repartirai plus reposé que prévu. Réveillés, tôt prêts, nous fonçons dans la nuit. La route est sinueuse et accidentée en diable. Daniel fait un parfait poisson-pilote me déjouant à l’avance toutes les difficultés d’orientation. Nous rattrapons et dépassons un très grand nombre de cyclos. Il faut dire que les dormeurs sur l’herbe étaient beaucoup moins nombreux à notre réveil à Loudéac. En sens contraire les cyclos sont rares. Nous traversons des villages animés où les hôtels sont restés ouverts toute la nuit. A Corlay nous sortons de ce dédale pour trouver un contrôle secret très fréquenté. On déjeune dans un café qui ouvre. En face, le boulanger est à son fournil il a dû fermer, n’ayant plus de marchandise à vendre.

Nous empruntons maintenant une de ces routes modernes de déviations qui sont rares dans Paris-Brest-Paris. L’aube est grise et humide, la route mouillée. De plus en plus de cyclos sur le retour nous croisent. Sur les petites routes buissonneuses de Maêl-Carhaix il pleut. Le nom de cette localité est trompeur et nous fait attendre ardemment Carhaix 12 kilomètres plus loin. Nous y voilà et je connais : la locomotive à vapeur du réseau breton trône toujours au pont de la gare et je reconnais les vieilles maisons à pans de bois que nous avions admirées Marie-Laure, Philippe et moi sous la pluie également. Nous contrôlons à huit heures trente puis nous retournons en ville pour quelques achats. Daniel choisit une épicerie, moi la boulangerie et j’y subis une longue attente. J’avale mes croissants aux amandes quand un suiveur vient entretenir Daniel. Celui-ci a des ennuis digestifs et connaît une baisse de moral qui n’échappe pas au journaliste du Cycle qui l’interroge et le rapportera dans son journal. Cette fois nous avons trop tardé. Ephémère explication à l’aiguilleur du contrôle où nous repassons et nous prenons le chemin de Huelgoat. La route au bord de l’Argent est superbe mais l’averse que nous essuyons est sévère. La montée au Roc Trévésel est indolore, et nous descendons agréablement sur Sizun où commence la boucle de Brest. Daniel s’arrête un peu plus loin. Nous sommes en hauteur, le ciel est chargé, l’herbe trop grasse, on sent la fin des terres. Daoulas, Plougastel, Loperhet, nous tournons et retournons sans encore voir la rade de Brest. "Is a long way!". Enfin nous franchissons le pont Albert-Louppe réservé aux cyclistes. L’émotion est grande. J’y suis ! Brest et sa rade s’offrent à nous. Beaucoup s’arrêtent et font des photos. De l’autre côté du pont le coureur professionnel Madouas nous fait, par hasard, un brin de conduite. Le contrôle de Brest est bruyant, il est 12 heures 54 et tous veulent manger. Je suis un peu déçu de notre temps à l’aller presque 32 heures, mais c’est le temps du 600 avec deux heures de sommeil en plus ; Gilbert est là qui m’annonce qu’il a réservé une chambre à Loudéac. Je souhaite un endroit plus calme et nous poussons jusqu’à Guipavas où nous trouvons un restaurant convenable et confortable. Dans la côte à la sortie de Landerneau je vais parfaitement bien, même très bien. Daniel me le reproche un peu à Sizun où j’adresse une carte au président. Il est un peu anxieux pour la longue route déserte d’ici à Carhaix. Notre "ami au téléphone" m’avait décidément choisi pour samaritain. Il rentre sur Carhaix pour abandonner en raison de problèmes de selle. Je l’adresse à la pharmacie avec une ordonnance et j’aurai le plaisir de le revoir du côté de Maêl avec un grand sourire. "Ça marche, je rentre !" lancera- t’il. Juste au sommet du Roc-Trévezel nous croisons les derniers qui à en croire leurs grands signes semblent le savoir. A 18 heures à Carhaix nous retrouvons l’épicerie dont Daniel pille la réserve de jus de fruits et de miel ! Je discute et consulte avec un tandem mixte que je reconnais pour l’avoir vu en photo dans la plaquette de présentation du Paris-Brest-Paris. Il n’est plus temps de traîner et nous avalons assez vivement les kilomètres. Nous souhaitons atteindre Loudéac avant la nuit. A Corlay surprise, Stéphane est seul auprès du tandem dépourvu de sa roue arrière. Ils ont cassé des rayons coté roue-libre et Bernard est parti dans une voiture assistance officielle faire réparer à Loudéac. Ils perdront beaucoup de temps. Daniel au moral chancelant décide de dormir à Carhaix. Le tronçon accidenté Corlay-Loudéac est vraiment superbe. Le soleil couchant nous éclaire de mille feux cette succession de monts et vallées. Les villages sont toujours aussi animés et accueillants. Nous touchons Loudéac à la nuit à 22 heures 7. Daniel me quitte à la recherche d’un hôtel, il me promet de reprendre la route ensuite. Je poursuivrai seul avec ses précieux conseils.

D’abord ça va mal. Il fait très chaud dans ce self et la restauration encombrée de suiveurs n’avance pas. Quelques cyclos râlent. Je me déshabille et vais m’asseoir au frais sur la terrasse. Je quitte Loudéac me promettant à l’avenir de ne plus jamais m’y éterniser. Ce contrôle vaut pour son ambiance mais c’est une gare. Il n’y a plus personne sur la route. J’aperçois de temps en temps un feu rouge loin devant. Dans un village un cafetier toujours ouvert peint en pleine nuit une grande flèche directionnelle "P.B.P. Paris" sur la chaussée. Le fléchage A.C.P. ne le satisfaisant pas. Toujours les riverains insomniaques m’encouragent. En pleine campagne trois ou quatre adolescents m’offrent du café. Ils passent ainsi leur deuxième nuit à nous attendre. Je les remercie "vous aussi vous êtes Paris-Brest". "A dans quatre ans " me disent-ils. Je vais bon train, je ne fatigue pas, aucune douleur. Je suis presque désappointé de devoir m’arrêter au contrôle secret de Quédillac. Il est 1 heure 25, quelques cyclos dorment au fond de la salle, il y a plus de contrôleurs que de participants. On me confirme que je roule dans un "trou" d’affluence. Je ne rencontre guère que deux motards de l’assistance qui vont et viennent. Mon but, sur les conseils de Daniel est de dormir à l’internat de Tinténiac. Je l’atteins une heure plus tard par une route toujours déserte. Les organisateurs nous attribuent des lits dans de petites chambres en fonctions des heures de réveil de la chambrée. Je me vote 3 heures de repos douche, rasage et brossage compris. A l’heure dite ils nous réveillent. Je découvre mes compagnons de chambre qui émergent difficilement et se plaignent beaucoup. Je ne perds pas de temps. A l’aube je rejoins deux cyclos d’Alençon. Ils me disent qu’ils rentrent chez eux, ils ont abandonné à l’aller. La région est assez marécageuse et le lever du soleil très agréable par ses couleurs. A Sens-de-Bretagne je déniche un café à l’angle d’une rue. J’y déjeune. En repartant, je découvre le tandem de Bernard et Stéphane à la porte de l’autre café qui fait l’autre côté de mon angle de rue. Les deux amis ont commandé. Continuerons-nous ensemble ? Bernard me répond "tu es dans un bon temps, tu es en forme, un Paris-Brest ça se finit seul". J’arrive à Fougères en pestant comme tous contre une déviation inopinée qui pour nous faire éviter six kilomètres de R.N. 12 nous impose des kilomètres supplémentaires, une route encore plus fréquentée, un détour épique en ville et nous prive de la vue du château. J’avale encore cafés et croissants pendant qu’un cyclo me raconte qu’il a roulé cette nuit jusqu’ici mais qu’il n’arrive pas à repartir. La route jusqu’à Lassay est très roulante. On forme un temps un petit peloton avec une solitaire, des cyclo de Pontivy chanteurs et un marseillais du départ de 20 heures épuisé qui s’accroche pour rentrer. Coup d’œil aux tours de Lassay et les bosses recommencent. Certaines sont sévères. Le groupe s’est dissout. Voici Villaines-la-juhel et sa population pour nous applaudir. Il est 12 heures 40 et je vais manger. Au self je prends tout ce qui est possible, j’ai faim. A table je suppute la possibilité d’arriver avant minuit.

La route est bientôt très chaude. Le paysage s’ouvre sur les collines du Maine aux blés moissonnées et aux champs clos. Je retrouve le parcours du 600. Après Fresnay sur Sarthe la route rectiligne est monotone. Les motards m’aident à traverser le carrefour fréquenté de la Hutte. Un peu plus loin je dépasse un cyclo du départ de 20 heures, (j’ai repéré la couleur de sa plaque de cadre), qui peine en montée, sans un regard. Je me fais invectiver ! "Alors Gillou tu ne dis plus bonjour !" L’ami Bernard Faucheux rentre sagement, l’œil sur le délai, mais confiant. En haut d’une côte des enfants sont tout heureux d’offrir des carrés de chocolat ; autant de plaisir pour eux que pour moi. Plus loin on offre le coucher dans une grange à grand renfort de panneaux peints, cette nuit il y aura sûrement des amateurs. Notre-Dame de Toutes-Aides est une petite église charmante entourée d’arbres sous lesquels dorment des cyclos. J’aperçois le long du bas côté un robinet où je remplis mon bidon. "N’oublie pas de mouiller la casquette" me lance un participant qui passe ; Certes non, il fait très chaud et le temps de le rattraper, elle est presque sèche. Entre Mamers et Mortagne j’accélère l’allure et je rejoins beaucoup de monde. Le vent est favorable, le soleil de dos, le temps radieux et le moral très élevé. J’arrive à Mortagne à 16 heures 40. En ville je dévalise une boulangerie et je vais ripailler à la sortie sur un talus ombragé. Je passe les côtes du Perche sans difficulté, d’ailleurs j’aime beaucoup cette route vallonnée, sinueuse et ombragée. En bas d’une descente dans une courbe la D.D.E. vient depuis notre passage à l’aller de décaisser la route pour la recouvrir de gros gravillons. Du côté de Senonches un Italien prend ma roue puis relaie et nous accélérons toujours. Je trouve extraordinaire de nous amuser ainsi après tant de kilomètres. Mais je ne veux pas pousser au-delà de 40 km/h trop longtemps. Peu avant Nogent-le-Roi un partant de 20 heures à la hauteur duquel j’arrive ironise sur le "look rétro " de mon vélo. Je remarque que je suis parti avec "mon vélo" neuf heures après lui. Nogent est un contrôle bien peu animé et la dame à la table me confirme qu’ils n’ont pas vu grand monde pour le moment. Je téléphone à papa mon arrivée prochaine ; il est 20 heures 6. Mon désir d’éviter une troisième nuit semble sur le point de se réaliser et je me sens en pleine forme.

A la sortie de Nogent la route est déviée pour travaux. Pendant le détour un participant soit disant de l’A.C.P, insiste, un peu agressif, pour que je vérifie sur ma carte l’itinéraire car il pense que nous nous sommes égarés. Je roule désormais avec un canadien qui me fait part de ses sentiments sur Paris-Brest-Paris. Il ne sait pas encore s’il est content de l’avoir fait. La nuit vient. Dans une côte sévère un cyclo tombe en montée. Il nous explique qu’il était perdu avec son dérailleur et qu’il n’allait plus assez vite et qu’il est tombé ! Décidément certains sont bien fatigués ! Plus nous approchons et plus l’arrivée semble s’éloigner. Avec l’urbanisation on tourne en rond. Une voix s’élève : "j’en ai marre de faire du tricot !" Les ronds-points, les ralentisseurs, les retours en arrière pour éviter les centres des villes se multiplient. Je regrette de ne pas avoir repérer l’arrivée dimanche dernier. Je regrette aussi de ne pas avoir de carte détaillée du coin. Dans Montigny, une voiture face à nous nous annonce l’arrivée dans deux kilomètres. Tu parles ! Nous suivons toujours le fléchage. Nous traversons une zone industrielle que nous avons l’impression d’avoir déjà longée. Au bout d’un moment plus de flèches ! J’interroge un autochtone qui ne connaît pas l’arrivée, lui est de Montigny ! C’est à côté mais ne confondons pas. Le plan de la ville qui trône au carrefour est du même bled. Un cyclo passe en trombe et confirme se reconnaître. Le Canadien et moi nous redescendons des dents. Enfin le rond-point et les applaudissements du public. Jean-Pierre Guillot calme bien vite ma mauvaise humeur de l’arrivée. Je donne ma carte à 23 heures 23. Papa est là qui discute. Voilà un Paris-Brest de plus dans la famille. Pierre Gros vient d’arriver me dit-il. Le Canadien est ravi, l’Italien aussi. J’ai fait Paris-Brest-Paris et je repartirai.

Après un dîner et une courte nuit chez mes parents, nous observons, vendredi, l’arrivée des amis sur le minitel : Bernard et Stéphane, Daniel, Bernard faucheux, Gisèle et Alain. Enfin je fais le ménage dans ma sacoche de guidon et je jette le gâteau overstime qui ne passait plus dés le premier quart mais que j’avais prudemment conservé.

Le samedi à tandem avec Marie-Laure nous allons visiter l’abbaye de Royaumont

Dimanche, au téléphone le mot de la fin revient à Daniel : "tu as mis 66 heures 23 mais tu parleras de Paris-Brest-Paris bien plus longtemps."

Gilles Bodin, N°3091

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